Lors de l’édition 2018 du salon de l’armement aéroterrestre EuroSatory, KNDS France [Nexter, à l’époque] avait dévoilé l’Optio X20, son premier robot armé. En réalité, il s’agissait d’une mule robotisée THeMIS [fournie par l’estonien Milrem Robotics, ndlr] équipée de la tourelle téléopérée ARX-20 de 20 mm. Ce projet n’eut pas de suite. Ou, du moins, il ne suscita pas l’intérêt de l’armée de Terre.
Puis, cinq ans plus tard, KNDS France s’est associé à SERA Ingénierie, une filiale du groupe SOGECLAIR, afin de former le « champion français de la robotique militaire »et, partant, de développer un robot terrestre à partir de la plateforme « PHOBOS » afin de répondre aux besoins de l’armée de Terre.
« Grâce à une architecture robotique pointue, ce robot remplira des missions dangereuses comme du contreminage en assurant la sécurité de ses opérateurs » tout en « conjuguant au mieux mobilité, ergonomie et faible empreinte logistique », avaient expliqué KNDS France et Sera Ingénierie, lors de l’annonce de leur partenariat.
Partenariat qui a permis de mettre au point le véhicule robotisé Centurio. L’an passé, lors d’essais réalisés au camp de Canjuers, ce dernier avait « démontré sa grande mobilité » sur les terrains difficiles ainsi que ses capacités de « franchissement et de tractage rapide sur de longues distances ». Puis, lors d’EuroSatory 2024, KNDS France a présenté un Centurio doté d’un canon de 20 mm.
Depuis, la gamme s’est enrichie. Le 7 février, la Direction générale de l’armement [DGA] a illustré l’annonce de la notification du contrat-cadre DROIDE à KNDS France et Safran Electronics Defense avec une photographie montrant un Centurio armé.
Dix jours plus tard, KNDS France en a dit plus au sujet de ses projets en la matière. En effet, à l’occasion du salon de l’armement IDEX 25, organisé à Abou Dhabi, l’industriel a officiellement présenté le Centurio X-30, c’est-à-dire un Centurio doté d’une tourelle ARX-30 de 30 mm. « Officiellement » car l’industriel avait déjà communiqué – succinctement – à son sujet via le réseau social X, en octobre dernier.
« Nous sommes fiers de voir notre plateforme Phobos intégrée au Centurio X-30, la dernière innovation en robotique terrestre de KNDS France, dévoilée à IDEX 2025 », a commenté Sogeclair, via le réseau social LinkedIn. « Cette collaboration initiée il y a deux ans aboutit aujourd’hui à une alliance unique entre un système d’arme de pointe et la mobilité exceptionnelle de notre plateforme. Une avancée majeure pour l’innovation en robotique terrestre », a ajouté François Traxel, le directeur commercial du groupe.
De son côté, KNDS France a expliqué que le Centurio X-30 a été conçu pour apporter un « appui-feu lourd aux unités débarquées tout en pouvant être téléopéré ».
Et d’ajouter : « Grâce à ses capacités de mobilité autonomes, Centurio X-30 assiste l’opérateur en s’adaptant aux conditions du terrain. Il permet ainsi de réduire la charge cognitive en phase de faible intensité et d’apporter un soutien précieux à la prise de décision lors des engagements de haute intensité ».
Pouvant atteindre la vitesse de 60 km/h et évoluer sans avoir besoin de signaux de géolocalisation par satellite, le Centurio X-30 est mis en œuvre par un seul opérateur, chargé notamment de l’armement. Ce robot est doté de liaisons suffisamment « robustes » pour ne pas être perturbées par le brouillage électronique.
Réorganisation du Centre expert dans la plongée humaine et l’intervention sous la mer [CEPHISMER], expérimentations de nouvelles capacités, missions Calliope, acquisition de drones et robots sous-marins, partenariat avec l’IFREMER, etc. Ces derniers mois, la Marine nationale se met en ordre de marche pour être en mesure de mener des opérations dans les grandes profondeurs [jusqu’à moins 6 000 mètres], conformément aux orientations de la stragégie ministérielle de maîtrise des fonds marins, dévoilée en février 2022.
Cette dernière se résume en trois points : connaître, surveiller et agir.
Ainsi, il s’agit de cartographier les fonds marins, de mesurer les variations du champ de gravité de la Terre [on parle de gravimétrie], lesquelles peuvent avoir une influence sur les centrales inertielles, ou encore de collecter des informations sur les sédiments, qui, selon leur nature, sont susceptibles d’avoir des effets sur la propagation des ondes acoustiques.
En clair, la fonction « connaissance » a des implications au niveau opérationnel. Elle « permettra d’améliorer l’efficacité de nos moyens dans les grandes profondeurs et de faciliter leur navigation au sein de notre Zone économique exclusive et de nos zones d’intérêt », souligne la stratégie ministérielle.
La fonction « surveillance » concerne évidemment les infrastructures sous-marines sensibles [câbles de télécommunication, gazoduc, etc.], lesquelles sont susceptibles de faire l’objet d’actes malveillants, dans le cadre de ce que l’on appelle la « guerre hybride ». D’où la nécessité de disposer de moyens d’action pour intervenir si nécessaire.
« À l’instar de la surveillance et de la recherche, notre capacité à agir doit également être élargie afin de pouvoir opérer jusqu’à 6 000 m de profondeur. Il sera nécessaire de doter la Marine de capacités militaires complémentaires aux programmes d’armement actuels afin de pouvoir intervenir, même en milieu contesté », est-il expliqué dans la stratégie ministérielle.
Cela étant, cette capacité d’intervention a généralement été présentée comme étant défensive ou comme devant permettre de récupérer des objets « sensibles » dans les grandes profondeurs. Or, elle comporte un volet « offensif ». C’est en effet ce qu’a indiqué le contre-amiral Cédric Chetaille, coordonnateur central pour la maîtrise des fonds marins, lors du dernier point presse du ministère des Armées, le 13 février.
«Agir, ça veut dire aussi être en mesure de neutraliser ou de détruire des cibles chez l’adversaire puisque la maîtrise ne vise pas seulement un volet défensif mais développe aussi des options offensives au profit du chef d’état-major des armées [CEMA] et des opérations qu’il décidera », a affirmé le contre-amiral Chetaille.
« Donc, on s’entraîne, lors des missions Calliope, pour en être capable le jour où cela sera nécessaire et décidé », a-t-il ajouté, sans évidemment donner plus de détails, sensibilité du sujet oblige.
Cependant, le contre-amiral Chetaille a laissé entendre que les fonctions « connaissance » et « surveillance » contribuaient également à ce volet offensif étant donné qu’elle permettent de « collecter » des « informations sur l’infrastructure, les points de faiblesse ou les systèmes militarisés adverses posés sur les fonds marins ».
Justement, ces « systèmes militarisés », qui sont une source de « préoccupation », pourraient faire l’objet « d’actions offensives » menées par « nos futurs robots, des actions spéciales navales ou par des moyens de minage », a-t-il conclu.
L’Armée française sera bientôt la plus moderne d’Europe en confiant les rênes de sa robotisation à 2 géants de l’armement dans l’hexagone
L’Armée française passe la seconde avec le programme DROIDE pour une intégration accélérée.
La Direction Générale de l’Armement (DGA) française a franchi une nouvelle étape dans le développement de la robotique militaire en attribuant un accord-cadre de sept ans à KNDS France et Safran Electronics & Defense. Ce programme, nommé DROIDE, s’inscrit dans une démarche plus large visant à moderniser les capacités militaires de la France dans les systèmes autonomes et à renforcer l’utilisation des plateformes robotiques terrestres d’ici 2030-2035.
La DGA commence le programme DROIDE pour moderniser l’armée française avec la robotique militaire
Le programme DROIDE est un pivot central dans la stratégie d’intégration de la robotique dans le combat terrestre, une priorité que la DGA explore depuis plusieurs années. L’Armée française évalue le potentiel des systèmes robotiques pour soutenir les opérations militaires dans les domaines logistiques, de reconnaissance et de combat. L’accord-cadre DROIDE vise à faire avancer la maturité technologique des plateformes robotiques tout en tenant compte des défis spécifiques posés par le terrain et les conditions opérationnelles.
Développement et innovation
Ce programme prévoit le développement d’un démonstrateur robotique terrestre multi-missions conçu pour assister les unités de combat et réduire l’exposition des soldats aux risques. L’histoire récente de la robotique militaire en France montre une expansion progressive des capacités dans ce domaine, notamment avec le programme FURIOUS qui a précédé DROIDE et a conduit au développement de trois démonstrateurs de différentes tailles pour la reconnaissance de zone, l’exploration de bâtiments et le transport d’équipements.
