Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Nouvelle-Calédonie : la tentation du développement séparé

Debris and burned cars used for blockades and now cleared from the roads, awaiting treatment.
NOUMEA, NEW CALEDONIA – 07/06/2024//JOBNICOLAS_job.0089/Credit:Nicolas Job/SIPA/2406101456

par Eric Descheemaeker – Revue Conflits – pubié le 16 juillet 2024

https://www.revueconflits.com/nouvelle-caledonie-la-tentation-developpement-separe/


Dans son allocution du 14 juillet, Sonia Backès, présidente de l’Assemblée de la province Sud de la Nouvelle-Calédonie, a évoqué l’autonomisation des provinces et un nouveau contrat social. Une intervention qui a fait réagir dans l’archipel et à Paris tant cela pose la question de l’unité de l’île et de ses habitants.

L’heure est grave en Nouvelle-Calédonie. Les « événements » ayant commencé le 13 mai 2024 ont certes largement perdu en intensité, et les caméras de télévision sont retournées en métropole. Pourtant, comme souvent, c’est après que les choses les plus sérieuses commencent : les événements les plus spectaculaires sont rarement les plus significatifs. Pour les observateurs de la situation locale, ce qui est en train de se passer est en réalité beaucoup plus grave que les blocus, les pillages et même les morts (une dizaine) depuis deux mois. Il est possible – en tout cas c’est une hypothèse à prendre avec le plus grand sérieux – que le rideau de l’Accord de Nouméa, déjà bien abîmé il est vrai, se soit déchiré sur l’île : autrement dit, que la conscience se soit faite que le « vivre-ensemble » entre indépendantistes et non-indépendantistes était en réalité une vue de l’esprit.

Vivre-ensemble il n’y aura pas ; au mieux un côte à côte dont on pourrait s’efforcer qu’il ne devienne pas un face-à-face.

Des tensions toujours aussi vives

En parallèle pourrait se dérouler un événement politique aussi majeur qu’invisible : le départ progressif des Calédoniens d’origine européenne, à commencer par ceux, extrêmement nombreux, dont les racines sur l’île sont récentes (les « z’oreilles », par opposition aux Caldoches, de bien plus vieille souche, qui ont souvent des ascendances mêlées et dont le rapport à la France est beaucoup plus complexe qu’on ne l’imagine en métropole). Un tel exode donnerait aux indépendantistes ce que les trois référendums leur avaient dénié : une majorité, à moyen terme, dans les urnes.

C’est à cette aune qu’il faut comprendre le récent et important discours de Sonia Backès, présidente de la province Sud – la province la plus riche, structurellement anti-indépendantistes, et où les Européens d’origine dominent – à l’occasion de la fête nationale. Avec la liberté de ton pour laquelle elle est connue, mais en ayant nous semble-t-il franchi un cap depuis le début des événements à la fois dans la forme et le fond de ses propos, la chef de file des anti-indépendantistes a pris acte de cette cassure entre deux camps antagonistes (deux « sensibilités politiques » et à vrai dire deux « civilisations »), ainsi que de ce possible exode, suggérant de la manière la plus claire que l’esprit de Nouméa était mort. Il n’y a pas de « destin commun » possible, quoiqu’ait pu en penser la gauche romantique d’alors (MM. Jospin et Christnacht). Tout au plus pourrait-il y avoir une cohabitation pacifique sur une même terre, une forme de développement séparé qui est celui que les Accords de Matignon-Oudinot (1988, dix ans avant celui de Nouméa) avaient tenté de matérialiser, à la suite du compromis historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou.

Un « développement séparé » ?

Le mot de « développement séparé » est employé par nous, non par elle. Le but est de mettre aussi directement que possible les pieds dans le plat : car développement séparé, bien sûr, est la traduction française habituelle de l’afrikaans « apartheid » ; et c’est bien de cela dont elle sera accusée. Mais il ne faut jamais céder au terrorisme des mots. Si la cohabitation joyeuse et « créolisée » des individus et des peuples est impossible, alors il nous faut renoncer au romantisme. Or, le moins que l’on puisse dire est que la situation insurrectionnelle de l’île et, surtout, les déploiements de haine à l’égard de l’autre des deux côtés tendraient à suggérer que ce que soit le cas. Les êtres humains, les collectivités politiques et les peuples sont infiniment plus complexes que la doxa pseudo-humaniste qui a dominé depuis plus d’un demi-siècle ne le suggère.

La question soulevée par Mme Backès est infiniment sérieuse et ne saurait être rejetée par simple moralisme.

À ceux qui voudraient la neutraliser à l’aide de références historiques infâmantes, on ne pourrait que demander ce qu’ils proposent en retour. Un Accord de Nouméa-II signé sur les ruines fumantes de Nouméa (la ville) et de Nouméa-I (l’accord) ? Revenir à la case départ d’un processus qui a démontrablement échoué ? Une question sérieuse doit faire l’objet d’une réponse sérieuse, et celle-ci l’est infiniment. L’heure est grave.

Les problèmes de Nouméa sont aussi ceux de Paris

Il ne s’agit pas en ces quelques lignes de proposer une solution : ce ne serait pas non plus sérieux. On se contentera de remarquer que les questions qui se posent là-bas sont très exactement les mêmes qui se posent déjà en métropole, et vont se poser avec une acuité de plus en plus grande dans les années et décennies à venir : comment faire tenir ensemble une société constituée de personnes pour qui les affiliations ethniques et religieuses (« ethnoculturelles » dans un sens large) sont diverses, divergentes, voire potentiellement hostiles ; mais qui comptent pour les personnes en question peut-être d’autant plus que la doxa républicaine leur répète incessamment qu’elles ne devraient pas (puisque nous sommes tous égaux sans distinction &c., &c.) ? Cette question est peut-être la plus importante à se poser à nous, d’abord à Nouméa puis à Paris. Le jacobinisme ayant montré l’étendue de son échec, on pourrait attendre de ses partisans une certaine retenue, et qu’ils laissent une chance à des visions beaucoup plus communautaires (« communautariennes », puisque le mot « communautaristes » semble être devenu un gros mot, sans qu’on ait bien compris pourquoi). Dans une certaine mesure, d’ailleurs, la Nouvelle-Calédonie s’était engagée sur cette voie, mais sans doute de manière très maladroite et inadaptée : il n’est pas certain, pour le dire simplement, que ce dont les Kanaks aient besoin soit d’un droit distinct des contrats ou de la responsabilité civile, comme la République le leur a concédé. Nous avons, quoi qu’il en soit, besoin d’une réflexion profonde sur ce qu’on pourrait appeler la France post-jacobine : cette réflexion commence à Nouméa, mais ne s’y arrêtera certainement pas.

