Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

Un Frexit institutionnel

Billet du lundi 30 septembre 2024 rédigé par Jean-Philippe Duranthon, membre du Conseil d’administration et membre fondateur de Geopragma.

https://geopragma.fr/un-frexit-institutionnel/


Les tentatives de séduction, les portes qui claquent et les accusations d’infidélité, dignes de Feydeau, qui ont caractérisé le choix du Premier Ministre puis la formation du gouvernement, ont éclipsé l’annonce de la composition de la nouvelle Commission européenne : celle-ci a été à peine évoquée dans la presse et est restée absente des déclarations des responsables politiques. Elle est pourtant riche d’enseignements sur l’influence que la France a désormais au sein de l’Union Européenne et vis-à-vis de la Commission.

Quatre faits sont troublants.

1/ Thierry Breton a eu l’élégance de déclarer qu’il n’était plus candidat, ce qui a arrangé tout le monde, mais en précisant qu’Ursula von der Leyen avait réclamé son départ ; il a ensuite affiné son propos en indiquant que celle-ci avait placé Emmanuel Macron devant un choix : « ou bien c’est Thierry Breton mais avec un plus petit portefeuille, ou bien c’est un autre, mais avec un plus gros portefeuille ». Une forme de chantage, donc. Le propos n’est pas ici de dire qui, d’Ursula von der Leyen ou de Thierry Breton, avait raison dans les différents débats qui les ont opposés ces derniers mois ; il est de remarquer que la présidente de la Commission s’est permise de récuser un candidat présenté par la France et que le président de la République s’est plié à cette étrange initiative. On peut en déduire que le rapport de forces entre ladite présidente et ledit président n’est pas en faveur de ce dernier, à qui pourtant elle doit son poste, et que le poste de président de la Commission a pris une stature nouvelle, qui le place au-dessus des chefs d’Etat, ces derniers fussent-ils d’un grand pays.

2/ La « grosseur » du portefeuille alloué au commissaire français peut être discutée. Celui-ci est en charge de « la prospérité et la stratégie industrielle » : « vaste programme ! », pourrait-on s’exclamer, tant ces deux thèmes, et surtout le premier, sont vastes. Mais ils sont aussi bien vagues !  Cette imprécision autorise tous les débordements mais permet aussi une « cornérisation ». D’ailleurs, d’autres commissaires ont en charge « la transition » (climatique, peut-on supposer), « la souveraineté technologique », « l’économie et la productivité », « l’énergie », « la recherche et l’innovation », concepts qui sont beaucoup plus précis ; peut-on agir pour « la prospérité » et définir la stratégie industrielle de l’Union sans s’intéresser à ces domaines qui sont en d’autres mains ? L’action de « notre » commissaire sera donc conditionnée par celle de ses collègues compétents pour les mêmes problématiques.

On pourrait se rassurer en notant que le commissaire français fait partie des quatre « vice- présidents exécutifs » de la Commission. Mais le titre est plus honorifique que fonctionnel (la précédente Commission comportait huit vice-présidents exécutifs, chiffre élevé qui amène à relativiser l’importance du rôle) car leurs titulaires ne bénéficient d’aucun pouvoir hiérarchique sur les commissaires « de base » ; il ne peut d’ailleurs pas en être autrement puisque les décisions de la Commission sont collectives et que, juridiquement, chaque commissaire dispose du même poids que les autres. En outre, les trois autres vice-présidents exécutifs sont les commissaires présentés par l’Espagne, la Finlande et la Roumanie : difficile d’en déduire que le titre reflète l’importance du pays au sein de l’UE.

Le portefeuille confié au commissaire français est-il vraiment « un plus gros portefeuille » comme l’avait promis Ursula von der Leyen ?

3/ Le choix de Stéphane Séjourné peut surprendre. Il ne s’agit pas ici de discuter des mérites et des limites d’une personne mais seulement de noter que le nouveau commissaire français n’a ni la personnalité, ni l’expérience longue et multiple de son prédécesseur. Il est peu probable qu’il ait rapidement le même poids que lui au sein des instances européennes.

Les mauvais esprits pourraient penser qu’au moment où, en France, se met laborieusement en place une vraie-fausse cohabitation, son choix résulte avant tout de la volonté du président de la République d’avoir à Bruxelles un commissaire qui lui sera personnellement fidèle, de montrer que le choix du commissaire et les relations avec la Commission font partie du « domaine réservé » qu’il n’entend pas partager. Si cela était vrai, il faudrait en déduire que les vicissitudes de la politique intérieure ont le pas sur la défense des intérêts du pays au sein de la Commission.

4/ Le choix des commissaires et la répartition des rôles entre eux ne sont pas toujours favorables aux intérêts français. Ainsi, les deux commissaires qui seront en première ligne sur les questions énergétiques sont de fervents adversaires du nucléaire : l’Espagnole Teresa Ribera Rodriguez,

« vice-Présidente exécutive à la transition juste, propre et compétitive », et le Danois Dan Jorgenson, « commissaire à l’énergie et a au logement ». Il est étrange que, s’agissant d’un sujet aussi important et sensible, qui fait l’objet de fortes oppositions au sein de l’Union, la France n’ait pas pu éviter que les deux commissaires en charge de cette politique fassent l’un et l’autre partie du camp hostile aux orientations qu’elle défend.

Plusieurs conclusions peuvent être tirées de ce rapide examen :

1/ Le poids de la France dans l’UE se réduit. L’époque où les pays fondateurs pilotaient le processus est bien fini, la France n’est plus qu’un pays comme un autre, l’élargissement a fait son œuvre. La Commission s’est émancipée et le « couple franco-allemand » n’est qu’un souvenir.

2/ Le Commissaire français aura bien des difficultés à défendre, dans le cadre des orientations communautaires, nos intérêts nationaux. Il disposera de bien peu de leviers pour son action au sein des institutions communautaires.

3/ Alors que chaque renouvellement de la Commission est toujours l’occasion, pour chaque pays, de pousser ses pions, les dirigeants français ont fait preuve d’une grande légèreté (naïveté ou impuissance ?). Ils n’ont pas cherché à, ou su, résister aux pressions de leurs homologues ou de la présidente de la Commission. C’est surprenant compte tenu de l’importance que tient l’Europe dans leurs discours.

Tout se passe donc comme si la France se désengageait involontairement du pilotage des institutions européennes, Une sorte de Frexit institutionnel, en quelque sorte. Etonnant !