Phase contractuelle et expérimentations
Suite aux progrès réalisés sous le programme FURIOUS, une nouvelle phase contractuelle a été attribuée à Safran Electronics & Defense en 2022, après des essais réussis en 2021. Cette phase s’est concentrée sur l’optimisation de l’architecture modulaire des systèmes, tant matériel que logiciel, pour améliorer leur niveau d’autonomie.
Essais sur le terrain et perspectives futures
L’Armée française a augmenté ses efforts d’expérimentation sur le terrain, menant des essais avec une mule robotique au Sahel et lançant le défi CoHoMa. La Loi de Programmation Militaire (LPM) 2024-2030 a renforcé cette approche en soulignant la nécessité de développer des robots terrestres capables d’interagir avec les soldats et leur environnement sous contrôle humain, réduisant ainsi les risques pour les forces déployées.
Enjeux techniques et opérationnels
Cependant, le déploiement de systèmes robotiques armés présente des défis techniques et opérationnels complexes. Le général Pierre Schill, lors d’une audience au Sénat en novembre 2024, a souligné les difficultés associées au mouvement autonome et au contrôle du feu. La LPM prévoit une intégration initiale de ces systèmes robotiques d’ici 2030, tout en continuant les tests nécessaires pour garantir leur efficacité et leur sécurité dans les environnements opérationnels.
Renforcement de l’écosystème technologique français
L’accord-cadre DROIDE est conçu pour inclure des partenaires tiers offrant des solutions innovantes, renforçant ainsi l’écosystème industriel et technologique français dans ce domaine. Safran Electronics & Defense devrait tirer parti de son expérience du programme FURIOUS, notamment avec ses mini-robots Nerva et la mule robotique Ultro 600. Pendant ce temps, KNDS France s’appuiera sur sa collaboration avec SERA Ingénierie, une filiale du groupe SOGECLAIR, qui a contribué au développement du robot terrestre Centurio.
Cet article explore l’engagement de la DGA et de l’Armée française à accélérer l’intégration de systèmes autonomes au sein des forces terrestres à travers le programme DROIDE. En structurant la recherche et le développement autour d’un démonstrateur multi-missions, le programme vise à identifier les solutions technologiques les plus adaptées aux besoins opérationnels futurs tout en maintenant la souveraineté industrielle et technologique dans le domaine stratégique de la robotique militaire.
Des molécules organiques trouvées partout dans l’univers suggèrent que la vie a commencé dans l’espace profond
L’univers regorge de mystères fascinants, et parmi eux, les molécules organiques jouent un rôle clé. Ces composés carbonés, découverts aussi bien sur des astéroïdes que dans la poussière interstellaire, pourraient détenir les secrets de l’apparition de la vie. Grâce aux explorations spatiales, les scientifiques multiplient les découvertes, mettant en lumière des acides aminés et autres structures complexes. Mais d’où viennent réellement ces molécules ? Et quel rôle ont-elles joué dans l’émergence de la vie sur Terre ? Découvrons ensemble ce que ces explorations nous révèlent sur nos origines cosmiques.
Des molécules organiques trouvées partout dans l’univers suggèrent que la vie a commencé dans l’espace profond | Armees.com
L’univers, c’est un peu comme un immense terrain de jeu rempli de molécules à base de carbone, connues sous le nom de molécules organiques. Ces petites merveilles pourraient bien détenir les clés des matériaux nécessaires pour que la vie apparaisse. On les trouve un peu partout, que ce soit dans la poussière interstellaire, sur les comètes ou même sur les astéroïdes. Depuis longtemps, elles intriguent les scientifiques qui se demandent comment elles ont vu le jour et si notre chimie biologique ne viendrait pas de ces lointains nuages de poussière.
Que nous révèlent les explorations spatiales ?
Les missions robotiques ont été super utiles pour ramener des échantillons d’espace afin d’étudier ces composés organiques. Par exemple, les missions Hayabusa2 du Japon et OSIRIS-REx de la NASA ont rapporté des échantillons d’astéroïdes comme Ryugu et Bennu. Sur Ryugu, les chercheurs ont découvert au moins 20 000 sortes de composés carbonés, y compris 15 types différents d’acides aminés. Tout ça pose plein de questions passionnantes sur nos origines planétaires et si ces molécules ont pu aider à rendre notre planète habitable.
Et ce n’est pas tout ! Des sondes comme Giotto, qui a analysé la comète 1P/Halley en 1986, ont trouvé une quantité impressionnante d’espèces organiques. Plus récemment, en 2015, la sonde Rosetta, première mission à tourner autour et atterrir sur une comète (67P), a détecté des composés organiques simples tels que la glycine. Et en 2022, Rosetta a identifié pas moins de 44 composés organiques en seulement une journée ! Certains pesaient jusqu’à 140 Daltons (Da).
D’où viennent ces mystérieuses molécules ?
Les scientifiques s’interrogent : est-ce que ces composés viennent de nuages froids et sombres ou se forment-ils près des jeunes étoiles ? Prenons les hydrocarbures aromatiques polycycliques (PAHs) par exemple : ils datent d’environ 1,5 milliard d’années après le Big Bang, ce qui montre bien que cette chimie complexe existe depuis longtemps dans le cosmos. Dans les nuages glacés, des ingrédients simples se regroupent sur des grains de poussière froids pour former des structures plus complexes grâce aux rayons ultraviolets et cosmiques.
Ces réactions chimiques continuent aussi dans les disques protoplanétaires où le méthanol et d’autres molécules survivent à la chaleur intense créée lors des naissances stellaires. Grâce à cette résistance, elles évoluent vers des formes encore plus élaborées avec un potentiel accru pour favoriser l’émergence de systèmes vivants lorsqu’elles arrivent sur une planète.
Un avenir prometteur pour l’exploration spatiale
Les futures missions spatiales sont pleines de promesses pour approfondir notre compréhension des molécules organiques dans l’espace. Des projets ambitieux comme le Clipper Europa de la NASA ou Juice de l’Agence spatiale européenne comptent bien percer ces mystères cosmiques. Un futur rotorcraft destiné à Titan pourrait également révéler des océans cachés sous ses croûtes glacées.
Ces recherches sont importantes pour ceux qui veulent comprendre comment la vie pourrait démarrer ailleurs. Comme le dit Christopher Glein : « Ceux d’entre nous qui cherchent la vie doivent comprendre comment les planètes peuvent acquérir des organiques sans qu’il y ait déjà de vie. » La quête pour savoir comment ces molécules auraient pu être livrées par météorites ou comètes à notre Terre primitive reste un sujet fascinant pour quiconque cherche à savoir « d’où nous venons en tant qu’espèce planétaire », selon Karin Öberg.
En continuant d’étudier ces composés organiques dans l’univers, on ouvre une fenêtre sur notre passé cosmique tout en éclairant nos possibles origines planétaires. En levant les yeux vers le ciel étoilé, chaque découverte nous rapproche un peu plus du grand mystère du début même de la vie telle qu’on la connaît aujourd’hui.
En avril, la France et l’Allemagne ont signé un protocole d’accord visant à relancer leur projet commun de Système principal de combat terrestre [MGCS – Main Ground Combat System], alors bloqué par des désaccords entre les principaux industriels concernés depuis près de sept ans.
Ainsi, pour garantir un partage équitable des tâches, il a été décidé de réorganiser ce projet selon huit piliers capacitaires distincts et de créer une société de projet réunissant KNDS France, Thales, KNDS Deutschland et Rheinmetall. Quant aux choix technologiques à l’origine des querelles entre les industriels, ils devront n’être faits qu’après une évaluation des solutions proposées. Et cela vaut notamment pour le canon du futur char de combat sur lequel reposera le MGCS.
Pour rappel, KNDS France a soumis le système ASCALON [Autoloaded and SCALable Outperforming guN], capable de tirer des obus de 120 et de 140 mm ainsi que des « munitions intelligentes pour des tirs au-delà de la vue directe » tandis que Rheinmetall défend son canon de 130 mm, lequel doit équiper la tourelle de son char KF-51 « Panther » qui, dévoilé en 2022, est en passe d’être retenu par l’armée italienne.
Seulement, cette « compétition » inquiète les parlementaires français, quel que soit leur bord politique. C’est ainsi le cas du député François Cormier-Bouligeon, qui s’en est ouvert dans son avis budgétaire sur le programme 146 « Équipement des forces – Dissuasion ». Même chose pour les sénateurs Hugues Saury et Hélène Conway-Mouret. Dans un récent rapport, ils ont avancé que l’ASCALON risquait d’être « écarté de toute perspective de commercialisation afin de préserver le ‘leadership’ de Rheinmetall et KNDS Deutschland « . Cela « interroge sur l’intérêt même de la création de KNDS et, a fortiori, sur celui de poursuivre le programme MGCS », ont-ils même insisté.
