Victoire de Donald Trump : 5 leçons pour les États-Unis

Victoire de Donald Trump : 5 leçons pour les États-Unis

Republican presidential candidate former President Donald Trump gestures as he is surrounded by U.S. Secret Service agents as he leaves the stage at a campaign rally, Saturday, July 13, 2024, in Butler, Pa. (AP Photo/Evan Vucci)/PAEV401/24196042886688//2407140320

par Jean-Baptiste Noé – Revue Conflits – publié le 7 novembre 2024


La victoire nette et massive de Donald Trump permet de dégager cinq leçons pour les États-Unis. Analyse de Jean-Baptiste Noé.

Le premier point, c’est la victoire totale et complète de Donald Trump. Un véritable raz de marée. D’abord avec la conquête de la Maison-Blanche, où il gagne les grands électeurs et le vote populaire, ce qui n’avait pas été le cas en 2016. Sa victoire est donc encore plus large qu’en 2016. Ce raz de marée républicain s’exprime également dans la victoire au Sénat et à la Chambre des représentants. Les républicains sont d’ores et déjà majoritaires au Sénat et devraient l’être à la Chambre. Dans les deux cas, ils ont repris plusieurs sièges aux démocrates. À quoi s’ajoute le contrôle de la Cour suprême où les juges conservateurs sont majoritaires.

Deuxième point : c’est la défaite des commentateurs et des « experts ». La plupart des commentaires tenus ces dernières semaines se sont révélés faux. Non par erreur d’analyse, mais parce que beaucoup sont davantage dans la propagande que dans la volonté de comprendre les États-Unis. Ils annonçaient une élection très serrée, « sur le fil du rasoir », il n’en fut rien. Cette large victoire est le meilleur schéma pour la démocratie américaine. Il aurait été tout à fait redoutable que l’élection soit aussi serrée qu’en 2016 ou en 2020, avec des cascades de contestations. Ou pire en 2000, quand il fallut attendre plusieurs semaines pour avoir les résultats. C’est d’ailleurs l’une des possibilités avancées par Alexandre Mendel dans ses chroniques. Preuve de l’utilité de parcourir les États-Unis et de connaitre l’ensemble du pays, et pas seulement New York ou Washington.

Dès la chronique du 16 octobre, il annonçait la possibilité d’une victoire nette dans l’article intitulé « La dynamique est désormais dans le camp Trump ».

Dès mi-octobre, les démocrates ont compris qu’ils avaient perdu l’élection présidentielle, ce qui n’empêchait pas les commentateurs et les experts habituels de dire que ça allait être très serré.

Attribuer l’étiquette de « nazi » ou de « fasciste » à Trump et à ses électeurs ne résout pas le problème politique et empêche de comprendre les motivations du vote. L’aveuglement idéologique a fait le reste. À ce stade, on peut se demander si c’est seulement de l’incompétence ou si c’est aussi du mensonge.

Les démocrates s’empêchent de comprendre les Américains

Troisième point : la défaite intellectuelle des démocrates. Jouer la carte de la morale, expliquer qu’il faut voter pour Obama parce qu’il est noir, pour Clinton parce que c’est une femme et pour Harris parce qu’elle additionne les deux ne fonctionne pas. Faire campagne sur le genre, l’identité, la race non plus. Les électeurs américains attendaient des réponses sur le chômage, l’inflation et la sécurité pas sur les pensées de laboratoire des universités américaines. La défaite de Kamala Harris signe la fin de la période Clinton, ouverte par l’élection de Bill Clinton en 1992. Barack Obama et Joe Biden étaient dans leur filiation, tout comme Harris. C’est désormais terminé et il faudra passer à autre chose en 2028.

Quatrième point : la transformation intellectuelle du parti républicain. Donald Trump a très largement gagné même s’il n’est pas au niveau de l’époque Nixon (1972), Reagan (1984) qui avaient obtenu presque tous les États. Nixon avait eu quasiment tous les États en 1972. George Bush en 1988 était la continuité des années Reagan. S’il a perdu en 1992, ce n’est pas parce que le reaganisme était épuisé, mais parce qu’il a affronté un dissident, Ross Perot, qui a obtenu près de 19% des voix, empêchant Bush de remporter un certain nombre d’États qui auraient dû lui revenir. Lorsque George Bush est intronisé président des États-Unis en 1988, il dit qu’il s’engage à ne pas augmenter les impôts. Or il a augmenté les impôts pendant son mandat, d’où la dissidence de Perot. En 1996, il fait 8% des voix et, là aussi, Bill Clinton n’obtient pas la majorité des voix. Clinton a gagné par deux fois avec les grands électeurs, mais sans le vote populaire. Jusqu’en 1996, les républicains font plus de voix que les démocrates.

Georges Bush fils change la philosophie des républicains dans les années 2000 en adoptant le néo-conservatisme. Doctrine qui n’est pas éloignée de celle d’Obama. Les républicains des années 2000 sont plus éloignés de Reagan que Trump aujourd’hui.

Donald Trump a changé la doctrine des républicains et a transformé leur logiciel intellectuel

Ce qui fait que lorsque Barack Obama gagne en 2008, beaucoup de commentateurs expliquent que les républicains ne pourront plus jamais gagner les élections présidentielles. Pourquoi ? Parce que du fait du changement démographique aux États-Unis, les femmes, les latinos, les noirs votent naturellement pour les démocrates.

Donald Trump a changé la doctrine des républicains et a transformé leur logiciel intellectuel.

Cinquième point : la question de l’avenir du trumpisme. Donald Trump a 78 ans, donc a priori c’est son dernier mandat. On le voit mal se présenter à 82 ans pour un troisième mandat. Et donc, sitôt élu, se pose aussi la question de sa succession. Et notamment de savoir qui de JD Vance ou de Ron DeSantis pourra lui succéder.

Finalement, la question qui s’ouvre aujourd’hui, ce n’est pas tellement celle du mandat de Donald Trump que de celle de l’avenir du trumpisme. Et notamment si les Américains, les républicains vont opter pour un trumpisme sans les extravagances, sans les côtés arrogants et crispants de Donald Trump et savoir si cela peut leur permettre d’ouvrir une nouvelle parenthèse reaganienne.


Jean-Baptiste Noé

Jean-Baptiste Noé

Docteur en histoire économique (Sorbonne-Université), professeur de géopolitique et d’économie politique à l’Institut Albert le Grand. Rédacteur en chef de Conflits.