Jean-Philippe Duranthon

Le rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité (ou comment conjurer « La lente agonie de l’Union européenne »)

Le rapport Draghi sur l’avenir de la compétitivité (ou comment conjurer « La lente agonie de l’Union européenne »)

Venant à la suite du rapport d’Enrico Letta sur l’avenir du marché unique publié en avril dernier, le rapport de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, sur l’avenir de la compétitivité européenne, fait un constat sans complaisance de la situation économique de l’Union européenne (UE). Évoquant le « défi existentiel » auquel est confrontée l’Europe, il propose un ensemble de mesures ambitieuses qui visent à relancer l’investissement et la croissance et impliquent une coopération renforcée entre les États membres, sous l’égide des institutions européennes. Le point avec Pierre Jaillet, chercheur associé à l’IRIS ainsi qu’à l’Institut Jacques Delors.

Mario Draghi, dans cet important rapport, tire la sonnette d’alarme sur l’état de l’économie de l’UE. Quel est son diagnostic ?

Les données étaient déjà connues, mais le rapport en dresse un tableau d’ensemble alarmant pour illustrer le « décrochage » de l’UE. De 2002 à 2023, son produit intérieur brut (PIB) a reculé de plus de 15 % par rapport à celui des États-Unis, du fait de gains de productivité trois fois inférieurs mais aussi du moindre dynamisme de l’emploi. Les parts de l’UE dans le commerce mondial s’effritent régulièrement et ses positions s’affaissent dans le secteur des technologies avancées. Ayant privilégié l’investissement productif dans les industries traditionnelles, les entreprises européennes ont raté le tournant de la dernière révolution industrielle, comme l’illustre le fait que seulement quatre firmes européennes figurent parmi les 50 plus grandes entreprises mondiales du high-tech. Mais ce n’est pas tout. Le rapport met  en exergue d’autres handicaps de l’UE dans la compétition mondiale : des coûts de l’énergie très élevés (trois à quatre fois supérieurs à ceux des États-Unis, par exemple) ; une forte dépendance vis-à-vis de l’extérieur pour certains biens « critiques » (minéraux rares, semi-conducteurs…) ; un marché « unique », en réalité fragmenté, peu propice à l’émergence d’entreprises de taille mondiale ; enfin, une gouvernance économique défaillante  inapte à dessiner et mettre en œuvre une stratégie cohérente et ambitieuse.

Que préconise le rapport pour endiguer le déclin économique de l’UE face à la pression concurrentielle des grands blocs dominés par la Chine et les États-Unis ?

Le rapport fixe une stratégie industrielle axée en priorité sur la réduction de l’écart d’innovation, tout en optimisant les efforts de décarbonation (domaine où l’UE dispose encore d’un avantage comparatif) et en sécurisant ses approvisionnements pour limiter ses vulnérabilités stratégiques. Il préconise à cet égard la mise en place d’une « politique économique étrangère » (Foreign economic policy) intégrant des investissements directs concertés et des accords commerciaux préférentiels avec des pays ou zones disposant des ressources qui lui font défaut (idée qui fait écho à l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie » et pourrait s’appuyer sur le projet de Gateway européen).

La proposition centrale consiste à relever massivement le taux d’investissement annuel de l’UE de près de 5 % pour le porter de 22 % à 27 %, soit un effort de 800 milliards d’euros abondé par trois sources de financement (non réparties ex ante): (1) une hausse des dépenses publiques d’investissement des États membres, dont les marges de manœuvre de la plupart d’entre eux sont réduites du fait de leur endettement élevé et de la nécessité (soulignée dans le rapport) de respecter les règles budgétaires européennes; (2) la mobilisation de l’épargne européenne – abondante mais surtout orientée vers des placements liquides et des supports nationaux – sur des projets d’investissement communs innovants, en réduisant la fragmentation du marché européen des capitaux (Mario Draghi renvoie sur ce sujet aux préconisations du rapport Letta); (3) une nouvelle facilité de financement communautaire alimentée par un emprunt européen  (du type de la facilité pour la reprise et la résilience – Next Generation EU (NGEU) – lancée en 2021), qui aurait aussi l’avantage d’offrir un actif sûr et attractif aux investisseurs et accessoirement de conforter le rôle international de l’euro.

S’agissant de la gouvernance, le rapport Draghi avance diverses mesures visant à alléger les procédures de décision de l’UE (revisitant au passage le principe de subsidiarité), qui freinent la mise en œuvre des programmes communautaires. Il propose aussi la création d’un « Cadre de coordination de la compétitivité » ayant une double vocation horizontale et verticale (pilotage d’une douzaine de plans d’action sectoriels dans les domaines prioritaires).

Quelles réactions ce rapport a-t-il suscitées parmi les États membres de l’UE ? Peut-on en attendre des inflexions décisives des politiques communautaires ? Est-il susceptible de relancer le débat sur la question de la dette commune et de l’union budgétaire ?

Ce rapport a d’abord le mérite de sortir du déni de réalité sur « l’état de l’union ». C’est peut-être aussi le premier document européen d’envergure qui s’inscrit dans une perspective éco-géopolitique globale intégrant la dynamique des rapports de force entre les grands blocs et incitant l’UE à développer des alliances stratégiques – commerciales et financières – d’intérêt mutuel avec des pays et des zones d’autres continents. Le rapport, toutefois, ne précise pas les modalités conduisant des entreprises le plus souvent concurrentes à coopérer pour atteindre les objectifs industriels communs. De même laisse-t-il dans l’ombre les implications institutionnelles de propositions qui, pour certaines, impliqueraient probablement une révision des Traités (cf. l’extension du champ de la majorité qualifiée, ou le partage des compétences entre les États et l’UE dans le domaine industriel). Mario Draghi, qui s’est à plusieurs reprises prononcé en faveur d’un « fédéralisme pragmatique », reste à cet égard très prudent et il se garde de remettre en cause la nature intergouvernementale de l’UE ou d’évoquer la possibilité d’une union budgétaire.

La balle est désormais dans le camp des capitales européennes et à Bruxelles, dans le contexte d’une Europe très divisée. Vingt États membres de l’UE ont publié le 20 septembre un non-paper appelant la Commission européenne à mettre en œuvre le rapport Draghi. Le document ne retient pour l’essentiel que les propositions relatives à la simplification et à l’harmonisation des règles européennes, en ignorant celles, plus innovantes ou plus clivantes, comme la création d’une nouvelle facilité communautaire, un marqueur des divergences entre États « frugaux « et « dépensiers ». Or on peut supposer que ces dernières sont précisément celles ayant la préférence des sept États manquant à l’appel (dont l’Espagne, la France et l’Italie…), sans l’exprimer ou disposer de l’influence pour les promouvoir.