En revanche, il y a un aspect du discours de Mme Backès auquel il convient de marquer une opposition claire : c’est celle de la provincialisation de l’île. Derrière le terme technique d’« autonomisation des provinces » se cache une réalité relativement simple : couper très largement entre elles – politiquement, financièrement, économiquement, socialement, et donc inéluctablement culturellement et humainement – les trois provinces de l’archipel : la province Sud, riche et européenne ; la province Nord, pauvre et kanake ; et les îles Loyauté (celles où eurent lieu en 1988 la prise d’otages d’Ouvéa), également pauvres et autochtones.

Le danger des ingérences étrangères

La tentation d’une telle proposition, nous la comprenons intimement. La province Sud, aux mains des Européens, est fonctionnelle. Elle paye pour les deux autres qui, aux mains des Kanaks, sont dysfonctionnelles et, non contentes d’être financées par « Nouméa la Blanche » et d’être considérablement surreprésentées au Congrès de Nouvelle-Calédonie, mordent constamment la main qui les nourrit, accusée d’être colonialiste. Pour comprendre l’étendue du problème, il suffit d’emprunter l’une des routes qui coupent l’île dans le sens de la largeur, du Sud vers le Nord.

Au moment où on change de province, au milieu des montagnes, la route à l’occidentale de la province Sud devient une voie digne du tiers-monde au Nord.

La tentation, après des décennies d’efforts, d’envoyer ces gens se faire voir est à la fois humaine et compréhensible.

Elle n’en demeure pas moins profondément erronée. Les raisons n’en sont pas difficiles à percevoir, même si elles sont plus faciles à admettre quand on n’est pas directement confronté, sur place, aux « événements » qui s’y déroulent (et dont on ne voit pas d’issue facile, au-delà d’un apaisement bien superficiel quand la fatigue gagnera les combattants).

Un vrai enjeu politique

La raison la plus évidente est d’ordre politique. La province Nord et les îles Loyauté – entités administratives au demeurant parfaitement artificielles, notamment la ligne de partage entre le nord et le sud de la Grande-Terre) – font tout autant partie de la France que la province Sud. On n’abandonne pas des territoires, pas plus là-bas qu’à Mayotte ou en Seine-Saint-Denis, parce qu’ils sont principalement source d’ennuis (ce qu’en un sens ils sont, mais pas que évidemment). C’est une question de principe à laquelle aucune statistique ne pourrait être opposée.

La seconde raison est d’ordre géopolitique. Certes, personne ne parle à ce stade d’indépendance des deux provinces majoritairement autochtones, mais il est parfaitement évident que plus on les coupera du Sud, de Nouméa, de la France, des richesses, de l’administration, etc., plus on les abandonnera à elles-mêmes (c’est l’objectif à peine déguisé) ; et plus on les abandonnera à elles-mêmes, plus on les livrera à des puissances étrangères qui ne nous veulent aucun bien. Comment croire que la Chine, qui lorgne déjà sans se cacher sur notre joyau d’outre-mer ; mais tout aussi bien l’Azerbaïdjan, dont on sait désormais le rôle qu’il joue dans la déstabilisation de la région, peut-être au profit de la Russie ; ou d’ailleurs l’Australie, dont la jalousie demeure tenace même si elle s’exprime moins ouvertement que par le passé, ne s’engouffreraient pas immédiatement dans la brèche ? Le déficit de la province Nord sera réglé par Pékin, qui en retour hypothéquera ses immenses ressources (minières, halieutiques, etc.) : le scénario est tellement bien rôdé dans la région qu’on se sent gêné de devoir même le rappeler. Inutile de dire que les biens hypothéqués ne sont jamais revus.

Non seulement une Nouvelle-Calédonie réduite, de facto, à sa province Sud, ne serait plus la Nouvelle-Calédonie, et n’aurait plus pour la France qu’une fraction de son intérêt géostratégique existant, mais on voit mal comment elle demeurerait viable à plus long terme. Vu la difficulté qu’a la République à maîtriser ce territoire aujourd’hui, on ne place guère d’espoir dans ses chances une fois que d’autres seront sur place.

Une territorialisation sans logique

La troisième raison est qu’il n’y a pas de logique intrinsèque à cette territorialisation. Mme Backès parle de laisser les deux « sensibilités politiques », et derrière elles les deux « civilisations », faire l’expérience de leur développement (séparément, donc). Certes, la province Sud est largement européenne et anti-indépendantiste, là où la province Nord et les îles Loyauté sont essentiellement autochtones et indépendantistes. Mais, d’une part, laisser la province Sud faire la démonstration de son évidente supériorité ne réglera rien à long terme ; surtout, l’équivalence implicitement dressée entre provinces et considérations ethno-politiques est extrêmement simpliste. Il y a un quart des habitants de la province Nord qui ne sont pas recensés comme Kanaks (ce qui statistiquement correspond à la proportion de non-indépendantistes) : il est moralement inacceptable de les abandonner à des gouvernants incompétents, au motif que ce serait là le modèle de développement qu’ils auraient choisi. Quant au Sud, les Européens n’y sont qu’en très relative majorité ; les personnes recensées comme kanakes forment un gros quart de la population, et celles venues de partout ailleurs – les éternelles oubliées, originaires de Wallis-et-Futuna, des autres îles du Pacifique, de Java, du Japon, d’Indochine, de Kabylie, des Antilles même – un gros tiers.

La province Sud n’est pas la Nouvelle-Calédonie européenne : c’est, pour le dire brutalement, la Nouvelle-Calédonie beaucoup plus fonctionnelle parce que les Kanaks n’y ont pas le pouvoir.

Ce n’est pas du tout la même chose. Ce qu’il faudrait espérer, ce n’est pas une sécession de ceux qui se portent encore relativement bien ; c’est de trouver le moyen d’étendre ce modèle de développement au reste de l’archipel. Cela impliquerait sans doute de revenir sur beaucoup des idées romantiques de l’Accord de Nouméa, qui pensait que beaucoup d’amour et de générosité financière à sens unique pouvait être la solution à tout, et notamment sur la surreprésentation (dans une mesure proprement scandaleuse) des provinces majoritairement kanakes et indépendantistes, et une péréquation parfaitement déresponsabilisante à leur égard. Pour le dire là encore très brutalement, l’erreur a été de « donner » les deux petites provinces de l’archipel aux Kanaks, dans l’espoir de satisfaire leur désir de pouvoir. C’est là-dessus qu’il faudrait revenir.