Turbulences dans l’Indo-Pacifique français : politique intérieure et politique étrangère, les différentes échelles de la crise néo-calédonienne

 

Turbulences dans l’Indo-Pacifique français : politique intérieure et politique étrangère, les différentes échelles de la crise néo-calédonienne

Dans sa déclaration de politique générale du 1er octobre 2024, le nouveau Premier ministre Michel Barnier, a accordé une grande attention à la Nouvelle-Calédonie. Celle-ci, vitrine-laboratoire incontestée de la stratégie Indo-Pacifique de la France est confrontée depuis mai 2024 à un cycle de violences destructrices qui ont largement entamé les relations entre communautés, affaiblissant l’image régionale de la France et la cohérence de sa politique indo-pacifique. Le Premier ministre et son ministre des Territoires d’outre-mer François-Noël Buffet, semblent désireux d’ouvrir la voie à la conciliation et à la reprise du dialogue en Nouvelle-Calédonie. Cette démarche d’apaisement laisse entrevoir l’espoir d’un accord sur la future gouvernance et une nouvelle formule de souveraineté pour le territoire. Pour autant, 26 ans après les Accords de Nouméa (1998) qui évoquaient un « destin commun » et trois referendums sur la question de l’indépendance, une histoire commune différemment interprétée continue à diviser les mémoires des habitants et l’avenir statutaire de l’île apparait encore dans les limbes. Avec la crise calédonienne, l’ambition indo-pacifique de la France s’est heurtée de plein fouet à une réalité politique et historique mal prise en compte. Deux niveaux de lecture se superposent liant étroitement enjeux de politique intérieure et de politique étrangère. Faute d’une sortie par le haut de la crise, les efforts entrepris par Emmanuel Macron pour légitimer le positionnement indo-pacifique de la France pourraient être largement remis en cause. Cette fragilisation de la posture française intervient alors que l’on assiste à un fort réinvestissement diplomatique et sécuritaire des États-Unis et de leurs proches soutiens (Australie, Japon) dans la région pour y contrebalancer une politique de présence et d’influence chinoise de plus en plus active. Le point de vue de Marianne Péron-Doise, chercheuse associée à l’IRIS où elle dirige l’Observatoire géopolitique de l’Indo-Pacifique.

Comment se caractérise l’approche préconisée par le gouvernement Barnier ?

Le Premier ministre s’est engagé à adopter une approche fondée sur « l’écoute, le respect et le dialogue » et a annoncé une concession majeure demandée par les partisans de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie, en s’engageant à ne pas convoquer les chambres conjointes du Parlement pour finaliser la réforme controversée sur l’élargissement du corps électoral aux scrutins provinciaux. Il a notamment déclaré que le président Macron le confirmerait lorsqu’il rencontrerait les représentants de la Nouvelle-Calédonie au Parlement français en novembre. Si cela répond à l’une des principales demandes des dirigeants indépendantistes, cette mise entre parenthèses de la réforme du mode de scrutin a généré une intense frustration de la part de la fraction loyaliste, dont le député macroniste Nicolas Metzdorf, perpétuant le clivage entre communautés. Jusqu’à présent, le président Macron s’était contenté de dire qu’il « suspendrait » le projet de loi. Tout aussi important, M. Barnier a déclaré qu’une nouvelle période de reconstruction économique et sociale allait commencer, en parallèle aux efforts pour parvenir à un consensus politique sur la gouvernance future. Il a ajouté que les élections locales seraient reportées à la fin de l’année 2025. Enfin, une mission parlementaire dirigée par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat français devrait se rendre en Nouvelle-Calédonie du 9 au 14 novembre 2024.

Quels sont les principaux enjeux que devra traiter François-Noël Buffet, nouveau ministre des Territoires d’Outre-mer ?

À ce jour, la situation sécuritaire, sociale et alimentaire des 300 000 habitants de l’île est très dégradée.  Elle nécessite un changement radical d’approche politique et humaine pour ramener un minimum d’ordre sur le territoire, ce qu’a bien compris le gouvernement Barnier. Insécurité, crise de confiance, marasme économique, radicalisation des forces politiques en présence, anxiété régionale des proches voisins de la Nouvelle-Calédonie sont à ce stade les principales données que François-Noël Buffet aura rapidement à traiter.

Lors de la visite à Paris d’une délégation calédonienne transpartisane venue alerter sur l’urgence de la reconstruction, début octobre 2024, le nouveau ministre des Territoires d’outre-mer, qui a dirigé une commission sénatoriale sur la Nouvelle-Calédonie et connaît donc bien les enjeux, a pu exposer son approche :

– Retrouver l’impartialité de l’État français, qu’il a qualifié de « pierre angulaire des accords de Matignon et de Nouméa » ;
– Retrouver le consensus dans la prise de décision ;
– Renouer rapidement le dialogue avec toutes les parties ;
– Favoriser un retour rapide à l’ordre public ;
– Soutenir la reconstruction sociale et économique.

La mission du ministre en Nouvelle-Calédonie, mi-octobre, lui a permis de saisir l’ampleur des efforts à mettre en place pour permettre le retour à un fonctionnement normal des principaux services publics : écoles, hôpitaux, transports. L’État prévoit d’allouer une enveloppe de l’ordre de 4,5 milliards d’euros sur cinq ans pour permettre un redémarrage du tissu socio-économique de l’île. La situation est d’autant plus critique que l’industrie du nickel, considéré comme le moteur économique de l’île, est en quasi-faillite.

Ces propositions concernant la Nouvelle-Calédonie indiquent une certaine flexibilité. L’indication de François-Noël Buffet selon laquelle Paris doit « retrouver » l’impartialité est un geste significatif, un aveu virtuel de la partialité passée. Les indépendantistes en ont fait une critique majeure de la gestion par la France du troisième référendum sur l’indépendance en 2021 et des développements depuis lors. Il reste à voir si les concessions de la France suffiront à mettre fin aux troubles.

Quelles sont les premières réactions locales et régionales à ces annonces ?

Les annonces du gouvernement Barnier représentent des efforts de conciliation importants de la part de la France et sont significatives à la fois pour la Nouvelle-Calédonie et pour ses propres voisins, l’Australie, les pays mélanésiens et au-delà pour le Forum des Îles du Pacifique (FIP). Si c’est Michel Barnier qui a fait les principales annonces, il ne fait aucun doute que le président Macron – architecte tenace et convaincu de l’Indo-Pacifique français – est engagé. Le fait que le Premier ministre ait accordé une priorité aussi marquée à la Nouvelle-Calédonie, alors même que son gouvernement et son projet de budget général sont scrutés sans ménagement par les parlementaires, reflète la détermination de la France à ne pas perdre pied dans la région et à y défendre une souveraineté qui constitue l’axe majeur de sa stratégie indo-pacifique. Dans le même temps, peut-être conscient de la fragilité de son gouvernement et de sa vulnérabilité aux potentielles motions de censure, le Premier ministre s’est assuré une attention institutionnelle permanente en désignant comme responsables d’une mission de concertation et de dialogue les présidents des deux chambres du Parlement français. Le président du Sénat, Gérard Larcher, joue depuis longtemps un rôle constructif en Nouvelle-Calédonie. L’envoi d’une mission de haut niveau qu’il co-dirigera avec Madame Yaël Braun-Pivet indique également aux pays de la région du Pacifique, qui ont dès juillet 2024 proposé une mission de médiation du FIP, que la France contrôle la situation.