Le risque majeur, en fin de compte, est que ce rapport ambitieux, sur fond de désaccord entre États membres et faute d’un leadership européen apte à le porter sur les fonts baptismaux, n’aille rejoindre ses prédécesseurs dans les tiroirs ou soit mis en œuvre a minima, laissant les problèmes fondamentaux non résolus et l’Europe sombrer dans la « lente agonie » qu’appréhende Mario Draghi.

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

https://www.opex360.com/2024/07/08/avec-une-lpm-2024-30-en-suspens-le-ministere-des-armees-va-au-devant-de-gros-problemes-budgetaires/


Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.

Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].

L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.

Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.

En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.

Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.

« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.

Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?

Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.

Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.

Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.

Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…

Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.

Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.

Drôle d’économie de guerre

The GRIFFON, Armored Multi-Role Vehicle (AMRV), is capable of carrying out a wide range of missions and meets the need to engage light units in the contact zone, particularly in the initial phases of an operation in various conditions.This combat vehicle comes from the scorpion program (GRIFFON, JAGUAR, SERVAL) of the industrialist NEXTER, and is presented in the Roanne factory, where the assembly lines of the land combat vehicles from the SCORPION program are located. This program aims at modernizing the equipment of the French army. France, Roanne, February 19, 2022//KONRADK_konrad-027/2202211001/Credit:KONRAD K./SIPA/2202211004

 


Billet du lundi 20 mai 2024 rédigé par Jean-Philippe Duranthon membre fondateur et membre du Conseil d’administration de Geopragma.

Les historiens n’ont pas beaucoup aimé la drôle de guerre de 1939 ; apprécieront-ils la drôle d’économie de guerre dans laquelle nous vivons aujourd’hui ?

1/ Voilà deux ans qu’en inaugurant en juin 2022 le salon Eurosatory Emmanuel Macron a déclaré que la France était « entrée dans une économie de guerre ». Depuis, les cadences de production des armes n’ont pas été accrues à hauteur des espoirs affichés, les différentes entreprises des chaînes d’approvisionnement peinant à trouver les moyens humains et financiers permettant de changer brutalement de rythme. Mais la volonté politique est constamment réaffirmée et le ministre des armées n’a pas hésité à menacer les industriels de « réquisition », cette menace débouchant sur la publication d’un décret[1] : mais la publication d’un texte suffira-t-elle à résoudre les problèmes ?

L’Europe fait chorus. Toute occasion est bonne à Ursula von der Leyen pour rappeler que l’Union Européenne doit disposer de moyens militaires puissants, et les menaces de désengagement de l’OTAN exprimées par Donald Trump renforcent ce souhait. Aussi la Commission a-t-elle, le 5 mars dernier, présenté pour la première fois « une nouvelle stratégie pour l’industrie européenne de la défense pour préparer l’Union à toute éventualité en la dotant d’une industrie européenne de la défense réactive et résiliente[2] », dite EDIS[3], susceptible de déboucher sur un « programme européen pour l’industrie de défense », dit EDIP. Des plans, des acronymes, bientôt des délibérations : suffiront-ils à surmonter les difficultés ?

2/ Le problème est qu’en même temps, la France et l’Europe poursuivent une politique qui rend chaque jour plus difficile le financement des entreprises concernées, celles qui, selon l’expression consacrée, forment la « base industrielle et technologique de défense » (BITD[4]). De nombreux rapports officiels, en particulier de la Cour des Comptes ou du Sénat[5], ont fait état d’une « frilosité bancaire » qui trouve son origine dans des règlements européens et leurs transpositions nationales.

L’imagination normative bruxelloise a en effet trouvé dans les problématiques ISR et ESG[6] de nouveaux champs d’excellence, à travers de nombreux dispositifs dont les principaux sont la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), la « taxonomie verte » accompagnée de ses labels, et les conditions mises pour bénéficier des avantages des « obligations vertes »[7]. Ces textes, dont la respectabilité des intentions ne peut être mise en doute, ne traitent pas spécifiquement des questions de défense mais obligent les financiers et les investisseurs à classer leurs investissements en plusieurs catégories et à accroître progressivement la part des plus « vertes » d’entre elles ; les activités militaires ne pouvant pas figurer dans les catégories à privilégier au regard des critères choisis, en particulier la transition climatique, les établissements financiers ont tendance à refuser de financer les projets les concernant, afin de ne pas rendre plus difficile le respect des proportions qui leur sont imposées, progressivement de plus en plus contraignantes. Certains, HSBC par exemple, n’hésitent pas à les exclure par principe. De même la BEI (Banque européenne d’investissement) s’interdit de financer des projets dans les secteurs de la défense et de la sécurité, alors même qu’aucun texte de l’oblige à agir ainsi. La Fédération Bancaire Française (FBF) ne nie pas cette « frilosité bancaire » et, pour compenser les effets sur les entreprises de la Défense de la réglementation européenne, évoque la possibilité d’un régime d’ « exception stratégique » ou la création d’« obligations de souveraineté » inspirées des green bonds.

Cette analyse vaut dans on contexte marqué par le fait que, depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, 78 % des achats réalisés dans le domaine de la défense par les pays de l’Union Européenne proviennent de l’extérieur de l’Union et en particulier, pour 63 %, des États-Unis.

Il n’y a donc pas de temps à perdre. Mais la cohérence entre le soutien affiché à l’industrie de défense et les choix communautaires n’est pas évidente.

3/ On aurait pu penser que, dans sa nouvelle stratégie de défense dite EDIS, la Commission se saisirait du problème. Or il faut attendre la page 29 (sur 36) du document pour que le problème soit abordé, et il l’est en des termes qui témoignent d’une grande naïveté ou d’une étonnante indifférence : « Le fait que certaines activités industrielles dans le domaine de la défense n’aient jusqu’à présent pas été incluses dans la taxinomie environnementale de l’UE ne préjuge pas des performances environnementales des industries de la défense et ne devrait donc pas avoir d’incidence sur leur accès à des financements. » La Commission ne s’interdit pas d’écrire à côté que « L’industrie de la défense améliore la durabilité, eu égard à sa contribution à la résilience, à la sécurité et à la paix. » (A ce compte-là un facétieux aurait pu écrire que se doter d’une armée puissante réduit les risques de conflit, donc de destruction d’espèces vivantes, notamment humaines, et contribue par conséquent à la préservation de la biodiversité). Une façon originale de faire semblant de ne pas voir le problème.