Cela étant, le MGCS ne doit pas être considéré comme étant seulement le successeur des chars Leclerc et Leopard 2 dans la mesure où il s’agit de développer une « famille de systèmes » [chars, drones, robots, etc.] devant reposer sur un « cloud de combat ».
Par ailleurs, ce Système principal de combat terrestre ne devant pas être opérationnel avant 2040 au plus tôt, la question du maintien en service du Leclerc jusqu’à cette échéance se pose. De même que celle d’une éventuelle « solution intermédiaire », censée faire le « pont » entre le Leclerc et le MGCS. Ce qui a été proposé par Nicolas Chamussy, le PDG de KNDS France, en mai 2023.
Lors d’une audition sur l’économie de guerre, à l’Assemblée nationale, le 4 décembre, le Délégué général pour l’armement [DGA], Emmanuel Chiva, n’a pas coupé à une question sur l’avenir du MGCS.
« Sur le char lourd c’est une préoccupation. D’abord, je l’ai dit et je continue à la dire : on ne fait pas n’importe quoi et on a étudié évidemment le fait de pouvoir prolonger, jusqu’en 2040, le Leclerc. On se donne les moyens de se donner du temps », a répondu M. Chiva.
« Le MGCS n’est pas le successeur du Leclerc et il ne préfigure en rien la nature du char lourd. Le MGCS, c’est des moyens de combat terrestre, avec des ailiers scorpionisés, dronisés, dans un cloud de combat », a-t-il ensuite rappelé.
Ce qui ouvre éventuellement la voie à la coexistence de deux chars différents au sein de ce « système de systèmes ».
« On peut se dire que les Allemands pourraient avoir un char lourd différent du char lourd français au sein du même projet. Ça ne me choquerait pas. Ça serait financé sur fonds propres », a en effet affirmé M. Chiva, laissant ainsi entendre que l’initiative reviendrait à KNDS France, qui fait justement la promotion du Leclerc Evolution, doté du système ASCALON.
« Dans le cadre du projet [MGCS], ce que l’on essaie d’avoir, c’est cette architecture de système qui nous permet[tra] de préparer le système de combat futur », a enchaîné le DGA, qui a ensuite évoqué un « plan B », sans plus de précision.
« On soutient nos champions français, qui innovent sans arrêt. Je pense notamment au canon ASCALON, qui est une innovation majeure. […] On a un nombre de possibilités aujourd’hui qui nous permettent de palier le fait que l’on a arrêté des chaînes de production. […] Ce n’est pas en deux ans qu’on résout tous les problèmes mais la Loi de programmation militaire, dans sa déclinaison du combat blindé, est faite justement pour nous éviter toute rupture capacitaire », a conclu M. Chiva.
Sur tous les théâtres d’opération, les armées de drones sont à l’action, modifiant en profondeur les structures de combat. Pour la France, il est urgent de disposer d’une filière de robotique militaire afin de tenir le choc du développement des drones.
Thierry Berthier
La guerre russo-ukrainienne, le conflit israélo-palestinien, la guerre civile du Myanmar (Birmanie), la guerre du Yémen, les opérations de harcèlement menées par les Houthis en mer Rouge, les combats entre narco-cartels mexicains et armée régulière, la potentielle future invasion de Taiwan par la Chine ont un dénominateur commun : la construction et l’engagement croissant d’une « armée des drones ». Celle-ci est employée en phase offensive pour percer les défenses ennemies et en phase défensive pour stopper la progression de colonnes de chars ou de blindés, pour figer un front ou pour frapper dans la profondeur. D’une manière générale, la robotique militaire aéroterrestre transforme le champ de bataille en un espace incompatible avec la vie du combattant humain, qu’il soit embarqué dans un équipage de char, de camion, de système d’artillerie ou de base radar. Les munitions téléopérées (MTO) ou drones kamikazes modifient l’art de la guerre. Elles participent à la construction d’une dissuasion technologique en complément de la dissuasion nucléaire.
Le drone est partout
L’armée française est parfaitement consciente du rôle central des drones sur le champ de bataille et de la nécessité de constituer, au plus vite, une future armée des drones. Elle mène des expérimentations de haut niveau à l’image du 17e Groupe d’Artillerie de Biscarosse et de son laboratoire d’Innovations Drones qui réalise un travail fantastique [1]. La révolution de la robotique aéroterrestre est en marche et les armées sont disposées à en tirer tous les avantages au combat. Le principal défi réside dans la constitution d’une filière industrielle française du drone qui soit robuste, adaptative, scalable et la plus souveraine possible en minimisant les dépendances aux composants électroniques étrangers.
La base industrielle française de robotique militaire s’est structurée au fil des années, sans soutien externe, à la seule force de son innovation. Il existe une quinzaine de constructeurs de drones aériens sur le territoire national en dehors du leader européen et top2 mondial PARROT. De taille modeste (ce sont des startups), ces constructeurs vivent de la vente de leurs produits souvent très innovants et sont capables de rivaliser avec des concurrents internationaux très soutenus par leurs pays d’origine. C’est la différence essentielle entre notre base industrielle de robotique militaire qui évolue sans soutien étatique et les bases industrielles chinoises, russes, turques, iraniennes, américaines, israéliennes, indiennes qui disposent toutes de soutiens financiers et étatiques de très haut niveau. Il en est de même pour la base industrielle française de robotique terrestre qui compte cinq constructeurs dont l’un d’entre eux a atteint le statut de leader mondial des robots évoluant en environnement extrême (SHARK ROBOTICS). Là encore, la croissance de ces sociétés hyper innovantes a été réalisée sans aide externe, au rythme des ventes à l’international. Cette absence de soutien profite à la concurrence internationale et transforme le marché français en espace « Darwinien » où seuls les meilleurs survivent.
Trouver des financements
Concrètement, il est encore terriblement difficile de lever des fonds en France sur un projet de startup de robotique militaire (!). Les fonds d’investissement français sont, par principe, doublement réticents à soutenir le développement de produits « hardware » et encore plus réticents quand ces produits sont destinés au marché militaire… Cette aridité de l’investissement privé (et de la subvention nationale) affaiblit l’ensemble de la filière : Un ingénieur sortant de son école n’a objectivement aucun intérêt à se lancer dans un projet de startup de robotique militaire, car il sait, par avance, que les futures levées de fonds seront un parcours du combattant épuisant et sans issue favorable. Plus grave encore, une société ayant atteint un niveau international aura les mêmes difficultés à boucler un tour de table de croissance « français » d’une levée de fonds de série B ou C.
Développer une filière
À ce jour, aucune initiative n’est parvenue à résoudre cette difficulté de financement souverain de la filière de robotique aéroterrestre. Par conséquent, les constructeurs français qui recherchent des investisseurs n’ont pas d’autre choix que de se tourner vers des fonds étrangers, européens, américains, chinois ou saoudiens. L’aridité du financement de Private Equity, l’aridité des subventions et de la commande nationale détruisent nativement l’ambition de souveraineté. L’instabilité d’un monde multipolaire et le retour de la guerre de haute intensité sur le sol européen nous obligent à casser cette dynamique d’évitement du financement de la robotique militaire. Il faut inciter fiscalement les banques d’affaires et les fonds d’investissement français à investir dans des dossiers de robotique militaire, tout en modifiant leurs chartes d’investissement socialement responsable. Nous devons retourner la situation et rendre « non éthique » l’évitement des projets militaires. L’État doit également se responsabiliser, prendre conscience de cette vulnérabilité en créant un fonds souverain national dédié aux drones aéroterrestres et navals qui permettra de soutenir la filière au même niveau que ce que font la Turquie, l’Inde, Israël, l’Iran, les deux Corées, et les trois acteurs dominants, Russie, Chine, États-Unis.
L’écosystème financier français sait soutenir ses startups d’intelligence artificielle générative avec des levées de fonds rapides et de très haut niveau. Il faut parvenir au même niveau de réactivité et de soutien pour la filière de robotique militaire, car lorsqu’il faudra combattre nos ennemis, ChatGPT ne sera d’aucune utilité face à un char ennemi, contrairement à un drone kamikaze conçu et produit en France [2].