Les problèmes soulevés par Mme Backès et les loyalistes sont donc aussi réels que profonds. Ils méritent qu’on s’y intéresse en vérité, loin des slogans permettant de se donner bonne conscience à peu de frais, que nous voyons partir en fumée devant nos yeux.

La manière de faire coexister des populations ethnoculturellement diverses, voire dans certains cas hostiles, est la question fondamentale qui va se poser à la France, et se pose déjà avec une acuité particulière en Nouvelle-Calédonie. Mais la réduire à une dimension territoriale n’est pas juste ; elle est même dangereuse.

Elle est d’ailleurs une manière de contourner la question qui est plus importante et plus difficile, celle de la cohabitation de ces groupes sur un même territoire. C’est à celle-ci qu’il convient de réfléchir. La chose est complexe et délicate, mais elle est désormais urgente : il en va de la survie, à moyen terme, tant de la Nouvelle-Calédonie que de la France tout entière.


À propos de l’auteur
Eric Descheemaeker est professeur à l’Université de Melbourne

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

La Chine défie l’Alliance Atlantique en Biélorussie

par Franck Alexandre –  RFI Lignes de défense – Publié le


Lundi dernier, la Chine et la Biélorussie ont débuté des exercices militaires conjoints. Ces manœuvres se déroulent à quelques kilomètres de la frontière avec l’Europe. Des exercices militaires atypiques et que l’Otan interprète comme une menace. Jeudi, dans son communiqué final, l’Alliance réunie à Washington s’est inquiétée du soutien apporté par Pékin à Minsk et son allié russe en guerre contre l’Ukraine.

Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024.
Maréchal Dong Jun, ministre chinois de la Défense nationale à Singapour le 31 mai 2024. © Wikimedia Commons.org

C’est le cadeau de la Chine pour les 75 ans de l’Alliance Atlantique. « Un déploiement militaire aux marches de l’Europe, pour répondre aux nouveaux défis mondiaux », indique le ministère chinois de la Défense. Officiellement, il ne s’agit que d’un exercice antiterroriste. Mais l’Otan, réuni à Washington, a immédiatement envoyé un avertissement à Pékin. Et la réaction chinoise ne s’est pas fait attendre, pointe le correspond de RFI à Pékin, Stéphane Lagarde : « Oui, officiellement, ces manœuvres antiterroristes sont des exercices de routine qui n’ont rien à voir avec le sommet de Washington ». Le porte-parole de la diplomatie chinoise a été interrogé sur ce sujet. Voici ce qu’il a répondu aux journalistes : « ces échanges entrent dans le cadre de la coopération militaire normale entre la Chine et la Biélorussie. Il ne vise aucun pays en particulier ».

« Mais tout le monde note évidemment la concordance de calendrier. Et on note aussi que ces opérations, baptisées ‘l’assaut du faucon’, durent quand même 11 jours. Donc c’est long. Elles ont été accompagnées, côté biélorusse, d’une large propagande avec photo du débarquement des troupes chinoises au sol, accueillies chaleureusement selon Pékin. On parle de plus d’une centaine d’hommes côté chinois, c’est essentiellement symbolique. Mais Pékin n’a pas donné de détails en revanche concernant les matériels et les unités de l’armée populaire de libération impliquées dans ces exercices, alors qu’habituellement, les journaux nationalistes ici aiment quand la Chine bombent le torse et n’hésitent pas à le raconter.  Reste que ces exercices se déroulent près de la ville de Brest, en Biélorussie, nous sommes là, à 40 km de la frontière polonaise. Cette formation conjointe vise à renforcer les capacités de coordination des troupes participantes, a aussi indiqué le ministère chinois de la Défense dans un communiqué ».

Pékin évoque une ingérence de l’Otan

Sauf que ces manœuvres inédites, et c’est ce qui irrite l’Otan, ont tout d’un entrainement à la guerre de haute intensité : avec des opérations de nuit, des franchissements de cours d’eau et des simulations de combat en zone urbaine. Pékin démontre ainsi, sa capacité à projeter des forces sur des théâtres extérieurs et à proximité de l’Ukraine. L’Otan accuse Pékin de jouer un rôle déterminant dans ce conflit au travers d’un soutien sans limite apporté à l’industrie de guerre russe. C’est une ingérence occidentale, rétorque la diplomatie chinoise, nous dit Stéphane Lagarde : « Oui, la diplomatie chinoise a aussitôt ressorti une rhétorique maintes fois utilisée dans ce bras de fer avec l’OTAN. Elle parle de mentalité digne de la guerre froide, d’ennemis imaginaires, de tensions provoquées par l’OTAN qui risque de mener à la confrontation. Des mots, là aussi accompagnés d’exercices conjoints. Pékin et Moscou ont annoncé vendredi le début de manœuvres navales et aériennes dans le sud de la Chine. Ça va durer un mois. Pékin tire également à boulets rouges, via ces médias et l’armée des internautes, sur ce qui est qualifié ici d’ingérence de l’OTAN de l’Asie avec le rapprochement Japon / Corée du Sud / Washington qui ne plaît pas du tout, mais alors pas du tout à la Chine ».

Et la Chine, multiplie les signalements stratégiques et défie les alliances, y compris à l’Ouest, comme pour démontrer que du Pacifique à l’Atlantique, ses intérêts et ses frontières n’ont aujourd’hui plus de limites

Intérêt commercial, nécessité stratégique… Pourquoi l’Europe a besoin d’Ariane 6

Intérêt commercial, nécessité stratégique… Pourquoi l’Europe a besoin d’Ariane 6

                                                                        Fusée spatiale EADS Ariane, Le Bourget – France
                                                                            Credits: Alexandra Lande/Shutterstock

par Paul Wohrer, cité par Manon Minaca – IFRI- dans 20 Minutes

https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/interet-commercial-necessite-strategique-leurope-besoin-dariane-6


L’Europe sur orbite : le nouveau lanceur européen, qui doit décoller pour la première fois ce mardi soir, doit permettre à l’Europe de retrouver un accès indépendant à l’espace, une capacité aux enjeux multiples.

20minutes-blue-512.png

«Nous sommes en train de marquer une page importante de l’histoire de l’accès à l’espace. » C’est par ces mots que Carine Leveau, directrice du transport spatial au Cnes, résumait, en conférence de presse le 25 juin, les semaines précédant le lancement d’Ariane 6, prévu ce mardi. Un vol historique très attendu après dix ans de travail, mais aussi et surtout au regard des enjeux commerciaux et stratégiques de cette nouvelle fusée pour l’Agence spatiale européenne (ESA).