Plutôt que s’attaquer à celui-ci la Commission préfère faire appel aux mêmes recettes que d’habitude, c’est-à-dire

– demander aux Etats-membres de s’associer pour concevoir et produire ensemble leurs armes ;

– favoriser les achats d’armes au niveau communautaire plutôt que national ;

– mettre en place des mécanismes bureaucratiques (fonds de soutien aux projets de mutualisation et instances de discussion/concertation/harmonisation) pour gérer l’ensemble.

Tout cela donne l’impression que l’objectif n’est pas tant l’efficacité de la politique proposée que la possibilité de la mettre en œuvre au niveau communautaire.

L’Europe aurait tout intérêt à développer ses capacités, militaires ou autres, en s’appuyant sur ses champions actuels, en les aidant à accroître leur efficacité et à conserver leur excellence technologique. Elle préfère n’être qu’une grosse machine d’aspiration des compétences nationales, de redistribution entre les États et d’édiction de normes, quitte à ce que celles-ci accroissent les coûts et fragilisent les entreprises.

Il s’agit vraiment d’une drôle d’économie de guerre. Et ce n’est vraiment pas drôle.

19 mai 2024

Jean-Philippe Duranthon, Membre fondateur et membre du conseil d’administration de Geopragma


[1]https://www.legifrance.gouv.fr/download/file/pWdeY48hV40FEZB4C3XyDEz_YKvnMt_Q79svGv-m-Rk=/JOE_TEXTE

[2] https://defence-industry-space.ec.europa.eu/document/download/7b45e1f7-33f7-4f28-bcd8-70be10d213af_en?filename=JOIN_2024_10_1_FR_ACT_part1_v2.pdf

[3] EDIS = European Defence Industrial Strategy, EDIP = European Defence Industrial Programme.

[4] Si vous préférez parler bruxellois, utilisez l’acronyme EDTIB pour European Defence Technological and Industrial Base. On estime généralement que la BITD compte 4000 entreprises et 200 000 personnes et qu’elle génère 15 Md€ de chiffre d’affaires ; la Commission européenne chiffre à 500 000 personnes l’effectif de l’EDTIB et à 70 Md€ son CA.

[5] Voir en particulier le rapport déposé le 24 mai 2023 par Pascal Allizard et Yannick Vaugrenard, « Renseignement et prospective : garder un temps d’avance, conserver une industrie de défense solide et innovante » :  https://www.senat.fr/notice-rapport/2022/r22-637-notice.html. Voir aussi l’avis présenté le 27 février 2024 par Cédric Perrin sur la proposition de loi relative au financement des entreprises de l’industrie de défense française : https://www.senat.fr/rap/a23-363/a23-3631.pdf

[6] ISR = investissement socialement responsable ; ESG = critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.

[7] Ou green bonds.

M. Breton : « Peut-être faudrait-il convenir au niveau européen de construire un deuxième porte-avions ? »

M. Breton : « Peut-être faudrait-il convenir au niveau européen de construire un deuxième porte-avions ? »

https://www.opex360.com/2024/03/09/m-breton-peut-etre-faudrait-il-convenir-au-niveau-europeen-de-construire-un-deuxieme-porte-avions/


Dans le détail, le PEID propose des mesures organisationnelles, juridiques et financières censées encourager les États membres à « augmenter régulièrement leurs achats d’équipements de défense au sein de l’Union pour qu’au moins 50 % du budget qui y est consacré soit dépensé dans l’Union à l’horizon 2030 et 60 % à l’horizon 2035 ».

« Avec la résurgence d’un conflit de forte intensité sur notre continent, l’Europe ne peut plus attendre pour renforcer la capacité de la base industrielle et technologique de défense européenne à produire plus et plus rapidement », a résumé Thierry Breton, qui, en sa qualité de commissaire européen au Marché intérieur chargé de l’industrie de défense, a été l’architecte de ce PEID.

Or, en janvier, lors d’une audition au Sénat [le compte-rendu vient d’être publié], M. Breton a soutenu que les industriels européens de la défense doivent « changer de modèle économique » afin de produire plus vite et davantage. Seulement, parce qu’ils ont leur logique propre, tous les secteurs d’activités ne peuvent pas se plier à une telle injonction. C’est notamment le cas de la construction navale, où les programmes se conduisent sur le temps long.

« L’Europe fournit à l’Ukraine 75 milliards d’euros. C’est plus que les États-Unis. Pour autant, nous devons nous préparer à renforcer notre base industrielle de défense. En Europe, nous savons tout faire : missiles hypersoniques, porte-avions nucléaires, sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, etc. Nous produisons les meilleurs avions du monde, les chars les plus sophistiqués, mais nous le faisons à notre rythme », a observé M. Breton.

Dans la liste qu’il a donnée, on peut s’interroger sur la présence des « sous-marins nucléaires lanceurs d’engins » [SNLE] dans la mesure où ceux-ci relèvent de la dissuasion nucléaire française… Cela vaut aussi pour les « porte-avions nucléaires » que seule la France est en mesure de construire parmi les vingt-sept.

Quant aux armes hypersoniques [si l’on excepte le missile balistique M51] aucun pays de l’UE n’en a mis en service à ce jour. Encore une fois, seule la France conduit des programmes pour s’en doter [V-MAX et ASN4G]. Bref, les exemples cités par M. Breton ne sont certainement pas les plus pertinents.

« Nous sommes encore dans des logiques d’arsenal. Les industriels de la défense – cela ne concerne pas seulement la France -, qui ont comme principal interlocuteur les directions générales de l’armement des États membres, leur disent : ‘Certes, c’est plus cher, et cela prend plus de temps. Mais c’est stratégique.’ Or l’enjeu est maintenant d’augmenter notre BITD [Base industrielle et technologique de défense], afin que les cadences suivent. Il faut inciter les industries de la défense à changer de modèle économique, pour passer d’une logique d’arsenal à une logique de marché plus normale », a ensuite développé le commissaire européen au Marché intérieur.