Les réactions des partis locaux en Nouvelle-Calédonie ont été variées. Le groupe multipartisan venu à Paris début octobre 2024 a soutenu sans équivoque l’approche de Michel Barnier. Certains élus loyalistes se sont montrés critiques, estimant que le ministre n’avait pas saisi la gravité de la situation. Les partis indépendantistes, s’ils ont été rassurés par l’abandon de la réforme du corps électoral, ont maintenu leur appel à un nouveau vote d’autodétermination après le troisième référendum qu’ils estiment non recevable, ainsi qu’à la libération de leurs dirigeants détenus en France métropolitaine. Il reste à voir si les concessions gouvernementales suffiront à mettre fin aux troubles en Nouvelle-Calédonie. La mouvance indépendantiste est divisée et la capacité de certains dirigeants à contrôler la frustration des jeunes Kanaks est incertaine.

Les concessions françaises ont été accueillies avec soulagement par la « famille »  du Pacifique, notamment le FIP, la principale organisation régionale d’Océanie qui regroupe 18 États et territoires associés du Pacifique et dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française sont membres depuis 2016. L’organisation, avec laquelle la France a toujours eu des relations difficiles, s’était auto saisie d’une mission de médiation courant juillet avant de revenir à une proposition de mission « d’information », plus acceptable par le gouvernement français, afin de dresser un état des lieux de la situation en Nouvelle-Calédonie.

Comment comprendre les enjeux d’une « information équilibrée » face à la crise néo-calédonienne ?

Ce souci d’une information transparente qui pourrait être dispensée en toute connaissance de cause par des représentants du FIP et destinée aux membres du Forum comme à l’opinion publique océanienne met l’accent sur la bataille des narratifs, la guerre informationnelle et de possibles ingérences étrangères à l’œuvre autour de la crise calédonienne. Des questions subsistent sur la nature du soutien du gouvernement azerbaïdjanais au Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) via une ONG, le Groupe d’Initiative de Bakou, financée par le régime du président Ilham Aliyev et soutenant des mouvements indépendantistes. La France étant visée via la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française pour la punir de soutenir l’Arménie dans son conflit avec l’Azerbaïdjan. En avril 2024, un mémorandum portant sur une coopération entre le Congrès de Nouvelle-Calédonie et l’Assemblée nationale azerbaïdjanaise a ainsi été signé par une représentante du FLNKS au nom du Congrès. Ce dernier le déclarera nul par la suite. Cette tentative de déstabilisation, qui en cache sans doute d’autres, plus subtiles, ne rend que plus nécessaire l’accès à une « information équilibrée » selon les mots de l’ambassadrice française pour le Pacifique, Véronique Roger-Lacan. Il s’agit de contrer l’effet de brouillage de narratifs sur l’usage disproportionné de la violence par les autorités françaises et de rééquilibrer l’émotion des pays insulaires, notamment mélanésiens, face à ce qu’ils perçoivent comme une tentative néocoloniale de dépouiller les peuples autochtones de leurs droits et de leur représentation légitimes.

La mission d’information du FIP, constituée des Premiers ministres des îles Cook, de Tonga, Fidji ainsi que du ministre des Affaires étrangères des îles Salomon a auditionné des interlocuteurs les plus divers de la société calédonienne du 27 au 29 octobre 2024. Peut-elle être considérée comme neutre ? Fidji et les Îles Salomon font partie de l’arc mélanésien et sont membres du Groupe Fer de lance mélanésien créé en 1988 pour soutenir l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie et dont le FLNKS fait partie. Par ailleurs, Fidji, les îles Cook et Tonga sont largement intégrés au projet chinois de Belt and Road Initiative (BRI). Cette prise d’influence économique chinoise s’exerce également en Nouvelle-Calédonie, Pékin important plus de 50 % du nickel du territoire.

La crise néo-calédonienne marque-t-elle le recul, sinon la fin de l’ambition indo-pacifique de la France ?

L’idée que la France puisse être un pays du Pacifique insulaire continue de surprendre bon nombre de ses voisins. Tout en saluant l’engagement avec Paris, les membres du Groupe Fer de lance considèrent la France comme un pays européen et une puissance coloniale qui administre encore des territoires saisis au XIXe siècle. En effet, la stratégie indo-pacifique française s’appuie sur une légitimité d’État résidant et l’existence d’une souveraineté en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Wallis-et-Futuna. La question néo-calédonienne peut en soulever d’autres. Lors d’une de ses premières interventions au sein du FIP alors qu’il venait d’être élu (en 2021) le président indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, Louis Mapou avait pu déclarer « Il ne fait aucun doute que la France a besoin de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, face aux autres puissances de la région. Mais ce n’est pas notre projet – nous voulons nous intégrer à nos voisins dans la région ».

Jusqu’à présent, la France s’est efforcée de tirer parti de l’Accord de Nouméa et des transferts de compétences au gouvernement local en s’appuyant sur ses prérogatives régaliennes, c’est-à-dire la défense et les relations extérieures. La revendication de la légitimité océanienne de la France s’est appuyée sur la possession d’un vaste domaine maritime qui en fait la deuxième puissance maritime mondiale, sa capacité à le contrôler et à participer à la sécurité régionale à travers de nombreuses coopérations militaires. La France développe ainsi un discours alternatif et inclusif au sein d’un espace polarisé par la rivalité sino-américaine tout en bénéficiant des capacités diplomatiques et financières de l’Union européenne. Le président Macron souhaitait notamment renforcer la coopération avec les États insulaires d’Océanie en les aidant à protéger leur économie bleue, à lutter contre la pêche illégale et l’impact du changement climatique.

La montée en puissance des Forces armées de Nouvelle-Calédonie (FANC) au sein d’un dispositif militaire récemment renforcé en personnel et en équipements, a pour fonction de mettre en œuvre cette diplomatie multilatérale axée sur la sécurité environnementale, l’aide humanitaire en cas de désastre naturel (HADR) et la défense de la biodiversité, aux côtés des partenaires australiens et néo-zélandais. L’accueil à Nouméa en décembre 2023 de la réunion des ministres de la Défense du Pacifique Sud (SDPMM) a souligné le rôle du territoire dans l’affirmation du statut indo-pacifique de la France et son souci de s’insérer davantage dans la coopération sécuritaire régionale au profit de ses voisins insulaires plus vulnérables. La France a donc beaucoup à perdre sur le plan régional et international en laissant perdurer une crise calédonienne qui ruinerait la crédibilité de son engagement indo-pacifique et modifierait dangereusement les rapports de forces en présence.

La solution à deux États est un mirage

La solution à deux États est un mirage

Entretien avec Stéphane Amar

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par Revue Conflits – publié le 6 novembre 2024

https://www.revueconflits.com/la-solution-a-deux-etats-est-un-mirage-entretien-avec-stephane-amar/


Journaliste et reporter, Stéphane Amar a consacré plusieurs ouvrages à la guerre en Palestine. Pour Conflits, il revient sur la surprise tactique du 7 octobre 2023, les succès de Tsahal et l’impasse de la paix.

Stéphane Amar est journaliste et reporter. Il a notamment publié Le Grand secret d’Israël (2019).

Propos recueillis par la rédaction.