[1] 17e GA Biscarosse – Groupe Innovations Drones :
L’Armée américaine avance dans son programme d’avions d’assaut longue portée et passe à la phase d’ingénierie
**WASHINGTON, D.C.** — L’armée américaine a récemment annoncé que son ambitieux programme FLRAA (*Future Long-Range Assault Aircraft*, littéralement avions d’assaut à longue portée du futur) était sur le point de passer de la phase de développement technologique à la phase essentielle du développement d’ingénierie et de fabrication. Cette transition marque une étape notable dans les efforts de modernisation de l’armée américaine qui visent à redéfinir ses capacités aériennes et son champ d’action opérationnel.
Le projet FLRAA devrait représenter environ 70 milliards de dollars sur sa durée de vie, ventes militaires étrangères potentielles incluses. Ce programme ambitionne de remplacer près de 2 000 hélicoptères multifonctions Black Hawk à partir des années 2030. Au-delà d’un simple remplacement un pour un, le FLRAA est conçu pour assumer et développer les rôles joués par le Black Hawk, en offrant une vitesse, une portée et une capacité augmentées.
En juin dernier, le FLRAA, conçu par Textron Bell, est parvenu à franchir toutes les étapes d’une rigoureuse revue de conception préliminaire et d’une évaluation du Conseil d’acquisition des systèmes de l’Armée. « Après examen du FLRAA en terme d’abordabilité, de viabilité technologique, de projections de menaces et de sécurité, d’ingénierie, de fabrication, de soutien et de risques de coûts, le Conseil d’acquisition des systèmes de l’Armée a confirmé que toutes les sources de risques du programme ont été traitées de manière approfondie pour cette phase du projet », déclarait un communiqué officiel de l’Armée américaine.
**Nouvelle phase de développement et stratégie d’acquisition**
Transitant désormais vers la phase de développement de l’ingénierie et de la fabrication, l’Armée va attribuer une option de contrat à Bell, marquant ainsi le début d’une étape qui pourrait s’élever à environ 7 milliards de dollars avec les phases de production à faible cadence. L’avancée de la conception du basculement d’hélice de Bell a surpassé l’équipe Sikorsky-Boeing qui proposait une conception à pales de rotor coaxiales. Suite à cela, l’Armée américaine a accordé le contrat à Bell fin 2022. Une contestation ultérieure déposée par Lockheed Martin, la société mère de Sikorsky, a retardé le projet d’un an mais a été rejetée par le Government Accountability Office en avril 2023.
Le programme prévoit de doter sa première unité d’appareils à l’exercice 2031, suite à un essai réalisé par un groupe d’utilisateurs limité prévu entre les exercices 2027 et 2028. « Atteindre la phase de développement de l’ingénierie et de la fabrication est une étape importante pour le FLRAA et démontre l’engagement de l’Armée en faveur de notre priorité de modernisation aéronautique la plus élevée » a souligné Doug Bush, le responsable des acquisitions de l’Armée. « Le FLRAA fournira des capacités d’assaut et d’évacuation médicale pour l’Armée du futur, en apportant une augmentation significative de la vitesse, de la portée et de l’endurance ».
**Capacités stratégiques et champ d’action opérationnel**
A l’heure actuelle, les hélicoptères de l’Armée américaine n’atteignent pas les exigences opérationnelles futures, et ceci se fait particulièrement sentir dans des régions étendues comme la zone du théâtre Indo-Pacifique. Pour pallier ce problème, le FLRAA souhaite être capable de parcourir environ 2 440 milles marins (soit 2 810 miles) sans ravitailler, tout en conservant une grande souplesse pour déployer les troupes dans les zones à haut risque. « Les champs de bataille du futur exigent des manœuvres élargies, la capacité de soutenir et de fournir un commandement et un contrôle sur de grandes distances, et bien sûr, d’évacuer nos blessés » a indiqué le général de division Mac McCurry, commandant du Centre d’aviation de l’Armée. « Avec une portée et une vitesse environ deux fois supérieures, le FLRAA apporte une capacité de combat sans équivalent à la Force conjointe ».
Le contrat accordé en 2022 inclut neuf options. Avec cette phase, Bell est chargé de produire des conceptions d’avions détaillées et de construire six prototypes. Le premier avion de cette phase de développement devrait voler d’ici 2026, et la production initiale à faible cadence devrait débuter en 2028. « L’Armée continuera à examiner et à affiner le calendrier au besoin en fonction de l’attribution du contrat et des dernières activités du programme », a indiqué l’Armée.
**Le rôle du digital dans l’ingénierie**
Il est à noter que le programme FLRAA a été un pionnier dans l’utilisation de l’ingénierie numérique dès son début. Cette approche a favorisé une accélération du développement technologique et une précision du design. « L’utilisation de l’ingénierie numérique comme élément clé de notre approche « avancer lentement pour aller vite » a contribué à accélérer le programme en investissant dans le développement des exigences dès le départ » a expliqué le Colonel Jeffrey Poquette, chef de projet FLRAA.
Cette progression démontre l’engagement de l’Armée à préparer l’avenir de ses opérations aériennes, en l’équipant de capacités d’assaut à longue portée de pointe, indispensables sur les champs de bataille mondiaux en constante évolution.
Paolo Garoscio
Journaliste chez EconomieMatin. Ex-Chef de Projet chez TEMA (Groupe ATC), Ex-Clubic. Diplômé de Philosophie logique et de sciences du langage (Master LoPhiSC de l’Université Paris IV Sorbonne) et de LLCE Italien.
Soldiers from the U.S. Army Explosive Ordnance Disposal unit interact with visitors at a Career Expo held at the FIRST Robotics NYC Championship at the Fort Washington Armory in New York on Sunday, April 8, 2018. The expo enables participants to speak with companies and professional organizations giving a real-world look into science and technology as used in the business world and their career opportunities. ( Richard B. Levine) Photo via Newscom/lrphotos114897/ /1804091802
par Dylan Rieutord – Revue Conflit – publié le22 mai 2024
L’autommatisation et la robotisation sont de plus en plus présentes dans les guerres. Cela modifie la façon de combattre mais aussi le rapport de l’homme au combat.
Dylan Rieutord est chercheur spécialiste en robotique militaire. Diplômé en relations internationales, il bénéficie également d’une expérience militaire. Consultant et analyste pour Nova Verse, il publie depuis des années sur la robotisation du champ de bataille.
L’automatisation, la connectivité, les algorithmes s’incarnent de plus en plus et quittent progressivement le domaine de l’invisible pour prendre part au quotidien dans la vie humaine et se répandre dans le tissu sociétal dans son ensemble. Drones, robots, internet des objets, et villes intelligentes sont à la fois les incarnations et les émanations de cette technologie qui irrigue la quatrième révolution industrielle. Ce sont les assistants et compagnons IA, ou bien les robots ménagers et transporteurs, c’est autant de points d’accès qui maillent les territoires avec des capacités non plus seulement passives, faisant de ces avatars et réceptacles de la donnée, au premier rang desquels la ville, des acteurs en puissance. Ces nouveaux acteurs créent un rhizome numérique inédit. Les modèles subjectifs de pouvoir doivent nécessairement muter vers un modèle qui intègre la technopolitique, « un concept qui capture les formes hybrides de pouvoir intégrées dans les artefacts technologiques, les systèmes et les pratiques »¹. C’est la raison pour laquelle le concept de géopolitique de l’ultra-humain prend tout son sens. Il prend en compte pour la première fois dans l’approche géopolitique le non humain ainsi que ses interactions avec l’environnement et la composante humaine. Nous l’utiliserons ici en choisissant le prisme militaire.
L’accès fondamental à l’énergie
Comme pour toute technologie, des ressources socles sont nécessaires. En ce qui concerne celles qui participent de l’ultra humain, quatre sont impératives. Des terres rares, des algorithmes, de l’énergie et de la connectivité. À mesure que la technologie progresse vers plus de maturité et repousse les limites techniques de l’état de l’art, un paradoxe croissant inquiète. Réorienter les dépendances aux matières fossiles vers des solutions hybrides ou électriques est-il si pertinent ? Ces dernières nécessitent des composés produits à 85% par la Chine. Les armements, capteurs, et besoins en connectivité que nous pouvons voir actuellement en Ukraine fonctionnent tous sur batteries et font exploser les besoins énergétiques pour mener la guerre.
Des choix stratégiques vont s’imposer aux armées, car il est illusoire, en tous cas aujourd’hui, de vouloir mener des guerres en s’appuyant uniquement sur des sources d’énergie dites alternatives.
L’électrification du champ de bataille comprend la génération de la puissance, son stockage, sa gestion, et enfin, sa distribution. Selon cette approche de l’énergie, nous pouvons proposer des pistes de réflexion.