Plus tard, M. Breton a défendu l’idée de mutualiser les capacités des États membres pour assurer leur sécurité dans les « espaces contestés » [espace cyber, espace, espace aérien et espace maritime]. « Nous le savons : aucun pays ne peut, à lui seul, assurer sa sécurité dans ces espaces », a-t-il fait valoir, avant de s’interroger, à nouveau, sur la nécessité d’un « second porte-avions » [européen ?] ».

« Quelle marine peut prétendre protéger la zone maritime exclusive européenne, qui est la plus vaste au monde ? [grâce, en grande partie, aux 11 millions de km² de la ZEE française, ndlr] Je rappelle que tous les dix-huit mois, l’unique porte-avions français doit être au carénage. En période de guerre, mieux vaut qu’il soit utilisable ! », s’est exclamé M. Breton. Aussi, a-t-il continué, « peut-être faudrait-il convenir au niveau européen d’en construire un deuxième ».

Ce propos aurait mérité des précisions que le commissaire européen n’a pas fournies [du moins, selon le compte-rendu]. S’agirait-il de solliciter un financement européen pour doter la Marine nationale d’un second porte-avions? Ou bien est-il question de construire un tel navire qui battrait pavillon de l’UE?

Dans un cas comme dans l’autre, l’idée lancée par M. Breton est irréalisable en l’état. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’il la propose. En octobre, il avait en effet estimé que, « à moyen-long terme », il allait être « inévitable de se poser la question d’un porte-avions européen ».

Le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a déjà rejeté une telle idée. « Le porte-avions est un instrument de souveraineté absolue, ce qui n’exclut pas sa participation à des missions multinationales ainsi que la présence de navires européens au sein de son groupe aéronaval », avait-il répondu à M. Breton, à l’occasion d’une audition parlementaire.

De son côté, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, en avait détaillé les obstacles techniques. « Il faudrait d’abord avoir un besoin commun qui soit exprimé pour un tel outil. Et je rappelle que la France est un pays un peu particulier dans la mesure où elle est une puissance dotée [de l’arme nucléaire, ndlr]. Et donc elle a besoin de capacités de dissuasion qui ne seraient pas forcément les mêmes à l’échelon européen. Nous, on pousse à l’interopérabilité entre les différents systèmes plutôt que s’interroger [sur cette idée de porte-avions européen, ndlr] », avait-il expliqué.

Visiblement, malgré de tels arguments [sans compter les obstacles « opérationnels », sachant que seulement trois pays membres de l’UE ont des capacités aéronavales, à savoir la France, l’Italie et l’Espagne], M. Breton a de la suite dans les idées…

« Beaucoup de pays européens expriment ce besoin. […] Donc, il y a des réflexions. C’est objectivement un serpent de mer. Donc, Thierry Breton essaie aussi de satisfaire des demandes de pays ayant une marine et ne pouvant évidemment pas se payer un groupe aéronaval », avait jugé M. Lecornu, en octobre dernier.

Photo : Naval Group

L’intercepteur hypersonique européen du programme HYDEF sera-t-il développé avec Israël ?

L’intercepteur hypersonique européen du programme HYDEF sera-t-il développé avec Israël ?

Les industriels européens en charge du développement de l’intercepteur hypersonique du programme HYDEF, auraient reçu une proposition d’assistance de la part de leurs homologues israéliens, en particulier ceux impliqués dans le développement des systèmes Arrow antibalistiques. Ce faisant, ils laissent penser que le consortium en charge de ce programme, rencontrerait des difficultés, alors que dans le même temps, les développeurs du seul système antibalistique européen, l’Aster Block 1NT, se sont engagés dans un contre-programme annoncé lors du salon du Bourget 2023, l’intercepteur Aquila.

Sommaire

En juillet 2022, la Commission Européenne décida, contre toute attente, de confier la conception du programme HYDEF (Hypersonic Defense) à un consortium européen rassemblant des entreprises allemandes, belges, polonaises, tchèques, suédoises et norvégiennes, emmené par l’Espagne.

L’étonnant arbitrage de la commission européenne pour le développement du programme HYDEF

Cette décision prit au dépourvu le second consortium franco-italien concourant pour ce projet. Constitué autour d’Eurosam, les français MBDA et Leonardo qui le composait étaient, en effet, sûres de leur fait, étant les seuls, en Europe, à avoir l’expérience de la conception d’un système antibalistique avec l’Aster Block 1, puis le Block 1NT.

ASter 30
Le missile Aster 30 et le système SAMP/T Mamba est la seule alternative européenne au Patriot américain.

Berlin accru cette défiance quelques semaines plus tard, lorsque le chancelier Olaf Scholz dévoila, fin aout 2022 à Prague, le lancement du programme European Skyshield, visant à concevoir un bouclier antiaérien et antimissile autour de 3 systèmes : la Patriot PAC américain, l’Iris-t SLM allemand, et le système Arrow 3 antibalistique dont l’Allemagne négociait l’acquisition auprès de Jérusalem.

Là encore, la France et l’Italie étaient exclues de l’initiative, par ailleurs largement plébiscitée en Europe avec 14 pays participants, de même que le système SAMP/T et le missile Aster. Les industriels israéliens, en revanche, se trouvaient, par cette décision allemande, propulsés au pinacle des fournisseurs de systèmes antiaériens en Europe, et en pleine confiance pour étendre leurs parts de marchés sur le vieux continent.

C’est dans ce contexte particulier, que les industriels israéliens viennent de faire une proposition des plus déroutantes à leurs homologues européens engagés dans le programme HYDEF, et par transitivité, à la Commission Européenne.

L’industrie israélienne propose son aide pour developper l’intercepteur hypersonique européen

En effet, selon le site defense-industry.eu, ils auraient proposé de participer au programme HYDEF au travers de transferts de technologies, mais aussi en participant directement au développement du système lui-même. On comprend, au travers de l’article cité, que des contacts auraient déjà été pris avec certains industriels européens à ce sujet.

Arrow 3
L’Allemagne a officialisé la commande du système antibalistique israélien Arrow 3 dans le cadre de l’initiative European Skyshield. Des interrogations subsistent quant à l’efficacité de ce système, conçu pour contrer les IRBM iraniens, face aux missiles à trajectoire semi-balistique ou hypersonique russes.

Rappelons qu’effectivement, Israël peut revendiquer une expérience avérée dans le développement de systèmes sol-air efficaces, le pays étant notamment protégé par une défense multicouche constituée des systèmes Arrow 2 et 3 antibalistiques(équivalents au THAAD), du système David Sling à moyenne portée (équivalent du Patriot PAC ou du Mamba), et du système Iron Shield à courte portée, dont la conception est relativement unique dans le monde.