Sur le plan commercial, Ariane 6 prend la relève de sa sœur Ariane 5, qui a volé pour la dernière fois il y a un an, en juillet 2023. En service depuis son premier vol opérationnel en 1997, la dernière fusée européenne « était arrivée au bout de ses capacités », « avec une chaîne de production qui vieillissait beaucoup », explique Pier Domenico Resta, responsable de l’ingénierie du système de lancement d’Ariane 6 à l’ESA. Le lanceur, avec ses « contraintes », « n’aurait pas [non plus] satisfait les besoins de constellations [de satellites] qui se développent aujourd’hui ».

[…]

Retrouver un accès indépendant à l’espace

Mais, surtout, Ariane 6 permet à l’Europe de disposer d’un accès indépendant à l’espace, car celle-ci « restait sans lanceur de la classe d’Ariane 5 » depuis son dernier vol. Mais aussi et surtout depuis la fin brutale du partenariat avec la Russie, qui assurait certains lancements européens depuis la Guyane française avec sa fusée Soyouz, après l’invasion de l’Ukraine en février 2022.
 

Une situation de dépendance qui a laissé l’Europe, « pendant une petite année, sans capacité de lancer des satellites, notamment certains satellites militaires ou institutionnels », et qui a « vraiment freiné le programme spatial européen », appuie Paul Wohrer, chercheur à l’Institut français des relations internationales spécialiste de la géopolitique et des stratégies des puissances spatiales.

Et, « quand on n’a plus de porte d’entrée dans l’espace », poursuit le chercheur, les risques sont grands : « On risque de se soumettre soit aux conditions [d’utilisation des satellites] d’une autre puissance, soit éventuellement à ses prix. » Être capable de fabriquer des fusées, de les lancer et de décider du calendrier « en toute souveraineté » est donc « fondamental pour l’Europe aujourd’hui ».

 

L’espace toujours plus stratégique
 

D’autant que les capacités spatiales sont stratégiques, car « absolument essentielles pour garantir le bon fonctionnement de la société et de la vie civile », complète Paul Wohrer. C’est notamment le cas de la constellation de satellites Galileo, le « GPS européen », en cours de déploiement : « On peut utiliser le GPS américain, mais c’est une infrastructure militaire par nature, gérée par les militaires américains, et dont l’Europe n’a jamais eu envie de dépendre », précise le chercheur.

 

« Comment définir ça autrement qu’un intérêt stratégique ? » confirme Pier Domenico Resta. Il en va de même pour le programme d’observation de la Terre de la Commission européenne, Copernicus, utilisé entre autres dans l’agriculture, la gestion des forêts ou des catastrophes naturelles ou l’urbanisme, ainsi que pour la météorologie, « indispensable à de très nombreuses activités », expose Paul Wohrer.

Entretenir le prestige

Plus stratégique encore, disposer d’un accès indépendant à l’espace est primordial pour ce qu’on pourrait appeler le « service public de la sécurité et de la défense », développe le chercheur, « puisque les activités militaires et de sécurité utilisent énormément les informations fournies par les satellites ». Sans oublier que tout ce qui peut être utilisé pour des fonctions civiles peut généralement l’être pour des fonctions militaires : « On peut observer la Terre pour suivre le climat, mais on peut aussi observer ses adversaires. On peut guider sa voiture pour éviter les embouteillages, mais on peut aussi guider des missiles, des bombes intelligentes vers leur cible. En ce qui concerne la communication par satellites, c’est typiquement la télévision, même si c’est un modèle économique en déclin, mais ça marche aussi pour faire ce qu’on appelle du « commande et contrôle » des troupes au sol. »

Enfin, dans une logique de coopération, une fusée comme Ariane 6 et les capacités de lancement qui lui sont associées « favorisent les rapprochements avec les alliés, évoque Paul Wohrer. Ça nous permet, notamment dans le cadre du programme [de retour sur la Lune] Artemis, de fournir des capacités qui sont importantes, et donc d’avoir une coopération continue avec les Américains de très haut niveau ».

Écartant toute idée de concurrence avec les États-Unis, notamment avec SpaceX, Pier Domenico Resta confirme : « Rivaliser avec des acteurs non-européens est très utile pour l’ESA, pour pouvoir proposer des projets de coopération avec d’autres agences comme la Jaxa [l’agence spatiale japonaise]. »

De quoi favoriser, selon Paul Wohrer, « le prestige » de l’Europe, et « montrer que son modèle fonctionne ». Rien que ça… Ariane 6 a le poids du Vieux Continent sur les boosters.

> Voir l’article sur le site de 20 Minutes

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

Avec une LPM 2024-30 en suspens, le ministère des Armées va au devant de gros problèmes budgétaires

https://www.opex360.com/2024/07/08/avec-une-lpm-2024-30-en-suspens-le-ministere-des-armees-va-au-devant-de-gros-problemes-budgetaires/


Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.

Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].

L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.

Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.

En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.

Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.

« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.

Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?

Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.

Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.

Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.

Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…

Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.

Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.

Dossier géopolitique : La désinformation

Dossier géopolitique : La désinformation

Par Pierre Verluise – Diploweb – publié le 7 juillet 2024  

https://www.diploweb.com/Dossier-geopolitique-La-desinformation.html


Docteur en géopolitique de l’Université Paris IV – Sorbonne. Fondateur associé de Diploweb. Chercheur associé à la FRS. Il enseigne la Géopolitique de l’Europe en Master 2 à l’Université catholique de Lille. Auteur, co-auteur ou directeur d’une trentaine d’ouvrages. Producteur de trois Masterclass sur Udemy : « Les fondamentaux de la puissance » ; « Pourquoi les données numériques sont-elles géopolitiques ? » par Kévin Limonier ; « C’était quoi l’URSS ? » par Jean-Robert Raviot.

La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.

Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.

Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.

. David Colon, Pierre Verluise, La guerre de l’information cherche à accélérer la décomposition des sociétés démocratiques. Entretien avec D. Colon

Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des États-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?

Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.

. Estelle Hoorickx, Les menaces hybrides : quels enjeux pour nos démocraties ?

Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.

 

 

Dossier géopolitique : La désinformation
Pierre Verluise
Docteur en géopolitique, fondateur du Diploweb.com
Verluise

. Arthur Robin, David Colon, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. Comment les États mettent-ils en œuvre la guerre de l’information ? D. Colon

Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.

. Estelle Ménard, Jean-Robert Raviot, Kevin Limonier, Louis Petiniaud, Marlène Laruelle, Selma Mihoubi, Radio Diploweb. Russie : la reconstruction du « hard power » et du « soft power »

Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.

. Eléonore Lebon Schindler, Quelle désinformation russe ? EUvsdisinfo.eu la réponse d’East Stratcom pour la Commission européenne

EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.

. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?

Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.