Tout d’abord, harmoniser les standards. Les combattants possèdent de nombreux outils et capteurs utilisant bien souvent des batteries différentes, avec des formes et des masses différentes. Le constat est le même pour les véhicules ce qui amène à penser qu’il faut rationaliser et centraliser le système de génération de la puissance. Il faudrait également intégrer l’électrification comme une composante clé de tout système, induisant alors nécessairement une architecture ouverte, de quoi permettre le transfert de puissance selon l’effet à obtenir sur le moment. Cette approche systémique est bénéfique puisqu’elle réduira l’empreinte logistique des services de l’énergie opérationnelle, apportera plus de furtivité au besoin et réduira les signatures thermiques d’ensemble (postes de commandement). Un effort conséquent doit être mené dans la veille et le suivi de la situation électrique. Les déperditions d’énergie, le suivi de la consommation et son optimisation sont des variables affectant considérablement le rendement final. Peut-être qu’une solution globale pourrait améliorer les quatre pans de l’électrification du champ de bataille avec le concept des « power grids ». Ces grilles fictives qui n’existeraient que sur la cartographie terrain seraient dans les faits des plots énergétiques réticulaires permettant la génération, le stockage et la distribution, ponctuelle ou soutenue d’énergie à des éléments qui s’y raccrocheraient.
La géopolitique ultra humaine, qui va littéralement au-delà de l’humain, intègre le non humain, comme acteur, au même titre que l’humain. S’il est aisé de comprendre le non humain à travers ses matérialisations diverses, la ville est moins évidente. Elle devient un acteur majeur dans la bataille en tant qu’entité technopolitique connectée. La démographie et la grammaire de la Guerre aidant, la ville est un champ de bataille potentiel à tout instant dans un conflit. Cet espace interconnecté aux territoires et à d’autres villes, génère un espace de réverbération électromagnétique. Tout acteur, qu’il soit humain ou non humain, pourrait interagir par rebond ou ricochet au sein de la ville, être un acteur ou une cible. La ville incarne une fusion des mondes avec des interactions cyber-objets pour finalement devenir un conteneur « hyper ».
Les zones blanches ou lacunaires se réduisent sur la planète. Ces zones où la connectivité n’existe pas ou est difficile pour certains types de communication reculent face aux constellations Starlink et autres concurrents. La démocratisation de ces systèmes qui permettent une connectivité illimitée partout sur le globe (à l’exception de certains pays pour des raisons géopolitiques) est encore à venir, mais promet de nouvelles approches en liaison de données. La start-up française Ternwaves et sa golden modulation en est le plus bel exemple. La technologie 4G était capable de soutenir de l’ordre de 60 000 objets connectés au km², la 5G en soutient près d’un million. Les projections pour la 6G qui multiplierait par dix les débits porteraient le nombre jusqu’à dix millions d’objets au km². Dans le cas où cette connectivité serait tout de même impossible, pensons par exemple à du brouillage, de la saturation d’onde ou autres, les algorithmes seront des palliatifs.
Le mirage de l’autonomie
L’intelligence artificielle n’existe pas au sens strict du terme. Il s’agit dans les faits d’algorithmes conférant de plus en plus d’automatisation qui ne doit pas être confondue avec l’autonomisation. L’autonomie est un mirage dans lequel beaucoup s’engouffrent, oubliant que même un soldat n’est pas autonome seul. Il fera appel à une complémentarité de compétences, demandera de l’aide. Pour autant, cela évolue très vite, et les algorithmes permettent entre autres aujourd’hui de se déplacer dans en environnement contesté, d’acquérir une cible prédéfinie et de la suivre voire de déclencher le feu. Les discussions éthiques et juridiques freinent l’utilisation en condition réelle de cette dernière capacité, mais pour combien de temps ? Les Ukrainiens pressent pour obtenir des systèmes d’armes létaux « autonomes ». Comment l’humain, à l’échelle d’un combat à la vitesse de la lumière (fibre optique, calcul de processeur) peut-il rester compétitif ou tout simplement en vie ? Il ne peut que s’augmenter, ou laisser place à d’autres moyens combattants.
Les apports du concept dans l’analyse des conflits contemporains et futurs
La géopolitique ultra humaine appartient à l’école réaliste des Relations internationales. Si les algorithmes et la robotique notamment permettent de redistribuer les marqueurs de puissance comme ceux que nous pouvions entendre traditionnellement, ils renforcent la tendance à la « guerre hyper », cette façon de faire la guerre en intégrant les algorithmes et des technologies de pointe qui induisent une boucle OODA (Observe-Orient-Decide-Act) que l’Homme ne peut suivre. Longtemps, les concepts de battlespace, de multimilieux ou bien de champs ont illustré la conceptualisation de l’espace de bataille. La géopolitique de l’ultra humain propose de recentrer l’attention sur le « qui » fait la guerre c’est-à-dire, un élément intangible, peu importe l’évolution technologique, l’Homme.
Le caractère de la Guerre a toujours évolué au gré des apports de la science, sa nature, elle, demeurera toujours humaine.
Les conflits contemporains cherchent à préserver l’humain, tout en le massifiant par des substituts non humains. La notion de haute intensité est séduisante pour le politique et les implications économiques sous-jacentes. Pour autant, elle n’a jamais été pertinente en tant qu’outil d’analyse. Par opposition à la faible intensité, concept américain développé dans les années 1960 pour qualifier tout conflit qui n’aurait pas lieu entre des armées régulières et qui centre l’analyse sur une échelle d’intensité graduelle et la question matérielle, la haute intensité mobilise toute une société, un pays, pour une lutte à mort d’un système.Ces concepts sont partiels et relatifs, ils ont le mérite de qualifier rapidement un conflit pour que nous puissions comprendre les modes d’action et les risques derrière, mais ils servent davantage le politique que l’analyste ou la géopolitique. L’ultra humain permet des postures permanentes, de la saturation à des niveaux jamais encore atteints. C’est aussi l’avènement de la blitzdaten (conquête éclair pour le contrôle de l’onde électromagnétique) permettant la mise en réseau et l’emploi du non humain ainsi que des interfaces nécessaires avec les éléments humains, et de la droneskrieg, les raids fulgurants de drones.
Soldat augmenté, place de l’homme réattribuée, mais en même temps, hypervélocité et traque individualisée, sont les questionnements induits par la massification de systèmes automatisés sur le champ de bataille.
L’hyper guerre génère donc pour l’être humain une hyper létalité. C’était déjà le cas dans le milieu urbain, mais les récents conflits montrent qu’en environnement ouvert, le risque de rapidement succomber à une attaque par drone est exacerbé. Nous pourrions voir ainsi prochainement la multiplication de poches sur le terrain dénué de soldats humains, des no man’s land, préférant l’usage du non humain.
Par l’utilisation de moyens « technocides », des corridors sans technologies possibles généreraient, eux, des no tech’s land. Alors que les Chinois intègrent dans leurs plans d’armement le concept des Three No’s, pour nobody, no see, no hear, nous proposons ici le H3O, les trois O de la réalité hyper. L’omniprésence permet l’omniscience qui conduit à l’omnipotence. L’hyper guerre induit l’hyper létalité, mais la réciproque n’est pas systématique. Nous définissons l’hyper létalité selon quatre critères, la létalité au sens strict, c’est-à-dire l’aptitude et la capacité à détruire. Toutes les armées cherchent à démultiplier leur létalité en réduisant leur « killchain ». La surface de risque pour l’individu augmente à mesure que les données et les algorithmes évoluent dans les villes et en réseau augmentant le risque de la mort. La dilatation de l’espace de bataille en raison des portées d’acquisition des machines, des frappes dans la profondeur ou de la militarisation de tous les champs est le second point. Ensuite, la compression du temps est facilement compréhensible. Traitement à la vitesse de la machine, et multiplication des données en sont les principaux responsables. Enfin, la technologie peut être un catalyseur, à travers ses émanations les plus mortifères pour l’humain, comme avec des armes de destruction massive 2.0 ou bien la géo-ingénierie qui se développe dans un mutisme international et qui attend patiemment de se militariser.
Avec tous ces outils à disposition, la géopolitique de l’ultra humain offre une grille de lecture complète pour s’intéresser aux conflits et à la Guerre lorsqu’ils intègrent le technopolitique. Le sujet de l’humain est bien connu, celui du non humain moins. À commencer par un chaos général d’un point de vue sémantique qui trompe le débat et génère des passions fantasmées. Le pendant non humain de l’Homme est le robot. C’est sur sa définition que cet article se conclura.