En outre, si aucun système antiaérien israélien, conçu pour contrer les missiles et planeurs hypersoniques, n’est actuellement en service, IAI, le concepteur de l’Arrow 3, développe depuis plus d’un an, maintenant, le système Arrow 4, destiné précisément à contrer les nouveaux missiles balistiques iraniens qui suivent des trajectoires semi-balistiques et disposent de capacités de manœuvre, précisément pour déjouer les systèmes antibalistiques israéliens.

De fait, et en dehors des États-Unis, il ne fait aucun doute que les industriels israéliens font partie des partenaires étrangers les plus à même d’épauler leurs homologues européens dans la conception du système HYDEF. Ce serait toutefois oublier qu’il existe bel et bien, en Europe, un consortium industriel qui, lui aussi, dispose d’une grande expérience sur le sujet.

Programme Aquila : le contre-projet lancé par les concepteurs français et italiens du missile antibalistique Aster Block 1NT

En effet, depuis la douche froide infligée par la Commission Européenne, visiblement plus concernée par un consortium européen élargi plutôt que par l’expérience et les compétences sur le sujet, MBDA et Leonardo ne sont pas restés à bouder, bien au contraire.

programme HYDEF mBDA Aquila
À l’occasion du Paris Air Show 2023, MBDA a présenté l’intercepteur hypersonique Aquila, qui sera codéveloppé pendant trois ans avec l’Italie, l’Allemagne et les Pays-Bas.

Ainsi, à l’occasion du Paris Air Show 2023, le missilier européen a présenté le projet Aquila, qui vise justement à concevoir un intercepteur hypersonique. Ce programme prometteur franco-italien avait d’ailleurs été rejoint, avant même sa présentation publique, par les Pays-Bas, mais aussi par l’Allemagne, avec la signature d’une lettre d’intention par ces quatre pays pour développer un ou plusieurs intercepteurs antibalistiques hypersoniques.

La phase d’étude de ce programme, baptisé HYDIS2 pour Hypersonic Defense Interceptor System, va durer 3 ans, et mobilisera, outre les 4 pays cités, une trentaine d’entreprises européennes appartenant à 14 autres pays européens.

En d’autres termes, aujourd’hui, un programme européen parallèle au HYDEF lancé et financé par la Commission européenne, suit une trajectoire autonome, pour développer exactement le même système que leurs homologues européens dont on peut supposer qu’ils rencontrent certaines difficultés, puisqu’ils se sont vus proposer l’aide des israéliens.

Vers une fusion des programmes HYDEF et Aquila ?

Il est probablement temps, pour la commission européenne, de réviser son arbitrage concernant l’attribution du programme HYDEF, et de prendre en compte, en particulier, l’urgence du besoin, mais aussi le manque d’expérience et de compétences des industriels retenus en 2022, comme le démontre la proposition israélienne.

Twister européen
L’intercepteur européen HYDEF doit prendre place dans le système de détection et de suivi européen TWISTER, auquel participe l’industrie française.

Surtout, il doit être absolument clair, pour les décideurs européens, qu’il est hors de question de financer le développement d’une capacité stratégique européenne en s’appuyant sur un pays, certes alliés, mais n’appartenant ni à l’Union européenne, ni à l’OTAN, sur des fonds européens, alors qu’une offre alternative entièrement européenne existe.

Quoi qu’il en soit, la communication israélienne à ce sujet, loin d’ouvrir certaines opportunités comme elle pouvait l’espérer, va très certainement venir durcir les tensions à Bruxelles concernant le programme HYDEF, et affaiblir le bienfondé et la pertinence de l’arbitrage fait par la commission européenne en 2022 à ce sujet.

La France laisse entendre qu’elle n’est pas intéressée par l’idée d’un « porte-avions européen »

La France laisse entendre qu’elle n’est pas intéressée par l’idée d’un « porte-avions européen »

https://www.opex360.com/2023/10/19/la-france-laisse-entendre-quelle-nest-pas-interessee-par-lidee-dun-porte-avions-europeen/


 

« À moyen-long terme, il sera inévitable de se poser la question d’un porte-avions européen », a-t-il en effet déclaré, reprenant ainsi une proposition qui avait été faite en 2019 par Annegret Kramp-Karrenbauer, alors ministre allemande de la Défense.

À l’époque, et au-delà des défis industriels, technologiques et militaires, cette idée avait été écartée par le gouvernement français. « Construire un porte-avions à plusieurs est une chose, le mettre sous un commandement européen en est une autre. Là, c’est beaucoup plus compliqué », avait-il résumé, par la voix de la ministre des Armées, Florence Parly.

Est-ce parce que le nom de Thierry Breton fait partie de ceux cités pour conduire la liste de majorité présidentielle aux prochaines élections européennes? Toujours est-il que, interrogé sur cette proposition de porte-avions européen lors d’une nouvelle audition à l’Assemblée nationale, ce 19 octobre, Sébastien Lecornu, l’actuel ministre des Armées, a fait preuve de « diplomatie ».

« Parler de porte-avions sans parler de groupe aéronaval n’a aucun sens. Ce qui est intéressant tactiquement, c’est le groupe aéronaval dans son ensemble », a commencé par dire M. Lecornu.

Cependant, il a ensuite réfuté l’idée que M. Breton était « hors sol » quand il a avancé cette proposition de « porte-avions européen ».

« Beaucoup de pays européens expriment ce besoin. […] Donc, il y a des réflexions. C’est objectivement un serpent de mer. Donc, Thierry Breton essaie aussi de satisfaire des demandes de pays ayant une marine et ne pouvant évidemment pas se payer un groupe aéronaval », a développé M. Lecornu.

Une précision sur ces pays européens ayant l’ambition de disposer un porte-avions aurait été bienvenue. Parmi les 27, on peut d’ores et déjà rayer de la liste les États membres n’ayant pas de façade maritime [Autriche, Hongrie, Slovaquie, République tchèque]. Quant aux autres, certains ont déjà des difficultés pour se procurer des corvettes ou des frégates… Et peu peuvent se targuer d’avoir une marine de premier rang, notamment pour des raisons géographiques [comme les pays baltes, voire la Bulgarie et la Roumanie].