. Laurent Chamontin, La guerre de l’information à la russe, et comment s’en défendre

À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.

. Anna Monti, James Lebreton, Marie-Caroline Reynier, Pierre Verluise, Vidéo. P. Verluise. La « Glasnost » de M. Gorbatchev (1985-1991) : transparence ou désinformation ?

La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.

. Colin Gérard, « Sputnik » : un instrument d’influence russe en France ?

Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.

. Laurent Chamontin, Les opinions européenne et française dans la guerre hybride

L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.

. Manon-Nour Tannous, Que vaut l’idée reçue : « La guerre en Syrie est un complot » ?

L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.

. Anne Deysine, Antonin Dacos, Vidéo. E-festival de géopolitique, GEM. La révolution numérique à l’assaut de la démocratie américaine ?

Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.

. Raphaël Mineau Quels sont les effets boomerang du « sharp power » chinois en Australie ?

L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.

. François Géré, Pierre Verluise, Communication et désinformation à l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des théories du complot. Entretien avec F. Géré

L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.

ECFR, Charlotte Bezamat-Mantes, Carte. La désinformation sur Facebook. Comment les États transforment les réseaux sociaux en armes

L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.

. Pierre-Antoine Donnet, Pierre Verluise, Chine, le grand prédateur. Un défi pour la planète. Pourquoi ? Entretien avec P-A Donnet

Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ?
Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.

. Anastasia Kryvetska, Comment l’écosystème cyber ukrainien s’est-il adapté à la guerre ?

Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.

. Catherine Durandin, Guy Hoedts, Roumanie, vingt ans après : la « révolution revisitée »

Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.

. Galia Ackerman, Laurent Chamontin, Les manipulations historiques dans la Russie de V. Poutine, un sujet géopolitique

Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com

. Dans les archives du Diploweb, en 2002 Alexandra Viatteau, Bibliographie pour l’étude de l’information et la désinformation


Liens externes vers les publications de Viginum

Viginum, service d’observation chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères.

. 17 mai 2024. Nouvelle-Calédonie : manœuvres informationnelles impliquant des acteurs azerbaïdjanais

. 14 février 2024, Portal Kombat : suite des investigations sur le réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM caractérise l’implication d’une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l’administration des sites du réseau « Portal Kombat ».

. 12 février 2024, Portal Kombat : un réseau structuré et coordonné de propagande prorusse

VIGINUM dévoile l’activité d’un réseau baptisé « Portal Kombat », constitué de « portails d’information » numériques diffusant des contenus pro-russes, couvrant positivement l’invasion russe en Ukraine et dénigrant les autorités de Kiev, afin d’influencer les opinions publiques notamment françaises.

. 13 juin 2023, RRN : une campagne numérique de manipulation de l’information complexe et persistante

Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) a identifié une campagne numérique de manipulation de l’information ayant visé plusieurs États européens depuis septembre 2022, dont la France.


Toujours plus sur Diploweb

Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons :
. par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot « désinformation » ;
. par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.

Publication initiale de ce dossier février 2024.

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

De l’Europe centrale à l’Indo-Pacifique, l’Azerbaïdjan sape l’effort de guerre de l’Ukraine

par Eduard Abrahamyan* – CF2R – publié en juillet 2024

https://cf2r.org/tribune/de-leurope-centrale-a-lindo-pacifique-lazerbaidjan-sape-leffort-de-guerre-de-lukraine/


*Docteur en sciences politiques (université de Leicester 2022), membre de l’Institut d’Analyse de la Sécurité (ISA) d’Erevan (Arménie), il a été conseiller en politique étrangère de l’ancien président arménien Armen Sarkissian. Il est également collaborateur régulier d’IHS Markit, de la Jamestown Foundation, de The National Interest, du Foreign Policy Research Institute et du Central Asia-Caucasus Institute.

 

 

Les porte-hélicoptères amphibies français : piliers de la projection de force

Les porte-hélicoptères amphibies français : piliers de la projection de force

Les forces armées françaises disposent de trois porte-hélicoptères amphibies (PHA) : le Mistral (L 9013), le Tonnerre (L 9014), et le Dixmude (L 9015). Ces navires sont des éléments cruciaux dans la stratégie de défense et de projection de force de la France, permettant une variété d’opérations militaires et humanitaires à l’échelle mondiale.

Polyvalence et capacités des PHA

Capables de mener des opérations sous faible préavis, les PHA sont des bâtiments hautement polyvalents. Ils sont équipés pour gérer des crises, effectuer des transports logistiques et conduire des évacuations sanitaires. Leur conception leur permet d’intégrer des éléments des armées de Terre, de l’Air et de l’Espace, ainsi que des forces interalliées et des composantes sanitaires, tant militaires que civiles.

Descriptif technique des porte-hélicoptères

Chaque PHA présente une longueur de 199 mètres et une largeur de 32 mètres, avec un déplacement de 21 500 tonnes. Leur vitesse maximale atteint 19 nœuds. Ils peuvent accueillir 177 marins, un état-major embarqué, et entre 400 et 900 soldats selon les besoins de la mission.

L’équipement de ces navires est impressionnant : un radier de 885 m² pour des chalands, un hangar de 2 650 m² pouvant contenir 60 véhicules blindés ou 13 chars, ainsi qu’une capacité de transport aérien avec un hangar pouvant accueillir jusqu’à 16 hélicoptères. Ils sont aussi équipés d’un hôpital de 69 lits, extensible, comprenant deux blocs opératoires.

L’armement des PHA comprend deux canons de 20 mm téléopérés, quatre mitrailleuses de 12,7 mm, et deux systèmes d’autodéfense surface-air à très courte portée SIMBAD. La défense est complétée par des radars de navigation et de veille air-surface, des leurres antitorpilles SLAT, un système de transmission par satellite, et un système de combat SENIT.

Rôle stratégique dans les opérations interarmées

Les PHA sont conçus pour mener des opérations amphibies et aéromobiles, facilitant ainsi la projection de force dans des zones conflictuelles ou lors de missions humanitaires. Ils servent également de commandement mobile pour les opérations, offrant une plateforme stratégique pour les décisions en temps réel sur le terrain.

Contributions spécifiques des trois PHA

Le Mistral, mis en service en décembre 2006, et son jumelage avec la ville du Havre renforce les liens entre la marine et la communauté civile. Le Tonnerre, actif depuis juillet 2007, est parrainé par la ville de Limoges, illustrant l’importance de la coopération régionale dans le soutien aux forces armées. Quant au Dixmude, le plus récent, mis en service en juillet 2012, il symbolise l’adaptation continue de la marine française aux technologies modernes et aux exigences opérationnelles actuelles.