Un robot (robota, travail, corvée, serviteur) est une plateforme inhabitée (re)programmable mobile terrestre. Il possède la capacité d’interagir avec un environnement déstructuré administrant la vie humaine. Il déporte et démultiplie le soldat et ses sens. C’est un système d’arme qui agit de façon indépendante ou en réseau. Son autonomie décisionnelle paramétrable détermine la nature du lien avec son opérateur éventuel.
Un drone (bourdon en anglais) est une plateforme inhabitée (re)programmable opérant en milieu fluide, c’est-à-dire dans les airs, l’espace extra-atmosphérique et par extension, le milieu marin. Il produit des effets dans son environnement, projette des capacités en tant que système d’arme opérant de façon indépendante ou en réseau. Son autonomie décisionnelle paramétrable détermine la nature de la station et du lien éventuels avec son opérateur qui le contrôle. S’il venait à pouvoir opérer sur terre (multimilieux), il serait alors considéré comme un robot amphibie ou aéroterrestre du fait de sa réversibilité et son accession au territoire régissant la vie humaine.
¹ Hecht, Gabrielle, « Entangled Geographies: Empire and Technopolitics » in the Global Cold War (Inside Technology), The MIT Press, 352p, 2011.
Emmanuel Chiva, Délégué général pour l’Armement (DGA), à propos de l’intelligence artificielle
Alors qu’aux États-Unis, l’IA parait instable, comme le montre l’affaire de Sam Altman, ancien PDG licencié d’OpenAi, qui vient de revenir à la tête de l’entreprise, cet article explore les ambitions françaises dans le domaine de l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la défense. Il cherche à mettre en lumière la dynamique française et les défis à relever, notamment en matière d’innovation, de réglementation et d’éthique.
À l’occasion du salon Viva Technology (14 au 17 juin 2023), le président de la République a rappelé les ambitions françaises en matière d’intelligence artificielle (IA), à savoir développer un écosystème de talents, diffuser l’IA et la donnée dans l’économie et l’administration, promouvoir un modèle éthique équilibré entre innovations et protection des droits fondamentaux. Depuis 2017, la France s’est engagée dans la voie du développement de l’IA, orientations renforcées par le rapport Villani, « Donner un sens à l’intelligence artificielle, Pour une stratégie nationale et européenne » (8 septembre 2017–8 mars 2018), le rapport parlementaire de l’Assemblée nationale rédigé par Olivier Becht et Thomas Gassilloud, « Les enjeux numériques des armées » (mai 2018) qui a mis en évidence le défi de l’IA comme « un défi pour la R&D et la BITD française ». (cf BITD pour Base industrielle et technologique de défense.)
Un dernier point retient également l’attention : France 2030, qui correspond à un plan d’investissement d’un montant de 54 milliards d’euros sur une durée de cinq ans. Ses objectifs concernent la création de nouvelles filières industrielles et technologiques, le soutien aux acteurs émergents et innovants à fort potentiel (startups et licornes de demain) afin de remédier au retard industriel français. Seules la consolidation et la continuité des actions déjà menées permettront aux entreprises de la BITD françaises de tirer leur épingle du jeu.
La donnée au cœur de la compétition des puissances
Avant d’aborder le cœur du sujet, il est opportun de définir l’intelligence artificielle. De quoi s’agit-il ? Selon le Journal Officiel, elle est le « champ interdisciplinaire théorique etpratique qui a pour objet la compréhension demécanismes de la cognition et de la réflexion,et leur imitation par un dispositif matériel etlogiciel, à des fins d’assistance ou de substitutionà des activités humaines » (9 décembre 2018). Cette technologie réunit conjointement des capacités de perception, de compréhension et de prise de décision, c’est-à-dire qu’elle reproduit de manière artificielle, comme son nom l’indique, le processus de pensée humain, voire au-delà. Subséquemment, l’IA est devenue un outil incontournable dans notre quotidien et offre de nombreux services (application météorologique à reconnaissance vocale, robot à usage domestique, GPS, etc.). Corrélativement et sans commune mesure, elle concerne également la défense (aide à la décision et à la planification, renseignement, combat collaboratif, robotique, opérations dans le cyberespace, logistique et maintenance).
Le champ d’application de l’IA est donc dual : source de transformations rapides et d’échanges où l’innovation joue un rôle d’accélérateur. Dans cet écosystème spécifique, elle suscite de plus en plus l’intérêt. Ainsi, son essor tient à deux principales raisons : la potentialité quasi illimitée de traitement automatique d’une masse de données dans un temps restreint ainsi qu’une capacité d’apprentissage, et la création d’applications qui touchent une multitude de secteurs. En ce sens, une compétition mondiale a été lancée de manière effrénée où les États-Unis et la Chine imposent leur rythme tandis que l’Europe accuse un certain retard. Toutefois des efforts sont consentis, à noter la date du 30 octobre 2023 qui correspond à la deuxième réunion trilatérale entre la France, l’Allemagne et l’Italie dédiée au développement d’une vision stratégique sur l’IA dans le cadre d’une politique industrielle commune.
La dynamique française
Face à cette course, la France affirme sans détour, dans son discours politique, que pour être souveraine trois points doivent être maitrisés : la convergence des algorithmes, la collecte des données et la capacité de calcul. Dans la pratique, les priorités françaises sont la modernisation de ses activités avec la rénovation de son infrastructure numérique. Elle aura pour perspective soutenir l’accueil de la masse de données et les algorithmes nécessaires au développement de l’IA. Durant l’année 2022, la conduite de cette stratégie s’est matérialisée par la création de 590 startups dédiées à l’IA, et de notamment 16 licornes qui ont généré une levée de plus de 3,2 milliards d’euros (contre 556 millions d’euros en 2018).
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Appliquée à la défense, la supériorité technologique (IA, essaim de drones, quantique, etc.) des armées figure parmi les objectifs de la Loi de programmation militaire 2024-2030. Notamment, il est prévu un financement à hauteur de 10 milliards d’euros pour l’innovation. Dans ce cadre, l’engagement d’un ensemble d’acteurs s’avère essentiel, orientation soutenue par l’Agence innovation de défense (AID), à savoir aussi bien les secteurs industriels (entreprises de la BITD, startups) et académiques (universités, centres de recherche), tout en favorisant l’ouverture et la discussion avec le domaine militaire. L’IA comporte des progrès significatifs qui doivent être exploités, toutefois les potentialités quasi illimitées des technologies de l’IA exigent une plus grande maturité et de fiabilité.
Un développement compétitif et fiable de l’IA
L’intelligence artificielle est souvent assimilée à une sorte de « boîte noire » qui tient à une certaine opacité de la donnée. Plus précisément, la difficulté résulte de la méconnaissance des algorithmes utilisés et de leurs corrélations. La question de la discrimination par la donnée et la menace de voir s’installer des systèmes autoritaires fait également partie des discussions. Ainsi, les critères liés aux données utilisées et à leur qualité, et par extension les biais algorithmiques, constituent un des points faibles de cette technologie. Dans cette perspective, le critère d’explicabilité d’un algorithme, c’est-à-dire la transparence des résultats transmis par l’IA et la bonne compréhension des mécanismes de son apprentissage statistique (de sa création à son utilisation), correspondent aux principaux axes d’effort à fournir. À titre d’exemple, en cas de données erronées, l’algorithme sera inévitablement impacté et les résultats de ce dernier appliqué à une situation réelle risquent par ricochet d’être altérés également.
L’absence de réglementation, les règles de mise en œuvre et les dispositifs constituent des zones grises, notamment au sujet de la responsabilité des concepteurs et celle liée à l’utilisation de données biaisées. Ainsi, la seule compétition et les défis de l’industrie de défense française ne se situent pas uniquement dans le cadre d’une rivalité mondiale. Pour se réaliser, en plus d’être novatrice, elle doit intégrer un cadre juridique inédit ; gage d’autonomie, de souveraineté technologique et de la généralisation future de l’IA. Entre innovation et normes, les entreprises de la BITD sont à même de développer des solutions inédites eu égard aux efforts entrepris et de leur savoir-faire qui ne se fondent pas exclusivement sur la donnée. D’ailleurs, des équipements déjà existants et opérationnels servent de supports aux logiciels de l’IA permettant de prendre un chemin d’évolution plus sûre et progressif.
Un comité français de l’IA
A l’interface des sciences, des techniques et des sciences humaines, l’intelligence artificielle génère des enjeux de toute sorte (opérationnel, maîtrise technologique, souveraineté, autonomisation, juridique, éthique, etc.). De ce fait, de nombreux défis doivent être relevés et les entreprises de la BITD françaises ont à poursuivre les efforts réalisés. Une attention particulière est portée afin que celles-ci ne soient pas écartées de la compétition mondiale avec le risque de perdre leur autonomie.