Il ne resterait donc qu’une poignée de pays européens susceptibles de vouloir un porte-avions européens… sachant que l’Italie dispose déjà de porte-aéronefs [Cavour et Trieste], de même que l’Espagne [Juan Carlos Ier]. Aussi, on peut supposer que l’Allemagne, les Pays-Bas [qui a abandonné ses capacités aéronavales en 1968], voire la Belgique et le Danemark [qui a une forte tradition maritime] seraient sans doute séduits par la proposition de M. Breton.

En tout cas, celle-ci n’intéresse pas la France. Du moins, c’est ce que M. Lecornu a laissé entendre. « Cette déclaration [de M. Breton] n’a aucune incidence sur ce que nous avons lancé, c’est à dire l’entretien du Charles de Gaulle, la modernisation et la soutenabilité de la flotte d’avions embarqués, les travaux du PA NG [porte-avions de nouvelle génération] dont la Loi de programmation militaire consacre son caractère irréversible », a-t-il expliqué.

« Le porte-avions est un instrument de souveraineté absolue », ce qui n’exclut pas sa participation à des missions multinationales ainsi que la présence de navires européens au sein de son groupe aéronaval, a poursuivi le ministre.

« Si on regarde objectivement les choses, en Méditerranée, vous avez un groupe aéronaval américain et vous avez le groupe aéronaval du Charles de Gaulle. Et au fond, ce sont quand même les deux groupes aéronavals qui structurent la sécurité », a-t-il fait valoir. Aussi, « il n’y a pas de sujet sur ce point », d’autant que le porte-avions participe aussi à la dissuasion [via la Force aéronavale nucléaire, FANu], a conclu le ministre.

La veille, également interrogé sur cette proposition de porte-avions européen lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le Délégué général pour l’armement, Emmanuel Chiva, a été plus « expéditif » dans sa réponse, en se plaçant du seul point de vue opérationnel [son « couloir de nage », a-t-il dit].

« Je ne vais pas m’exprimer à la place de ceux qui définissent la stratégie politique et les besoins opérationnels. Ce n’est pas à la DGA [Direction générale de l’armement] de le faire. Néanmoins, il faudrait d’abord avoir un besoin commun qui soit exprimé pour un tel outil. Et je rappelle que la France est un pays un peu particulier dans la mesure où elle est une puissance dotée [de l’arme nucléaire, ndlr]. Et donc elle a besoin de capacités de dissuasion qui ne seraient pas forcément les mêmes à l’échelon européen. Nous, on pousse à l’interopérabilité entre les différents systèmes plutôt que s’interroger [sur cette idée de porte-avions européen, ndlr] », a résumé M. Chiva.

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

La stratégie antinucléaire allemande est un billard à trois bandes

OPINION. Par l’intermédiaire de la Commission européenne et sous l’influence d’Ursula von der Leyen, l’Allemagne a fait pression sur le reste de l’Europe, suivant deux axes. Mettre un terme définitif à l’énergie nucléaire, d’abord. Privilégier l’implantation des énergies renouvelables, ensuite. Cette stratégie, somme toute rationnelle, peut être perçue comme une forme de billard à trois bandes. Par Christian Semperes, Ingénieur énergéticien(*).

                                                                                                      (Crédits : DR)

Une dénucléarisation française sous pression allemande…

L’Allemagne a réussi à obtenir, de haute lutte et avec la collaboration active des gouvernements français depuis deux quinquennats, la fermeture des deux réacteurs de Fessenheim dans l’Hexagone. Moins connu en France, un schéma similaire a conduit à l’arrêt des réacteurs belges Doel 3 et Tihange 2. En témoigne, dans le cas français, la lettre adressée par l’ancienne ministre de l’Environnement allemande Barbara Hendricks à son homologue Ségolène Royal, exigeant la fermeture de la centrale dans les délais les plus brefs. Pour les pays concernés, une telle stratégie équivaut à une privation volontaire de production sûre, pilotable, économiquement rentable et amortie, bas-carbone et non conditionnée aux humeurs météorologiques. En bref, une balle dans le pied. C’est la première bande du billard. L’Allemagne a, quant à elle, « montré l’exemple » en arrêtant définitivement son parc nucléaire au début de l’année 2023, se privant ainsi de 30TWh par an d’électricité à faible impact carbone.

La littérature scientifique a désormais admis que la lutte contre le réchauffement climatique repose largement sur la sortie des énergies fossiles ou, du moins, leur maintien a minima pour répondre à d’éventuels besoins ponctuels. Une évidence que l’Allemagne, contrainte par la sortie accélérée du nucléaire, ignore globalement. Berlin a construit et démarré à Datteln, en juin 2020, une centrale à charbon flambant neuve de 1.100MW, équivalent à 60% des capacités de Fessenheim. Ironie de l’histoire, Élisabeth Borne se réjouissait publiquement à quelques jours près, le 30 juin 2020, de l’arrêt définitif de Fessenheim. « Il y a ceux qui en parlent. Nous, on le fait », affirmait alors l’actuelle Première ministre, répondant à la promesse de campagne de l’ancien Président François Hollande.

Et le maintien d’un puissant parc fossile outre-Rhin

Dans le même temps, Berlin conserve un parc fossile hors norme, comprenant une puissance installée en gaz de 34,8GW ; en lignite et en charbon, de respectivement 18,6GW et 19GW et, en fuel, de 4,7GW, selon les données du portail Energy Charts. Soit, au total, une puissance installée pilotable fossile de 77,1GW pour l’Allemagne, là où la France ne conserve qu’une puissance installée pilotable très largement nourrie par le nucléaire de 61,4GW, auxquels doivent s’ajouter l’hydraulique et notre reliquat de centrales fossiles. C’est la seconde bande du billard. La montée en puissance du parc renouvelable allemand ne peut, à ce jour, pas répondre aux besoins domestiques. Depuis début août, l’Europe de l’Ouest est confrontée à une canicule qui dure et un anticyclone qui force l’ensemble du parc éolien européen à l’arrêt. Pour l’illustrer, le 10 septembre à 10h du matin, le parc éolien allemand, subventionné à hauteur de 500 milliards d’euros d’argent public, ne produisait que 0,18% de la puissance installée. Même la très bonne production solaire ne permet pas à l’Allemagne d’assurer une production d’énergie domestique suffisante pour répondre à sa propre demande.