Importance dans la diplomatie et l’aide internationale

Outre leur rôle militaire, les PHA jouent un rôle important dans la diplomatie française. Par leur capacité à déployer rapidement des forces et du matériel partout dans le monde, ils sont souvent en première ligne lors de missions d’aide humanitaire ou de réponse à des catastrophes naturelles. Ce rôle contribue non seulement à la sécurité globale mais renforce aussi l’image de la France en tant qu’acteur clé sur la scène internationale.

Quels autres pays possèdent des porte-hélicoptères dans le monde ?

Plusieurs nations possèdent des porte-hélicoptères VTOL (Vertical Take-Off and Landing), un type spécifique de porte-aéronefs capable de gérer des hélicoptères et d’autres aéronefs à décollage et atterrissage verticaux. Voici une comparaison avec la France qui possède trois de ces navires :

  • Japon se distingue avec 7 porte-hélicoptères, ce qui en fait le pays avec le plus grand nombre de ce type de navires dans la liste.
  • France, Chine, et Égypte ont respectivement 3, 3, et 2 porte-hélicoptères, montrant un engagement notable dans leurs capacités de projection maritime et de réponse rapide.
  • Corée du Sud possède également 2 de ces navires, témoignant de son investissement croissant dans la puissance navale.
  • Algérie, Brésil, Thaïlande, et Turquie disposent chacun d’un porte-hélicoptères, illustrant une capacité modeste mais significative de projection de force et de soutien logistique.
  • Les autres pays tels que Argentine, Australie, Canada, Espagne, États-Unis, Inde, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, et Russie n’ont pas de porte-hélicoptères VTOL, bien que certains de ces pays possèdent d’autres types de porte-aéronefs ou d’autres capacités militaires importantes.

Les porte-hélicoptères amphibies français ne sont pas seulement des instruments de guerre; ils sont des vecteurs de paix et de coopération internationale. Leur capacité à intervenir rapidement en fait des outils indispensables pour la France, capable de répondre efficacement aux crises globales tout en promouvant les valeurs humanitaires et la stabilité internationale. Ces navires démontrent l’engagement continu de la France envers ses alliés et son rôle actif dans la gestion des crises internationales.

C’est qui le chef ? par Michel Goya

C’est qui le chef ?

par Michel Goya – La Voie de l’épée – publié le 27 juin 2024

https://lavoiedelepee.blogspot.com/


Dans les systèmes monarchiques, c’est le souverain qui, par tradition, commande les armées y compris normalement sur le terrain. Avec l’arrivée des régimes républicains, et de fait avec la constitutionnalisation des monarchies, les choses sont devenues un peu plus compliquées. La Constitution de 1848 en France indique par exemple dans son article 50 que le Président de la République (PR) élu au suffrage universel « dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne ». Les premiers projets de lois constitutionnelles de la IIIe République reprennent la formule, ce qui suscite la colère du « maréchal-président » Mac Mahon (élu par l’Assemblée en mai 1873). Devant sa menace de démission, l’amendement Barthe (1er février 1875) est repoussé et l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique seulement que le Président « dispose de la force armée ». Ce pouvoir est néanmoins limité par l’obligation de contreseing d’un ministre pour toutes les décisions du Président, la possibilité d’être poursuivi pour haute trahison et l’obligation d’assentiment des deux chambres pour déclarer la guerre.

Le maréchal de Mac Mahon a cependant suffisamment de latitude pour organiser un « domaine réservé », une expression de Chaban Delmas en 1959 pour désigner les prérogatives particulières qui devraient être accordées au PR en matière de défense et de politique extérieure. Mac Mahon accorde beaucoup de d’intérêt aux réformes militaires en cours et traite directement avec les ministres et les généraux de corps d’armée qu’il reçoit à l’Élysée. Il tient à désigner lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine. La crise du 16 mai 1877 coupe court à cette interprétation. Avec la « constitution Grévy » et la révision de 1884, la France adopte un régime parlementaire et le Président de la République n’exerce plus qu’une « magistrature morale », ce qui permet à Poincaré d’imposer Clemenceau comme Président du Conseil en décembre 1917 mais ne suffit pas à Albert Lebrun pour empêcher la crise des institutions de juin 1940. Cette dernière crise et le désastre qui l’accompagne est en garder en tête pour comprendre l’esprit des institutions de défense de la Ve République.

Notons au passage que le général de Gaulle met en place dans la « France combattante » un système très simple, avec un chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) décideur unique avec sous ordres directs un État-major de Défense nationale pour la conduite des opérations et un ministre de la Défense nationale (et non quatre ou cinq ministères, de la Défense nationale, de la Guerre, de l’Air, de la Marine, de l’Armement). Le chef du GPRF est assisté d’un Conseil de défense nationale réunissant tous les ministres concernés par cette guerre désormais totale. Autant d’éléments que le général de Gaulle s’efforcera d’imposer dans les institutions et la pratique de la Ve République.

En attendant, l’expression « Chef des Armées » apparaît dans un décret du gouvernement provisoire de la République en date du 4 janvier 1946 avant d’être reprise, sur proposition du général Giraud alors député, dans la Constitution de 1946 (art. 33 « Le président de la République préside, avec les mêmes attributions [que pour le Conseil des ministres, c’est-à-dire faire établir et conserver les procès-verbaux], le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées. »). Mais l’article 47 précise que « le président du Conseil [qui devient une fonction en soi et non un ministre supérieur aux autres], assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la Défense nationale ». La gestion de la politique de Défense de la IVe République n’est finalement pas très différente de celle de la IIIavec ses qualités et ses énormes défauts, évidents lors de la guerre en Algérie.

La nouvelle paralysie institutionnelle qui apparaît à cette occasion impose une réforme profonde des institutions et une nouvelle Constitution. Pourtant, étrangement, cette constitution n’apparaît immédiatement pas très différente de celle de 1946 dans son organisation de la Défense nationale.  L’article 15 de la Constitution de 1958 (« Le Président de la République est le Chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale », sans préciser quelles sont les compétences qu’il exerce à ce titre) est peu différent de l’article 33 de la Constitution de 1946. De plus, l’article 19 (« Les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables. ») ne fait pas référence à l’article 15. Les actes du Président de la République en conseil de défense doivent donc normalement être contresignés par le Premier ministre. Si on ajoute l’article 20 (« le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ») et l’article 21 (« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale ») de la Constitution mais aussi l’article 7 de l’ordonnance de 1959 (« la politique de défense est définie en conseil des ministres ») et son article 9 (« le Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direction générale et la direction militaire de la Défense »), on obtient quelque chose de proche de l’esprit de la IIIe ou de la IVe République. 