Israël remporte des succès militaires sur tous les fronts : Gaza, Liban, Cisjordanie et même Iran avec l’élimination d’Ismaïl Haniyeh en plein Téhéran et le raid aérien réussi du 26 octobre. Comment expliquez-vous cela alors que le 7 octobre l’armée et les services de renseignement ont échoué ?

De mon point de vue, le 7 octobre ne marque pas un échec de l’armée ni même des services de renseignements, mais de l’idéologie dominante en Israël, c’est très différent. Cela a été largement documenté : les agents du renseignement et les militaires chargés de la surveillance de la bande de Gaza avaient alerté à d’innombrables reprises sur le risque d’une invasion à grande échelle. Je pense notamment au rapport « Jericho wall » qui décrivait assez précisément les intentions du Hamas ou aux multiples avertissements des observatrices de Tsahal qui décrivaient les préparatifs des miliciens palestiniens à quelques dizaines de mètres de la frontière. Lors d’une ronde, un soldat a même indiqué que le cadenas d’une porte de la barrière de sécurité avait été forcé. Son supérieur lui a simplement conseillé d’en installer un nouveau. À tous les échelons, les responsables militaires ou politiques ont été incapables de prendre la mesure de la menace. À l’exception notable d’Avigdor Lieberman qui hurlait dans le désert.

Les dirigeants israéliens estimaient que le Hamas, croulant sous les dollars du Qatar et de l’aide internationale, n’avait aucun intérêt à risquer une confrontation majeure avec Israël d’autant que les précédents affrontements de 2008, 2012 et 2014 avaient été marqués par une disproportion flagrante des pertes en vies humaines. En outre, ils estimaient le Hamas incapable de concevoir et de réaliser une opération militaire aussi audacieuse et précise : centralisation extrême de la prise de décision, destruction des caméras de surveillance à l’aide de drones, utilisation d’ULM, etc.

Sur ce plan la faillite est totale. Mais force est de constater que l’invasion du Hamas a été refoulée en moins de 24 heures. À l’aube du 8 octobre, Tsahal avait repris le contrôle de l’intégralité du territoire et neutralisé les derniers miliciens palestiniens. En ce sens, je ne considère pas que l’armée israélienne a échoué. Elle a simplement été victime des errements des élites israéliennes. Les spectaculaires succès du renseignement et des unités combattantes depuis le 7 octobre prouvent que les capacités offensives et défensives de Tsahal restent à la hauteur de leur réputation.

Quelles conséquences ces succès tactiques vont avoir sur le conflit israélo-palestinien ? En d’autres termes, quel nouvel horizon se dessine avec l’après Hamas et l’après Hezbollah ?

Ces deux campagnes soulignent l’importance du renseignement et la nécessité d’une présence militaire sur le terrain. À Gaza, Israël a pâti d’une mauvaise analyse des informations, mais aussi, sans doute, du démantèlement de son réseau d’informateurs au sein de la population gazaouie depuis le retrait de 2005. Face au Hezbollah, en revanche, la profondeur de l’infiltration s’est révélée précieuse. À cet égard, la formidable opération des bipeurs a marqué un point de rupture dans le conflit et précipité le délitement de la milice chiite.

À Gaza, on s’achemine donc très probablement vers le maintien d’une présence militaire sur le long terme, au moins dans le nord de la bande, sur l’axe central de Netzarim et sur l’axe de Philadelphie le long de la frontière égyptienne. Au sud-Liban, Israël va tenter de trouver un accord avec l’armée libanaise pour empêcher le retour et le réarmement du Hezbollah et très probablement instaurer une étroite zone tampon le long de la frontière.

Mais la principale conséquence du 7 octobre concerne un terrain dont on parle moins : la Cisjordanie. L’offensive à Gaza s’accompagne d’une intensification de la lutte contre les groupes armés, souvent liés au Hamas, en Cisjordanie. Ces actions se concentrent dans quelques bastions islamistes, dont le quartier de réfugiés de Tulkarem, situé à quelques centaines de mètres seulement de la frontière israélienne. Plusieurs spécialistes militaires estiment que ces groupes armés préparaient une invasion du territoire israélien sur le modèle du 7 octobre. Rappelons que nous sommes-là à une quinzaine de kilomètres de l’agglomération de Tel-Aviv, le poumon économique d’Israël. En Cisjordanie aussi l’occupation militaire devrait se poursuivre. Elle s’accompagne du reste d’une intensification de la colonisation qui conduira selon toute vraisemblance à une annexion au moins partielle du territoire.

Les Israéliens sont-ils prêts à soutenir une telle politique ? Quid de la solution à deux États ?

La principale raison de l’aveuglement collectif qui a conduit à la catastrophe du 7 octobre réside dans l’adhésion au dogme de la solution à deux États qui infuse dans les élites israéliennes depuis les années 1990. Cette idéologie à l’origine des accords d’Oslo soutient que la séparation entre Israéliens et Palestiniens et la reconnaissance d’une souveraineté à ces derniers conduira à la paix ou, du moins, à un certain apaisement. Elle a commandé les retraits des villes palestiniennes de Cisjordanie à partir de 1995, le retrait du sud-Liban en 2000 et le retrait de la bande de Gaza en 2005.

Dans ces trois cas, le désengagement de Tsahal a débouché sur une dramatique aggravation du conflit.

La solution à deux États suppose que le conflit repose sur un contentieux territorial et que les deux peuples pourront vivre côte à côte paisiblement lorsqu’un compromis sera trouvé. Or, ni l’OLP de Yasser Arafat, ni le Hamas n’envisagent un partage du territoire, mais plutôt une « libération de la Palestine de la rivière à la mer ». Ce slogan ne résonne pas seulement sur les campus occidentaux, il imprègne la charte du Hamas, les médias palestiniens, les manuels scolaires, les réseaux sociaux, etc. Même si toute comparaison s’avère forcément hasardeuse, côté israélien, la montée en puissance du nationalisme religieux exclut également tout compromis sur ces territoires fondateurs de l’identité hébraïque. On peut choisir d’ignorer ces dimensions, mais cela ne change rien et cela empêche de penser d’autres solutions. En attendant, Israël continuera d’exploiter sa supériorité militaire en poursuivant son implantation en Cisjordanie.

Comment imaginer que les États-Unis soutiennent Israël dans cette voie ?

Quel que soit le prochain président des États-Unis, ses leviers d’action resteront très limités. Pour Israël, l’occupation militaire de la Cisjordanie constitue, on l’a vu, un impératif sécuritaire de première importance. La colonisation de ce territoire répond, elle, à des impératifs d’aménagement du territoire, d’espace vital, si on peut utiliser ce terme quand on connaît sa résonance historique. Le pays connaît une très forte croissance démographique et les deux grands centres urbains, Tel-Aviv et Jérusalem, frôlent la saturation. Le seul foncier abordable se trouve dans les environs immédiats de ces agglomérations : en Cisjordanie. La démographie est le principal moteur de la colonisation, bien davantage que l’idéologie du grand Israël. Je ne vois aucune pression diplomatique capable d’enrayer ce processus.