L’IA est loin d’avoir terminé sa course et elle pourrait constituer dans un horizon très proche une part essentielle des futurs systèmes d’armes. Elles offrent un panel d’application extrêmement large qui intègre aussi bien les intérêts militaires que civils et l’on ne saurait la réduire au simple champ létal. Ces perspectives mettent en avant la nécessité de privilégier la dualité et la coopération entre les différents acteurs pour le développement d’une IA forte et dans le respect d’une communauté de valeurs. A savoir, si la mise en place, par la première Ministre en septembre 2023 d’un comité de l’intelligence artificielle générative (composé d’acteurs des secteurs économique, de recherche, technologique, de recherche, et culturel), permettra dans les prérogatives fixées à 6 mois de consacrer une feuille de route novatrice.
Depuis quelques années, il apparait que la plupart des armées européennes font face à une importante crise des effectifs, peinant à recruter et fidéliser leurs personnels, sujet plusieurs fois traité sur notre site depuis quelques mois. Ces difficultés sont d’autant plus intenses ces derniers temps que, suite à l’agression russe contre l’Ukraine, nombre de ces armées ont entrepris de retrouver de la masse, et donc d’augmenter leurs objectifs de recrutement, souvent sans grand succès, bien au contraire.
Il est vrai qu’au-delà d’un nombre réduit de candidats, les armées tendent désormais à vouloir recruter des profils de mieux en mieux formés, ceci étant imposé par l’augmentation rapide de la technologie à tous les échelons de l’action militaire, alors que les standards physiques et psychologiques ont, quant à eux, été maintenus, créant naturellement une plus forte tension sur le filtre initial des « admissibles ».
Si le recrutement est plus difficile, la fidélisation des militaires l’est semble-t-il tout autant. De nombreux rapports, en Europe comme aux Etats-Unis, font état d’un taux de réengagement bien plus faible aujourd’hui qu’il ne l’était précédemment, lié notamment à l’attractivité du secteur privé friand des compétences acquises par les personnels militaires, mais également à une plus faible résilience globale face aux contraintes de la vie militaire, par ailleurs bien peu valorisée, y compris au sein des armées elles-mêmes.
Les compétences techniques acquises par les militaires sont très prisées du secteur privé
Ces deux difficultés se cumulant, les armées européennes voient aujourd’hui leurs pyramides des grades, des âges et des compétences, consubstantielles de l’organisation hiérarchique militaire, directement menacées à moyen terme, au point que ce phénomène pourrait venir altérer directement le potentiel militaire, et donc dissuasif, de ces pays, dans un contexte international bien peu permissif dans ce domaine.
Toutefois, outre ces aspects techniques expliquant les rapports récurrents mettant en évidence les difficultés en matière de Ressources Humaines rencontrées en Italie, en Allemagne, en Suisse ou au Royaume-Uni, un second phénomène, bien plus problématique, est à l’œuvre à moyen terme, qui viendra potentiellement altérer les capacités de recrutement, donc les formats mêmes des armées européennes dans les années et décennies à venir.
Une menace à moyen terme sur les effectifs impossible à éviter ?
En effet, la démographie européenne, avec un taux de fécondité moyen sous la barre des 1,5 enfant par femme masquant d’importants écarts entre les 1,83 français et les 1,2 italien et espagnol, mais également un âge moyen passé de 36 ans en 2000 à 42 ans en 2023, et un endettement moyen des États qui a augmenté de presque 50% passant de 62% en 2008 à 92% en 2021, constituent une conjonction de facteurs des plus inquiétants pour les politiques de recrutement des armées européennes dans les années à venir.
Le nombre relatif de candidats va ainsi diminuer, du fait d’un nombre plus réduit d’enfants, donc de jeunes éligibles aux fonctions militaires. Dans le même temps, l’action conjuguée du vieillissement de la population et de la dégradation des finances publiques, va inciter les gouvernements à privilégier les profils productifs, donc fléchés vers le privé, ne serait-ce que pour tenter de maintenir à flot les comptes sociaux.
30% des effectifs de la Bundeswehr devront avoir quitté le service d’ici à 2027 après avoir atteint la limite d’âge
Les entreprises, elles aussi, vont accroitre leur attractivité pour tenter de maintenir leurs propres effectifs et leur activité. De fait, il semble presque inévitable, dans les 20 années à venir, que les formats des armées que nous connaissons aujourd’hui, en particulier des armées ayant fait le choix de la professionnalisation, soient appelés à considérablement baisser partout en Europe.
De même, le recours à la conscription, qui prélève une grande partie d’une tranche d’âge pour une année du circuit productif, sera également de plus en plus difficile à maintenir dans le temps, pour des aspects plus économiques et politiques que sociétaux, rendant l’horizon particulièrement sombre pour les armées européennes d’ici à 2035 ou 2040, et encore davantage au-delà.
Il existe cependant trois alternatives qui, potentiellement, pourraient permettre, si pas d’augmenter les recrutements et de maintenir les formats, au moins d’en atténuer les effets sur l’efficacité de l’outil militaire européen, d’autant qu’elles ne s’excluent pas mutuellement : une restructuration basée sur la réserve d’une part, le recours croissant à la robotisation et aux systèmes automatisés de l’autre, et enfin, une redéfinition des potentiels militaires de chaque pays de sorte à maintenir un effet opérationnel et dissuasif global, tout en spécialisant les armées nationales elles-mêmes.
L’extension du rôle de la Réserve face à la crise des effectifs
La première alternative est de loin la plus évidente et la plus aisément applicable. Il s’agit de faire de la Réserve, ou de la Garde Nationale, le pivot central de l’organisation structurelle et opérationnelle des armées. Dit autrement, cette approche suppose de constituer des capacités presque exclusivement composées de réservistes, partout où cela est possible.
On pense naturellement à toutes les unités constituant le corps de bataille de haute intensité de l’Armée de terre qui, fondamentalement, ne devrait intervenir qu’en Europe, et face à une menace visant directement l’intégrité de l’alliance ou de l’Union européenne, ce qui est cohérent avec l’emploi de réservistes.
Il est également possible, comme c’est le cas pour la Garde Nationale US, de mettre en œuvre des unités techniques, comme des escadrons de chasse, de ravitaillement en vol, ou de drones opérés par des réservistes, ainsi que d’unités de protection côtière et des infrastructures militaires, pour ce qui concerne la Marine et les forces aériennes.
Les militaires professionnels, quant à eux, assureraient l’encadrement et le transfert de compétences à ces unités de réservistes constituées, et formeraient, de plus, le pilier des capacités militaires ne pouvant être déléguées à la réserve, comme la dissuasion ou la projection de puissance.
Le 24ᵉ régiment d’infanterie de Vincennes est le seul régiment de l’Armée de terre exclusivement composé de réservistes
Cette approche a plusieurs avantages notables. D’abord, une capacité réserviste coute sensiblement moins cher qu’une capacité équivalente de militaire professionnel, tout du moins pour l’aspect ressources humaines ,qui représente toutefois presque 40% des dépenses sur le budget des armées françaises.
En effet, même en surdimensionnant la réserve pour maintenir une opérabilité constante, avec, par exemple, trois réservistes contre un professionnel, les couts en matière de solde et de défraiements seraient au moins divisés par 2, tout en augmentant potentiellement la résilience des armées dans le cas d’un conflit ou d’une crise venant à durer.
Ensuite, le prélèvement d’une réserve sur les forces vives productives d’un pays, est bien inférieur à celui d’un militaire professionnel, et même à celui d’une conscription d’un an pour une tranche d’âge donnée.
Fait intéressant, la prise de compétences d’un réserviste s’effectue simultanément dans les armées et dans le civil, par sa propre activité professionnelle. Enfin, les contraintes de la vie militaires étant sensiblement moindre pour un réserviste que pour un militaire professionnel, la fidélisation peut y être renforcée.
Reste évidemment que le recours à la réserve à ses limites. Ainsi, il n’est pas question d’y recourir, comme dit précédemment, pour certaines missions particulièrement intenses comme la posture de dissuasion ou la projection de puissance, ou du moins pas pour en constituer le pivot.
En outre, les militaires professionnels sont naturellement mieux formés, donc plus efficaces en opérations. Tout du moins est-ce un argument souvent avancé, mais mis à mal par l’efficacité des réservistes ukrainiens depuis un an.
Enfin, remplacer en France 100 000 militaires professionnels par 300 000 réservistes, serait tout sauf aisé, et nécessiterait une stratégie et une offre très efficace pour y parvenir, et ainsi compenser l’inexorable diminution des effectifs professionnels pour les raisons préalablement évoquées.