Dans l’Hexagone, tous les signaux semblent en revanche au vert. En juillet, selon les données du think tank Agora Energiewende, environ un tiers de l’électricité allemande provenait du nucléaire français. Dans le même temps, la France s’est durablement installée sur le podium des pays les moins émetteurs de gaz à effet de serre sur le segment de la production d’électricité, là où l’Allemagne occupe de longue date la queue du classement du fait d’un recours au charbon à des niveaux encore très importants. La faible disponibilité du parc nucléaire l’année passée a certes placé la France en situation d’importatrice nette d’électricité, surtout entre juillet et septembre. Mais le parc nucléaire, qui n’a produit que 2.479TWh en 2022, son niveau de production le plus faible depuis 1988 et en baisse de 30% par rapport aux moyennes de ces 20 dernières années, retrouve aujourd’hui des niveaux de production normaux.

Y a-t-il des arrière-pensées à la stratégie antinucléaire allemande ?

De prime abord, il serait aisé de penser que l’Allemagne se pénalise financièrement en étant entièrement dépendante des importations. En y regardant de plus près, la situation apparaît plus complexe. La stratégie de Berlin est en effet d’éviter de solliciter ses centrales à gaz et de stocker massivement son gaz cet été pour préparer au mieux ses journées sans soleil et, en cas d’anticyclone d’hiver, sans vent. Depuis début janvier, le facteur de charge des centrales au gaz est de 17%, un taux très faible eu égard des capacités de production allemandes, qui se gardent de la marge.

De longues dates, l’Allemagne a donc préparé le terrain chez ses voisins européens, dont certains devraient manquer de production pilotable. Une stratégie qui s’est aussi dessinée au plus haut niveau réglementaire, en témoigne la bataille à la Commission européenne sur l’intégration de l’atome dans la taxonomie verte, obtenue de très haute lutte par la France, en échange de l’inclusion — scandaleuse — du très polluant gaz «naturel ». L’Allemagne pourrait ainsi se positionner comme un fournisseur européen de gaz naturel, dont les besoins devraient être notables cet hiver.

Compte tenu du mécanisme de fixation du prix de l’électricité, l’Allemagne va facturer ses exportations d’hiver au prix fort du gaz devenu rare, évidemment plus fort que ce qu’elle a payé l’électricité en été, 2, 3 voire 10 fois plus cher si une vague de froid intense sévit. L’Allemagne va rafler la mise cet hiver. Une approche qu’il est possible de percevoir comme la troisième bande du billard. Peut-être même que ses pertes estivales sont considérées par Berlin comme un investissement pour l’hiver ? Dans ce contexte, la France doit fermement poursuivre sa stratégie de maintien d’un puissant parc nucléaire, malgré la pression allemande.

____

(*) Christian Semperes a participé au démarrage des 58 réacteurs REP des années 1980-1990, à la conduite des installations, et à la formation sur simulateur des exploitants nucléaires.

Nexter prend les rênes du projet de canon électromagnétique européen

Nexter prend les rênes du projet de canon électromagnétique européen

par – Forces opérations Blog – publié le

La Commission européenne a validé hier une deuxième tranche de 41 projets de R&D soutenus via le Fonds européen de la défense (FED). L’un d’entre eux acte la poursuite du développement d’un canon électromagnétique européen, projet piloté par Nexter (KNDS). 

Gagner en maturité

Baptisé « Technology for Electromagnetic Artillery » (THEMA), l’effort verra Nexter Systems et ses partenaires s’attacher à faire monter en maturité les composants critiques du système, à commencer par l’apport en énergie, le canon proprement dit et le projectile hypervéloce. À terme, cette arme « offrira un intercepteur hypersonique avec une précision et une létalité améliorées », relève la Commission européenne. 

Pour les instances européennes, il s’agira de plancher en priorité sur une solution moyen calibre opérée dont la mission primaire relèvera de la défense anti-aérienne au profit de forces navales et terrestres. « Le canon électromagnétique devrait compléter d’autres moyens défensifs comme les missiles et les canons, et pourrait être adapté à diverses plateformes navales et systèmes de défense aérienne terrestres ». Les applications contre des cibles de surface ne viennent qu’en second lieu. 

THEMA s’inscrit dans la continuité du projet PILUM, lancé en 2021 via le dispositif d’action préparatoire sur la recherche en matière de défense (PADR). À supposer que le calendrier annoncé au lancement de PILUM soit respecté, THEMA devrait ouvrir la voie au démonstrateur complet attendu pour 2028. 

Quand PILUM rassemblait sept acteurs de quatre pays pour un budget de 1,5 M€, THEMA est d’un tout autre calibre. Cette fois, 14 entreprises, laboratoires et autres instituts de neuf pays vont se partager près de 15 M€ pour poursuivre les recherches durant quatre ans. L’équipe de PILUM est entièrement reconduite, et si le cabinet de conseil parisien Erdyn n’apparaît plus, il aura néanmoins participé au montage du projet avec Nexter et reste partie prenante au titre de sous-traitant. L’implication majeure de la France n’a rien d’anodin, cette technologie étant l’une de celles inscrites dans le volet innovation de la prochaine loi de programmation militaire pour 2024-2030. 

La BITD française dans 80% des projets

La quarantaine de projets bientôt soutenus représente un coup de pouce de 832 M€. « Le résultat des appels lancés en 2022 montre une fois de plus que le FED contribue à l’autonomie stratégique de l’UE ainsi qu’à la création d’une base industrielle et technologique de défense européenne plus compétitive et plus intégrée », estime la Commission. 

« Les consortiums sélectionnés rassemblent 550 entités de toute l’UE et de Norvège; les PME sont fortement représentées puisqu’elles représentent 39 % des entités participantes », ajoute-t-elle. La Commission va maintenant entamer les négociations avec les différents groupements en vue de parvenir à la signature d’accords avant la fin de l’année. 

La « moisson » est à nouveau impressionnante pour la filière française. Celle-ci prendra part à plus de 80% des projets adoptés et en conduira près du tiers, tant par l’entremise de grands noms qu’au travers de petites structures. 

La filiale française d’Airbus Defense and Space, par exemple, coordonnera une étude de faisabilité en vue du potentiel développement d’un nouvel avion de transport tactique médian. Un projet de 18 mois financé à hauteur de 30 M€, baptisé « Future Air System for European Tactical Transportation » (FASETT) et directement lié au programme FMTC de la Coopération structurée permanente, également sous pilotage français. 

Crédits image : Le canon électromagnétique de l’ISL – Institut franco-allemand de Recherches de Saint-Louis.