Observez-vous un réel changement d’attitude des pays arabes ou un simple rapprochement opportuniste face à la menace iranienne ?

Les deux se mêlent. Il est évident que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite voient d’un bon œil les déboires des proxys de l’Iran et de la République islamique elle-même face à Israël. Ces deux pays, qui se sont cassé les dents face aux Houthis, se réjouissent de l’affaiblissement de l’axe chiite. Cela explique leur grande modération dans la condamnation d’Israël et même, concernant les Émirats et Bahreïn, la poursuite enthousiaste des accords d’Abraham. Mais le véritable changement viendra d’une normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite. Le royaume envoie des signaux contradictoires, signe des tensions qui agitent les dirigeants saoudiens sur ce dossier. Il me paraît évident que le futur maître du pays, le prince Mohammed Ben Salman, réalisera ce rapprochement. La région prendra alors un visage très différent et, je l’espère, marchera vers une inexorable pacification.

L’Europe coalisée contre la France : l’Allemagne, l’âme des coalitions de revers (2/2)

L’Europe coalisée contre la France : l’Allemagne, l’âme des coalitions de revers (2/2)

Après avoir exploré les pièges de la résurrection de la Communauté européenne de défense de 1952, le groupe Vauban décrypte la stratégie de marginalisation de la France par l’Allemagne, l’Italie et la Grande-Bretagne avec l’alliance entre Berlin et Rome dans le domaine terrestre et l’accord de Trinity House avec Londres.

« Fidèles serviteurs de l'OTAN et de Washington, animés d'un désir de mettre la France en position d'infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l'Europe : à l'Allemagne, la défense du flanc Nord de l'OTAN ; à l'Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l'Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l'Allemagne » (Groupe Vauban)
« Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne » (Groupe Vauban) (Crédits : Jens Buttner)

 

L’âme de la deuxième coalition est, sans surprise, à Berlin même. Poursuivant sa politique de champions nationaux (Diehl dans les missiles ; OHB dans le spatial ; Rheinmetall plus que KMW, dans les blindés ; Hensoldt dans l’électronique de défense ; TKMS dans le naval ; Renk et MTU dans la propulsion) et de récupération des compétences qui lui font encore défaut (propulsion spatiale, satellites d’observation et aéronautique de combat et missiles), l’Allemagne a compris depuis les années 90 qu’elle obtiendrait beaucoup plus d’une France récalcitrante en faisant des alliances de revers que par la négociation directe.

En ce sens, l’actualité récente est la réédition des années 1997 à 2000, années où Berlin a proposé à Londres des fusions de grande ampleur : Siemens avec BNFL, bourse de Francfort avec celle de Londres, DASA avec British Aerospace. A chaque fois, il s’agissait moins de forger des alliances de revers que de faire pression sur la France. Trop faible pour voir clair dans ses intérêts et le jeu de ses concurrents, trop altruiste pour voir toute la naïveté et la portée de ses actes, la France de Lionel Jospin a offert la parité à l’Allemagne dans le domaine de l’aéronautique, elle qui n’en demandait au mieux que le tiers (qu’elle pesait au demeurant très justement…).

L’Allemagne, l’âme des coalitions de revers

Avec ses alliances en Italie (dans le domaine des blindés) et au Royaume-Uni (sur l’ensemble des segments), Berlin tend à Paris de nouveau le même piège : « cédez sur le MGCS et le SCAF ou nous actionnons l’alliance de revers ». L’Europe de l’industrie d’armement qui se prépare, n’est en réalité qu’une coalition contre les thèses françaises dans la défense et son indispensable corolaire, l’armement. Nulle surprise dans ce constat : dominant ses concurrents militaires et industriels grâce à l’héritage gaullien, possédant le sceptre nucléaire qui lui ménage une place à part dans le concert des grandes nations, influente par son siège au Conseil de sécurité aux Nations-Unies et ses exportations d’armement, la France est le pays à ramener dans le rang des médiocres aigris et jaloux et de la petite bourgeoisie de la défense européenne.

Rien de nouveau sous le soleil européen puisque, si l’on en croit Alain Peyrefitte, le général De Gaulle faisait déjà cette analyse : « Pour la dominer aussi, on s’acharne à vouloir la faire entrer dans un machin supranational aux ordres de Washington. De Gaulle ne veut pas de ça. Alors, on n’est pas content, et on le dit à longueur de journée, on met la France en quarantaine. » (13 mai 1964).

La menace Rheinmetall

Marginalisée depuis la création de KANT puis de KNDS, méprisée voire sacrifiée en France même par le gouvernement de François Hollande en 2015 avec la complicité des députés UMP, l’industrie terrestre nationale ne vit que par des îlots (canons, tourelles, obus), ayant abandonné les chars (sans que la DGA ne réagisse en 2009 lors de la suppression de la chaîne Leclerc par Luc Vigneron), les véhicules blindés chenillés (choix très contestable du tout-roues), l’artillerie à longue portée et saturante ; écrasée par la férule de Frank Haun, désormais noyé dans KNDS France sans trop oser se défendre lui-même, Nexter est menacé de disparition par la double alliance KMW/Rheinmetall au sein du MGCS et Rheinmetall/Leonardo dans l’ensemble des segments.

Aveuglé par le couple franco-allemand, Paris n’a pas accordé assez d’attention à la montée en puissance de Rheinmetall, vrai champion du terrestre allemand, qui, par commandes et acquisitions, se retrouve enraciné en plein milieu du jeu allemand (comme future actionnaire de TKMS et bras armé de la politique ukrainienne de Berlin), et de la scène européenne qu’il a conquise pas à pas : en Hongrie d’abord, puis au Royaume-Uni, en Lituanie, en Roumanie, en Ukraine, en Croatie et désormais en Italie, sans oublier d’établir la relation transatlantique (avec Lockheed Martin sur le F-35, avec Textron sur la compétition Lynx et en achetant le constructeur Loc Performance Products). La toile tissée par Rheinmetall en Europe est une véritable coalition contre les positions françaises.

Un partage de l’Europe sans la France

Le même coup de faux se prépare avec l’accord germano-britannique de Trinity House qui, même s’il ne réalisera pas toute ses prétentions faute de compétences et de moyens, érige un axe concurrent durable et redoutable dans des domaines clés pour la France : le nucléaire, les systèmes de missile à longue portée, les drones d’accompagnement des avions de combat de future génération, la robotique terrestre, la patrouille maritime.

Fidèles serviteurs de l’OTAN et de Washington, animés d’un désir de mettre la France en position d’infériorité militaire et industrielle, les coalisés se sont partagés l’Europe : à l’Allemagne, la défense du flanc Nord de l’OTAN ; à l’Italie, la défense du flanc Sud joignant théâtre de la Méditerranée orientale à l’Asie-Pacifique ; au Royaume-Uni, la Turquie, la Pologne et les pays baltes en liaison avec l’Allemagne. Les contrats industriels suivent les diplomates, avec une moisson gigantesque de chars de combat Leopard, de véhicules blindés Boxer, de l’artillerie RCH-155, de véhicules blindés de combat d’infanterie Lynx et de chars Panther et de systèmes sol-air (22 pays membres de l’initiative allemande ESSI).