Le recours massif à l’automatisation et la robotique
La seconde alternative à cette crise RH en devenir s’appuie sur un recours massif à l’automatisation et la robotique partout ou cela est possible, pour réduire le besoin en ressources humaines à capacités opérationnelles maintenues.
C’est notamment la stratégie mise en œuvre par les Forces d’Autodéfense nippones, qui entendent s’appuyer massivement sur les drones et la robotisation pour diminuer les besoins en matière d’équipages, qu’il s’agisse d’aéronefs, de navires ou de véhicules blindés.
C’est également cette approche qui est privilégiée aujourd’hui par l’US Navy, qui entend, d’ici à 2045, se doter d’une flotte de 150 navires sans équipage pour lui redonner la masse perdue face à la Chine. Quant à la Marine Royale néerlandaise, elle a récemment annoncé son intention de construire des corvettes à équipage réduit et très automatisées, pour épauler ses propres frégates.
Fondamentalement, cette stratégie n’a rien de nouveau. Les progrès de la technologie ont depuis fort longtemps permis de remplacer l’action humaine par l’action mécanique, et donc d’en réduire la pression sur les ressources humaines, mais aussi les risques pour les équipages.
À titre d’exemple, les chars moyens de la Seconde Guerre mondiale, comme le M4 Sherman, avaient un équipage à cinq hommes, alors qu’aujourd’hui, les chars modernes, comme le Leclerc ou le K2 Black Panther, ont un équipage à trois hommes, précisément du fait de l’intégration de la robotisation et de l’automatisation ayant notamment permis de remplacer le poste de chargeur par un système de chargement automatique.
À l’instar du Leclerc et des chars russes comme le T90 ou le T14, le K2 Black Panther sud-coréen a un équipage de trois personnes, du fait de l’utilisation d’un système de chargement automatique du canon principal (très inspiré de celui du Leclerc, soit dit en passant…)
Le phénomène est encore plus sensible concernant les navires de combat, qui ont vu leurs équipages, à déplacement égal, divisés par 3 depuis les années 70. Ainsi, les destroyers de 5.500 tonnes de la classe Suffren de la Marine nationale nécessitaient un équipage de 360 hommes dans les années 70 et 80, contre 128 marins, officiers mariniers et officiers pour une frégate FREMM de la classe Alsace, à mission et tonnage équivalents, détachement aérien compris.
Le recours à l’automatisation à de nombreux avantages pour les armées, ce qui explique l’engouement de plusieurs d’entre elles vis-à-vis de cette approche. En premier lieu, elle est relativement simple à planifier. En effet, elle ne repose que sur des aspects industriels et technologiques, plus aisément maitrisables que l’efficacité supposée d’une campagne de recrutement. En second lieu, elle est plus économique dans la durée, et n’impose pas de gestion fine des complexes profils de carrière des militaires professionnels.
Pour autant, elle n’est pas dénuée de difficultés, ni de risques. Ainsi, plusieurs rapports outre atlantiques ont appelé l’US Navy à la prudence dans son basculement vers une flotte partiellement robotisée, car si les navires sont autonomes à la mer, ils nécessiteront néanmoins d’importantes phases de maintenance au port, venant potentiellement saturer les capacités industrielles américaines dans ce domaine.
L’US Navy expérimente les capacités de robotisation d’une partie de sa flotte avec les deux démonstrateurs SeaHunter et SeaHawk
Par ailleurs, les armées, comme les industriels, manquent de recul quant à l’efficacité de ces systèmes, en particulier lorsqu’il s’agit d’en totalement retirer l’homme, mais également quant à la vulnérabilité de ces moyens hautement numérisés à certaines attaques, comme dans le domaine cyber, pouvant potentiellement priver une armée d’une grande partie de ses forces, faute de s’en être efficacement prémunis.
Enfin, elle est d’autant plus pertinente qu’elle s’applique à des armées technologiques, et ne peut pas, par exemple, pleinement remplacer l’ensemble des moyens militaires d’une armée, notamment parmi les plus gourmands en ressources humaines.
Toutefois, il est intéressant de noter que par leurs natures et applicabilité différentes, les deux solutions évoquées jusqu’ici, la réserve d’une part, la robotisation de l’autre, semblent se compléter pour couvrir une grande partie des besoins de l’ensemble des armées, de sorte à, potentiellement, représenter une solution pour absorber la crise des effectifs en devenir, tout en maintenant les capacités militaires nationales dans le périmètre dans lesquelles elles évoluent aujourd’hui.
La spécialisation des armées nationales
Il existe cependant une troisième voie, qu’il convient de ne pas ignorer, qui pourrait effectivement être envisagée pour répondre à la crise des effectifs en développement. Contrairement aux deux précédentes, celle-ci ne vise pas à maintenir le périmètre capacitaire des armées nationales, et admet même qu’il peut être inévitable d’y renoncer.
Pour cela, il conviendrait d’accepter que les armées nationales européennes se spécialisent en fonction de leur emplacement, compétences, contraintes et savoir-faire respectifs, de sorte à préserver une posture dissuasive et une capacité militaire globale suffisantes pour faire face aux crises à venir, tout en optimisant les moyens RH, technologiques et budgétaires à l’échelle des états dans une vision globale d’interdépendance pour en accroitre l’efficacité.
Prosaïquement, cette approche supposerait que les pays d’Europe de l’Est comme la Pologne et la Roumanie se concentrent sur la constitution d’une force terrestre mécanisée de haute intensité, les pays d’Europe centrale et du nord comme l’Allemagne, les pays bas et la Suède, sur les capacités de soutien et de protection, notamment dans le domaine aérien et de l’artillerie à longue portée, les pays d’Europe du Sud, Italie, Espagne, Grèce et Portugal, sur des moyens navals en Méditerranée et Atlantique. Enfin, France et Grande-Bretagne feraient ce qu’elles savent le mieux faire, la dissuasion d’une part et la projection de puissance de l’autre.
La spécialisation des armées européennes permettrait à la France de concentrer ses investissements et ses moyens humains sur la dissuasion et la projection de puissance
Cette approche a le mérite d’être extrêmement rationnelle, et relativement facile à planifier et à piloter. En outre, elle suppose une grande interdépendance des États européens en matière de défense, ce qui, au passage, neutralise tout risque de dissension, puisque plus que jamais, la sécurité n’est envisagée que d’un point de vue collectif.
Enfin, elle permet de concentrer le moyen RH, mais également technologiques et budgétaires, par pays ou groupe de pays, ce qui réduit les concurrences fratricides sur la scène internationale.
On notera que la présentation ci-dessus est volontairement manichéenne, mais qu’il est tout à fait possible, et même souhaitable, qu’une approche plus souple, permettant aux pays de s’équiper de certaines capacités sortant de leu périmètre initial, pour peu qu’ils acceptent de respecter les standards et le commandement des pays qui pilotent le sujet, notamment en termes d’armement.
Bien qu’attractive et rationnelle, cette approche a cependant bien peu de chances d’être retenue, puisqu’elle suppose une interdépendance assumée des États européens allant bien au-delà de ce qui aujourd’hui est généralement admis.
En outre, son organisation nécessiterait l’émergence d’un commandement unifié européen, et donc d’une forme de fédéralisation de l’Union européenne x OTAN, loin d’être à l’ordre du jour aujourd’hui. Elle n’en demeure pas moins une solution qui devait apparaitre dans cette analyse.
Conclusion
On le voit au travers de ce long article, félicitations à ceux qui sont arrivés au bout, la menace qui pèse aujourd’hui sur les effectifs et formats des armées, du fait de plusieurs facteurs concomitants, n’est pas sans solution.
Reste que les trois approches évoquées nécessitent, non seulement, un changement culturel plus ou moins profond selon les armées pour les mettre en œuvre, mais également des délais suffisants pour être en mesure de palier progressivement les difficultés qui ont déjà commencé à émerger ces dernières années, et qui ne manqueront pas de s’intensifier à l’avenir.
Comme nous l’avions titré il y a quelques semaines, il est plus que probable que les Ressources Humaines représentent, désormais, la ressource la plus critique dans le dimensionnement, et donc l’efficacité opérationnelle et dissuasive, des armées européennes, et au-delà.
Si, traditionnellement, l’attention médiatique tend à se porter davantage sur l’arrivée d’un nouvel équipement, ou la signature d’un nouveau contrat, c’est incontestablement là que se joue, dès aujourd’hui, la sécurité du vieux continent, face aux bouleversements géopolitiques qui secouent la planète, et dont rien ne semble indiquer qu’ils soient appelés à s’atténuer dans les années à venir.
Article du 22 juin 2023 en version intégrale jusqu’au 12 novembre 2023