Le général de Gaulle ne l’interprète pas de cette façon dans ses Mémoires d’espoir (« Il va de soi, enfin, que j’imprime ma marque à notre défense […] cela pour d’évidentes raisons qui tiennent à mon personnage, mais aussi parce que, dans nos institutions, le Président répond de « l’intégrité du territoire » [art.5], qu’il est « le Chef des Armées », qu’il préside « les conseils et comités de Défense nationale » »). La personnalité du nouveau président de la République et les évènements en Algérie – et pour le général de Gaulle le plus choquant d’entre eux est la rébellion d’une partie de l’armée – impose une centralisation des pouvoirs à son profit. À partir d’avril 1961, la dualité des pouvoirs entre le PR et du PM s’efface au profit du premier et d’une manière générale au profit des civils. L’état-major du Premier ministre redevient le Secrétariat général de la défense nationale à direction civile et le Chef d’état-major général de Défense nationale, l’actuel Chef d’état-major des armées (CEMA), perd beaucoup de ses prérogatives. L’ordonnance de 1959, finalement abrogée en 2004, perd une grande partie de sa substance. Et puis deux phénomènes particuliers sont apparus.

Arguant du caractère très particulier de l’arme nucléaire et de la nécessité de décision urgente, le décret du 14 janvier 1964 « relatif aux forces aériennes stratégiques » décide que le Président de la République a seul qualité pour décider l’emploi du feu nucléaire, ce qui est contradiction avec les dispositions de la Constitution et de l’ordonnance de 1959. Ce décret a été abrogé et remplacé par celui du 12 juin 1996 plus conforme aux textes constitutionnels et législatifs mais qui conserve un caractère ambigu. Dans son article premier, le conseil de défense doit définir « La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires » alors que le président chef des armées et président du conseil de défense « donne l’ordre ». Cela est considéré très majoritairement comme un « ordre de conduite » et non une décision nécessitant donc le passage par un conseil de défense et le contreseing du Premier ministre, mais pourrait être interprété différemment si une situation de crise plaçant la France devant un tel choix survenait en période de cohabitation hostile. On se demande si un président de la République pourrait réellement engager le feu nucléaire en premier (en riposte, la question ne se pose pas) alors qu’il doit faire face à un gouvernement, une majorité et donc un peuple hostile. Plus largement, la question se pose du maintien au pouvoir d’un président désavoué par le peuple. Le général de Gaulle avait tranché cette question à sa manière mais tout le monde n’est pas de Gaulle. 

Et puis, il y a eu la multiplication des opérations extérieures, rendues possibles justement par la centralisation des institutions. Une opex, c’est une opération décidée par le président de la République, et comme c’est très facile alors que la France a de nombreuses obligations internationales, elles deviennent très nombreuses. Cela pour premier effet de remettre les militaires dans la boucle décisionnelle. Premier ministre et ministre de la Défense/Armées ont leurs états-majors particuliers et le CEMA redevient premier conseiller militaire et membre du Conseil de défense tout en étant en ligne directe avec le PR pour la conduite des opérations. Mais cela a pour effet également de multiplier les conseils de défense dès lors que l’on considère que ces opérations extérieures sont importantes, or qui dit conseil de défense dit in fine approbation du Premier ministre. Cela ne pose pas de problème en cas de situation normale, ou s’il y a désaccord cela se traduit par une démission, comme celle du ministre de la Défense en 1990 au moment de la guerre du Golfe et de la décision de François Mitterrand d’y engager les forces françaises.

En cas de cohabitation c’est forcément plus compliqué et cela se traduit souvent par une négociation entre les deux têtes de l’exécutif. On se souvient des difficultés de lancer l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, contrairement à l’opération Noroit au même endroit deux ans plus tôt en période « normale ». Turquoise est finalement engagée mais aux conditions du Premier ministre Édouard Balladur. En décembre 1999 en revanche, le Premier ministre Lionel Jospin s’oppose totalement à une opération de contre coup d’État en Côte d’Ivoire.

Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 se pose aussi un autre problème. Avant l’engagement dans la guerre du Golfe (1990-1991), le PR avait ordonné au gouvernement de poser la question de confiance selon l’article 48.1 devant l’Assemblée nationale et de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale (art 49.4), afin d’asseoir la légitimité de son action. Mais il disposait alors de la majorité et le vote de confiance ne posait guère de difficultés. Désormais, le Parlement doit obligatoirement voter la poursuite ou non d’une nouvelle opération au bout de quatre mois. On imagine par exemple que l’envoi de militaires français en Ukraine soit jugé suffisamment important pour justifier d’un Conseil de défense, première étape, puis en cas d’approbation, d’un vote au Parlement. Quelle que soit la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale le 7 juillet, on peut imaginer qu’on n’est pas prêt dans ce cas d’avoir des soldats français en Ukraine. Notons au passage que tous ces blocages éventuels sont des incitations au contournement en faisant appel aux services clandestins ou discrets et même, comme aux États-Unis aux sociétés privées.

Notons que si le Premier ministre ne peut déclencher lui-même d’opérations extérieures, il peut déclencher des opérations intérieures en tant que premier responsable de la sécurité du territoire. Dans la confrontation avec l’Iran qui s’est traduit notamment pas une série d’attentats terroristes sur le sol français en 1986, le Président de la République a déclenché quelques mois plus tard l’opération Harmattan dans le Golfe arabo-persique. Entre temps, le Premier ministre et rival pour la future présidentielle, Jacques Chirac, ne voulait être en reste et avait déclenché l’opération intérieure Garde aux frontières et envoyé des soldats renforcer douaniers et policiers de l’Air et des Frontières. Cela n’avait aucun intérêt opérationnel, mais cet engagement inédit de soldats sur le sol français métropolitains (le pas avait été franchi en Nouvelle-Calédonie) permettait au Premier ministre d’exister politiquement.

Pour résumer, la reconnaissance d’un pouvoir entier et personnel du Président de la République comme chef des Armées ne peut plus être niée. La question a été tranchée dans ce sens par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution dans son rapport du 15 février 1993. Le comité, tout en jugeant discutable l’expression « domaine réservé », a estimé que ; malgré certaines ambiguïtés, l’exercice de pouvoirs propres en matière de défense par le Président de la République correspondait à une « tradition trentenaire ». La tradition est ainsi devenue une source de droit en matière constitutionnelle à condition de justifier d’une application « paisible » pendant une certaine durée. On notera que le comité avait proposé de modifier l’article 21 de la Constitution comme suit : « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de l’organisation de la Défense nationale » afin de refléter la réalité des choses. Cela n’a pas été fait et le Premier ministre, s’il ne peut rien déclencher de vraiment nouveau en politique de défense, ni même sans doute mettre fin à quoi que ce soit d’important, conserve une grande capacité de blocage. Maintenant que la coïncidence des élections présidentielle/législatives n’existe plus et que les cohabitations risquent à nouveau de se multiplier, il n’est pas certain ensuite que l’interprétation actuelle, même confortée par une longue pratique, tienne éternellement.