La France nulle part dans l’Europe qu’elle prétend bâtir

Au bilan, la France est nulle part dans cette Europe qu’elle prétend pourtant bâtir ; elle n’a pas eu le courage politique de s’opposer aux dérives illégales de la Commission européenne en pratiquant la politique de la chaise vide ; son gouvernement est un mélange instable de fédéralisme affirmé, d’atlantisme assumé et de gaullisme à éclipses : comment pourrait-il mener une autre politique que celle « du chien crevé au fil de l’eau » (De Gaulle) consistant à se couler avec facilité et confort dans le mainstream institutionnel otanien au nom de l’Ukraine ? Comme lors de la IVème République, ses partis politiques sont occupés à la tambouille politicienne et ne pensent plus le monde selon les intérêts nationaux mais selon les intérêts de l’OTAN, de l’Ukraine et d’Israël.

Alors que la France s’épuise en débats stériles politiciens dans un régime devenu instable (les deux vont de pair), ses positions stratégiques en Europe se dégradent :

  • La cohérence de son système de défense reposant sur la souveraineté nationale et la défense des intérêts nationaux, au profit d’un fédéralisme européen sous tutelle américaine décrété urgent par la guerre en Ukraine et la menace russe ;
  • Sa dissuasion nucléaire, au profit d’un projet de missile conventionnel à très longue portée et d’une défense anti-missile germano-américano-israélienne à vocation européenne, deux projets promus, comme par hasard, par l’Allemagne ;
  • Son modèle d’industries nationales, monopolistiques, seules capables de concevoir, développer, produire et maintenir des systèmes d’armes souverains, au profit de fusions industrielles européennes qui placeront les armées et l’industrie françaises en position de dépendance complète des deux Bruxelles (OTAN et Union européenne) ;
  • La conduite de ses programmes d’armement, réalisée par ses ingénieurs de l’armement dont c’est le métier et la vocation, au profit de bureaucrates européens ne connaissant rien aux domaines de l’armement mais ayant le pouvoir juridique et financier ;
  • Sa liberté souveraine d’exporter de l’armement à qui elle l’entend et sans frein autre que ses intérêts et sa morale à elle, au profit de règlements européens, spécialement édictés pour la restreindre, autre projet porté par l’Allemagne.

Le pire est que ces développements ont été portés par la classe politique elle-même qui les a encouragés à coup de proposition de « dialogue sur la dissuasion », « d’autonomie stratégique européenne » ou de programmes en coopération mal négociés, en mettant de côté les aspects gênants comme les divergences de doctrine, de niveau technologique et d’analyses sur les exportations.

Le pire est également que ces développements se profilent au moment même où la France, faute de limiter son gouvernement aux seuls domaines régaliens et de créer la richesse au lieu de la taxer et de la décourager, n’a plus les moyens de sa défense : comment celle-ci pourrait-elle en effet continuer de résister à la dérive des finances publiques, à la sous-estimation systématique de tous ses besoins (des capacités négligées aux infrastructures délaissées en passant par les surcoûts conjoncturels prévisibles mais ignorés) et à la mauvaise gestion de ses finances propres (comme en témoigne le montant faramineux des reports de charges) ?

Si la LPM est officiellement maintenue en apparence, ses fondements financiers, déjà minés dès sa conception par un sous-financement général, apparaissent pour ce qu’ils sont : insuffisants à porter le réarmement national de manière durable et soutenu. Faudra-t-il comme Louis XIV vendre l’argenterie royale ? Faudra-t-il vendre des biens nationaux comme la Révolution le fit dans son incurie ? Ou lui faudra-t-il écraser d’impôts les Français comme le Premier Empire s’y est résigné pour éviter l’emprunt ?

Une révision drastique de ses alliances

La rupture avec les deux Bruxelles est la double condition de la renaissance nationale. Face à l’Europe coalisée contre son système de défense, la France n’aura pas d’autre choix qu’un sursaut passant par une révision fondamentale du rôle de l’État, c’est-à-dire la réduction drastique de ses interventions sociales et économiques ruineuses et inefficaces, et d’une révision complète de son cadre d’alliances, afin que celles-ci la fortifient au lieu de l’atrophier.

La guerre froide n’a pas empêché ni la politique de la chaise vide ni le retrait du commandement intégré de l’OTAN, c’est-à-dire de quitter les deux Bruxelles au profit d’une politique du grand large, et pourtant le général de Gaulle qui a pris ces deux décisions majeures, n’était ni irresponsable ni irréfléchi. Les fruits de la grande politique qu’il a voulue, sont connus : un rayonnement considérable de sa diplomatie et de ses exportations d’armement.

Georgie, Moldavie, Ukraine : le reflux géopolitique euro-atlantiste

Georgie, Moldavie, Ukraine : le reflux géopolitique euro-atlantiste

Pierre-Emmanuel Thomann* – CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°659 / novembre 2024

*Docteur en géopolitique

La victoire du parti « Rêve géorgien » en Géorgie, le mauvais résultat lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en Moldavie – où la majorité des Moldaves résidents ont voté NON, tandis que le OUI n’est passé qu’avec les voix de la diaspora dans l’UE et dont la légitimité est douteuse –, mais aussi l’élection présidentielle dans ce pays remportée par la présidente sortante Maia Sandu avec les voix de la diaspora de l’UE (elle est Roumaine et a été formatée par sa carrière précédente aux États-Unis), signifient en réalité un renversement de la tendance à l’extension inéluctable de l’espace euro-atlantique et annonce le reflux géopolitique de l’UE mais aussi de l’OTAN.

En effet, suite à la victoire géopolitique de plus en plus inéluctable de la Russie en Ukraine, où la seule inconnue réside dans le nouveau tracé de la frontière à la suite du processus de réunification russe, les citoyens et gouvernement des pays qui ont fait partie du monde russe (et s’en rapprochent à nouveau) ont appris de l’histoire récente. Ils ont remarqué que les pays qui se sont positionnés comme États-fronts contre la Russie sont devenus un champ de bataille entre les États-Unis et la Russie au détriment de leur sécurité et de leur économie, et ont perdu des territoires au cours cet affrontement.

Le positionnement du parti « Rêve géorgien » est ainsi le plus en phase avec les intérêts de sécurité de la Géorgie. Les Géorgiens lucides ont bien compris que positionner leur pays comme instrument de Washington pour encercler la Russie (cf. carte) ne pouvait qu’aboutir à en faire un champ de bataille au seul profit des Américains et de leurs supplétifs de l’OTAN et de l’UE, qui cherchent à les instrumentaliser. La promesse du « Rêve géorgien » était de refuser un politique de sanctions contre la Russie (ce qui détruirait l’économie géorgienne) et d’éviter un nouveau conflit avec la Moscou. D’où le résultat des élections en sa faveur, malgré la tentative de changement de régime raté de la présidente Salomé Zourabichvili, qui travaille pour les intérêts euro-atlantistes sous couvert d’élargissement à l’UE. Les intérêts de la Géorgie sont secondaires pour l’UE qui ne s’intéresse qu’à son « occidentalisation », c’est-à-dire à la réorienter géopolitiquement pour la détacher de Moscou et imposer son modèle de démocratie libérale d’inspiration américaine en synergie avec Washington et l’OTAN. Pour survivre comme civilisation, et au vu de sa position géographique (en Asie) et de sa culture, la Géorgie a intérêt à se rapprocher du monde russe dont elle a fait partie : c’est le sens de la géohistoire. L’occidentalisation (américanisation) de la Géorgie promue par les idéologues admirateurs de l’Occident américanisé, ferait disparaitre la Géorgie comme entité civilisationnelle, c’est donc une dangereuse illusion. Il en va de même pour l’Ukraine et la Moldavie qui risquent l’alinéation géopolitique et culturelle en s’occidentalisant.

Les Géorgiens ont appris des conflits récents en observant la défaite inéluctable du régime de Kiev qui a fait l’erreur stratégique funeste de se positionner comme État-front contre la Russie. Il ont aussi l’expérience de la guerre Russie-Géorgie de 2008 déclenchée par l’ancien président Mikhaïl Saaskachvili, promoteur des intérêts américains et finalement lâché par Washington qui lui avait pourtant promis à long terme une adhésion à l’OTAN avec pour résultat de provoquer la Russie, comme en Ukraine. Ce conflit de 2008 a constitué la première guerre du monde multipolaire : les États-Unis, qui ont tenté, via à la Géorgie, de poursuivre l’élargissement de leur stratégie d’encerclement et de fragmentation de l’Eurasie pour imposer le monde unipolaire, n’ont pas pu absorber ce pays en raison de la réaction russe. Ils continuent cependant de soutenir les forces politiques favorables à l’occidentalisation pour reprendre la manœuvre contre Moscou, à un moment plus favorable.

Après l’échec, pour l’UE, des deux évènements électoraux en Géorgie et en Moldavie, et la défaite des États membres de l’OTAN en Ukraine, c’est un scénario alternatif qui se profile. L’OTAN et l’UE, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, ne s’élargiront ni à la Géorgie, ni à l’Ukraine, ni la Moldavie. La réforme de ces deux institutions aux paradigmes de plus en plus obsolètes – défendre la stabilité et la prospérité européennes dans un nouvel ordre géopolitique post-américain, car créées pendant le Guerre froide et consolidées lors du monde unipolaire après la disparition de l’URSS – est une illusion. Les États membres de l’UE et de l’OTAN se diviseront de plus en plus sur la question de l’élargissement et les citoyens de l’UE y sont de plus en plus largement opposés. Seuls les gouvernements vassalisés à Washington y sont favorables et cherchent à accélérer le processus pour éviter que ces pays coopèrent avec Moscou. La visite du Premier ministre hongrois Victor Orban à Tbilissi pour féliciter la victoire électorale du gouvernement géorgien a torpillé toute velléité de l’UE de promouvoir un changement de régime et annonce la fragmentation géopolitique croissante de l’UE, mais aussi de l’OTAN, sur cette question. Les angles morts de la politique d’élargissement de l’UE englobent aussi : l’ambition géopolitique de l’Allemagne – qui cherche à reconstruire sa zone d’influence en Europe centrale et orientale au détriment de la Russie sous le parapluie nucléaire américain –, le projet d’annexion de la Moldavie par la Roumanie, les visées polonaises dans l’Ouest de l’Ukraine (Silésie) et la France, au départ réticente à l’élargissement, mais qui s’est alignée pour contrebalancer l’Allemagne. Tous ces projets sont surtout susceptibles d’aboutir au dépeçage géopolitique de ces pays candidats, dans la pure tradition de la géopolitique du XIXe et XXe siècles.

 

Le Sahel après le retrait français par Bernard Lugan

par Bernard Lugan – AASSDN – publié le 3 novembre 2024

https://aassdn.org/amicale/le-sahel-apres-le-retrait-francais_par_bernard-lugan/


Après la mort de 52 des meilleurs enfants de France tombés pour défendre des Maliens et des Nigériens préférant émigrer en France plutôt que se battre pour leurs pays respectifs, que devient le Sahel depuis le retrait français des années 2022 et 2023 ? 
La région est en effet sortie de l’actualité française, d’une part parce que l’Ukraine et le Moyen-Orient attirent tous les regards ; d’autre part, en raison de la situation intérieure hexagonale. Or, à bas bruit, se poursuit l’extension des territoires contrôlés par les islamistes, par les trafiquants de drogue et par les passeurs de migrants. 

Avec des moyens dérisoires à l’échelle du gigantesque théâtre d’opérations saharo-sahélien, – plus de 8 000 000 km2 de désert et plus de 3 000 000 km2 de Sahel -, Barkhane, qui n’était que de passage, n’était évidemment pas en mesure de refermer ces plaies ethno-raciales ouvertes depuis la nuit des temps et qui sont à la base des guerres actuelles. 

Aujourd’hui, les Russes comprennent à leur tour qu’ils ne peuvent agir sur les constantes millénaires qui conditionnent les définitions politico-sociales régionales. Ils ne peuvent pas davantage résoudre les problèmes liés à la démographie, à la sous-administration et à l’inexistence d’Etats sans profondeur historique qui associent tout à fait artificiellement des Nord blancs et des Sud noirs immémorialement antagonistes. 

L’ignorance des constantes ethno-historico-politiques régionales et d’un milieu dans lequel les populations ont une tradition de violence en raison de la concurrence pour les maigres ressources en eau ou en pâturages, a fait qu’un conflit localisé à l’origine au seul nord-est du Mali, limité à une fraction touareg, et dont la solution passait par la satisfaction de revendications politiques légitimes de cette dernière, s’est transformé en un embrasement régional échappant désormais à tout contrôle. 

Un désastre qui s’explique par une erreur originelle de diagnostic. La polarisation sur le jihadisme fut en effet l’alibi servant à masquer la méconnaissance des décideurs français, doublée de leur incompréhension de la situation. Comme je n’ai cessé de le dire et de l’écrire depuis au moins deux décennies, le jihadisme saharo-sahélien est en effet, et d’abord, la surinfection de plaies ethniques séculaires et même parfois millénaires. 

Or, comme il vient d’être dit, nul n’étant en mesure de cautériser ces dernières, les malheureuses populations continueront donc à vivre dans la terreur. 