Depuis 2021, plus de 150 « atteintes physiques » ont visé les entreprises françaises de l’armement

Depuis 2021, plus de 150 « atteintes physiques » ont visé les entreprises françaises de l’armement


Par définition sensibles en raison de leurs activités, les 4000 entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] françaises ne sont évidemment pas épargnées par les tentatives d’ingérences étrangères, d’où qu’elles viennent.

Ces dernières peuvent prendre la forme de prises de contrôle capitalistique, avec, en creux, le risque d’une délocalisation de savoir-faire. Ce que l’on appelle le « Lawfare », c’est-à-dire l’instrumentalisation du droit à des fins stratégiques, fait aussi partie du mode opératoire de certains pays – notamment les États-Unis et la Chine – pour contraindre des entreprises de la BITD.

« Quand une réglementation comme [l’ITAR] permet aux autorités d’un État, dès lors qu’un produit vendu dans un autre pays contient un composant fabriqué sur son sol, de vérifier si la vente est conforme aux règles qu’il a édictées, il peut s’agir d’une forme d’ingérence, selon la façon dont c’est appliqué. C’est ce que font les Américains depuis plusieurs années, mais aussi les Chinois : ceux-ci ont copié, dans l’esprit, le Patriot Act américain et, profitant de leur puissance économique, essaient de s’ingérer dans les économies étrangères », avait ainsi expliqué Stéphane Bouillon, le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, dans un récent rapport parlementaire.

D’autres menaces, plus directes, concernent les entreprises de la BITD. On peut citer les attaques informationnelles, lesquelles visent à compromettre leur réputation quand elles sont engagées dans un processus concurrentiel, l’entrisme, l’espionnage ou encore le sabotage, que ce soit par des actions « cyber » ou des moyens « classiques ».

En septembre 2022, alors fraîchement nommé à la tête du ministère des Armées, Sébastien Lecornu avait appelé les industriels de la BITD à la vigilance, en insistant sur le risque de « sabotage ». « Nous constatons et nous surveillons un certain nombre d’agissements. Je n’irai pas plus loin parce que cela est couvert par le secret », avait-il dit.

Lors d’une audition de la commission d’enquête du Sénat sur les ingérences étrangères, M. Lecornu a donné, pour la première fois, quelques chiffres permettant d’appréhender l’ampleur de ce phénomène.

D’abord, 80 % des « attaques » [espionnage, sabotage] concernent les sous-traitants de la BITD, a-t-il souligné. Quant aux cas d’atteintes « physiques » [intrusions, cambriolages, tentatives d’approche], plus de quarante ont été constatés en 2021. Avec la guerre en Ukraine, leur nombre a augmenté, avec une cinquantaine de cas documentés en 2022 et autant en 2023.

« C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », a souligné M. Lecornu. Quant aux atteintes « physiques », on « n’est pas sur une petite opération de cyberattaque, mais bel et bien sur une opération beaucoup plus structurée de gens qui – au gré d’une visite, au gré d’un cambriolage qui paraît quelconque – tentent une intrusion dans une industrie de défense et dont il nous est clairement apparu que ça n’avait rien de domestique, que c’était bel et bien commandité par un acteur étranger », a-t-il expliqué.

« La force d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible », dit-on. Ce qui fait que les sous-traitants sont une cible privilégiée de ces ingérences. « C’est sûr que Dassault, Thales, Safran ont développé des capacités internes importantes de protection. Mais le petit sous-traitant en province, qui produit le composant majeur ou connexe mais clé, est le plus violemment exposé à ces risques d’ingérences », a relevé le ministre.

Armement: la France innove avec une plateforme unique au monde

Armement: la France innove avec une plateforme unique au monde

Armée française (Photo Shutterstock)

Face aux conflits armés contemporains, notamment ceux en Ukraine et à Gaza, la course mondiale aux armements se réinvente avec des technologies de pointe. Cette évolution se manifeste clairement dans l’initiative récente de la France qui, lors du salon Eurosatory à Villepinte, a présenté une innovation majeure dans le domaine de la défense.

Le groupe français Thales, leader dans les technologies de sécurité et de défense, a introduit une plateforme technologique révolutionnaire nommée OpenDRobotics. Cette interface permet le contrôle simultané de multiples drones et robots de combat via des écrans tactiles, promettant une transformation radicale des opérations militaires. La plateforme est conçue pour intégrer divers scénarios préprogrammés qui orientent les actions des drones en fonction de données complexes incluant des doctrines militaires et des informations issues de zones de conflit.

Thales n’en est pas à son coup d’essai avec cette technologie. La version initiale du logiciel a été testée lors du challenge CoHoMa organisé par l’armée française, où des militaires ont contrôlé avec succès une flotte de dix-neuf drones. Depuis, Thales a peaufiné son système pour permettre une intégration plus large dans les véhicules de combat comme le Griffon, où un opérateur peut, par exemple, piloter un drone terrestre pour des missions de déminage ou de récupération d’objets sensibles sans quitter l’intérieur sécurisé du blindé.

Le salon a également été l’occasion de présenter un scénario d’attaque où un essaim de drones, dirigé par une intelligence artificielle, a affronté des unités ennemies. L’IA propose différents modes d’attaque, offrant ainsi une flexibilité tactique sans précédent. Cependant, comme le souligne Arnaud Lacaze, directeur des systèmes de commandement chez Thales, bien que l’IA facilite la planification et l’exécution des opérations, le contrôle final repose toujours entre les mains de l’opérateur humain, garantissant ainsi une adaptabilité en temps réel aux conditions changeantes du champ de bataille.

Cette innovation pourrait conduire à une armée française majoritairement robotisée d’ici 2030, comme l’espère le chef d’État-major des armées. Cette perspective soulève des questions stratégiques quant à la dépendance à l’égard des systèmes automatisés dans la conduite des opérations militaires, tout en offrant des avantages significatifs en termes de sécurité des troupes et d’efficacité opérationnelle.

L’initiative de Thales avec OpenDRobotics marque donc une étape significative dans la modernisation de l’arsenal militaire français, alignant capacités technologiques avancées et nouvelles tactiques de combat pour façonner le futur des opérations militaires à l’échelle mondiale.