N’en déplaise aux tueurs de mémoire, nous assistons bien en réalité au retour à la longue durée régionale. Une situation qui avait été mise entre parenthèses entre les années 1890 et 1960, durant la brève parenthèse coloniale, quand la France s’est ruinée avec application pour assurer la paix aux populations, pour les soigner, pour les nourrir, pour tracer des routes, lancer des ponts, bâtir dispensaires, hôpitaux, écoles…

Bernard Lugan
Editorial du 1er novembre 2024
https://bernardlugan.blogspot.com/

Général Burkhard : « L’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre » dans la zone Indopacifique

Général Burkhard : « L’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre » dans la zone Indopacifique


Avec la professionnalisation des armées, la Révision générale des politiques publiques [RGPP] et les contraintes budgétaires, le format des forces dites de souveraineté, car affectées dans les territoire d’outre-Mer, a été réduit d’environ 20 % entre 2000 et 2015. Et cela s’est également traduit par des ruptures capacitaires temporaires, voire définitives.

Aussi, ces dernières années, plusieurs rapports parlementaires ont établi le constat que, malgré leurs contributions aux principales fonctions stratégiques [connaissance et anticipation, protection et intervention], voire leur appui à la dissuasion, les forces de souveraineté n’avaient pas les moyens suffisants pour mener l’ensemble des missions qui leur sont assignées.

Cependant, les deux dernières Lois de programmation militaire [LPM] ont acté une remontée en puissance des forces de souveraineté, avec, par exemple, le renouvellement des patrouilleurs de la Marine nationale. Il est aussi question qu’elles bénéficient d’un investissement de 13 milliards d’euros pour la période 2024-30. En outre, des déploiements aériens comme « PEGASE » [Projection d’un dispositif aérien d’EnverGure en Asie du Sud-Est] permettent de renforcer ponctuellement la posture des forces françaises dans les territoires ultramarins de la zone Indopacifique.

« Il s’agit d’améliorer notre contribution à la protection du territoire national, singulièrement de nos territoires d’outre-mer et de nos zones économiques exclusives, où l’accumulation des tensions stratégiques et les stratégies hybrides – sans oublier les effets liés au changement climatique, à la prédation sur les ressources naturelles et aux flux migratoires illégaux – nous obligent à revoir notre dispositif », avance la LPM 2024-30.

Or, en 2021, alors chef d’état-major de la Marine nationale [CEMM], l’amiral Pierre Vandier avait dit ne pas exclure un « coup de force » contre un territoire français ultramarin. « Des affrontements violents en mer sont possibles, y compris de la part d’adversaires qui pourraient agir de manière à défier notre détermination et tester l’articulation de notre capacité de réponse conventionnelle sous le seuil nucléaire », avait-il confié à Mer & Marine, en prenant l’exemple de la guerre des Malouines / Falklands.

« De la même manière, on pourrait imaginer à l’avenir une tentative d’éviction de la France de certaines régions du monde, notamment celles où nous avons des territoires. Nous devons pouvoir décourager et si nécessaire empêcher de telles initiatives », avait ajouté l’amiral Vandier, avant de souligner la nécessité pour la Marine nationale d’aligner des « équipements répondant à la hausse du niveau de menace ».

Parmi les territoires d’outre-mer susceptible de faire l’objet d’un éventuel coup de force, la Nouvelle-Calédonie arrive en tête de liste, en raison de la position stratégique qu’elle occupe. Dans un volumineux rapport publié en 2021, l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire [IRSEM] avait expliqué que l’éventuelle indépendance de l’archipel ne pourrait que servir les intérêts de Pékin.

« Une Nouvelle-Calédonie acquise à la Chine deviendrait la clé de voûte de la stratégie d’anti-encerclement chinoise, tout en isolant l’Australie puisqu’en plus de Nouméa, Pékin pourra s’appuyer sur Port Moresby, Honiara, Port-Vila et Suva », avait avancé l’IRSEM. D’où l’intérêt que porte Pékin aux mouvements indépendantistes néo-calédoniens.

« La Chine fonctionne en noyautant l’économie, en se rapprochant des responsables tribaux et politiques parce que c’est la méthode la plus efficace et la moins visible. Sa stratégie est parfaitement rodée et elle a fonctionné ailleurs dans le Pacifique », avait souligné le rapport.

Pour autant, faut-il redouter un coup de force militaire contre le « Caillou » ? Le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, n’y croit pas. D’ailleurs, même si cela devait arriver, la France n’aurait pas les moyens de s’y opposer…

« Bien sûr, nous devons assurer la souveraineté de nos territoires d’outre-mer, mais soyons clairs : la France n’a pas l’ambition d’aller faire la guerre dans la zone indo-pacifique ! », a en effet affirmé le CEMA, lors d’une audition à l’Assemblée nationale, le 25 septembre dernier [le compte-rendu vient d’être publié, ndlr].

« Ce qui menace la Nouvelle-Calédonie n’est pas une invasion par la Chine. [Si] celle-ci cherche probablement à y étendre son influence, l’armée française n’est pas taillée pour aller faire la guerre à 17 000 kilomètres d’ici. La menace qui s’exerce sur notre souveraineté en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française aujourd’hui n’est pas stricto sensu une menace militaire qui nécessite des installations et un outil de combat », a conclu le général Burkhard.

En attendant, la situation en Nouvelle-Calédonie, en proie à de vives tensions d’une ampleur inédite depuis les années 1980, inquiète l’Australie ainsi que, dans une moindre mesure, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis.

L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

L’Europe coalisée contre la France : Les deux Bruxelles contre la France (1/2)

OPINION – Où va l’Union européenne dans le domaine de l’industrie de la défense ? Selon le groupe Vauban, la création d’un marché unique au niveau européen ouvrira la porte aux industriels américains, israéliens et sud-coréens avec la création d’une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense. Elle permettra une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE », selon une recommandation du rapport Draghi. C’est pour cela que la France doit quitter et l’OTAN et l’Union européenne, selon le groupe Vauban.

« L'Europe ne faisant pas le poids face à l'OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d'opération majeur pour eux quoiqu'en dise) et s'assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban)
« L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense » (Le groupe Vauban) (Crédits : Commission européenne)

 

Dans sa longue histoire, la France s’est régulièrement retrouvée seule face à une Europe coalisée contre elle : la force de son État-nation, de son génie diplomatique et militaire et de son rayonnement culturel lui a toujours permis d’y faire face. Les guerres de Louis XIV puis celles de la Révolution et de l’Empire, jusqu’aux décisions diplomatiques et militaires du général de Gaulle, en témoignent. L’Histoire se répète aujourd’hui sous d’autres formes, moins épiques mais tout aussi décisives : la résurrection de la Communauté Européenne de Défense de 1952, l’alliance germano-italienne dans le domaine terrestre (avant son prolongement ultérieur dans le domaine naval), et l’accord germano-britannique de Trinity House, prenant à revers le Traité de Lancaster House et celui d’Aix-la-Chapelle, en sont trois récentes manifestations.

Au terme de ces développements, la France n’est nulle part dans une Europe qu’elle prétend pourtant bâtir mais qu’elle n’a ni volonté ni constance pour la guider vers le sens de ses intérêts.

Bruxelles la fédérale ou la « volière des cabris »

L’âme de la première coalition anti-française est à Bruxelles. S’arrogeant des compétences qu’aucun traité ne lui reconnaît, la Commission européenne, pourtant gardienne des traités, use et abuse des mêmes procédés, dénoncés en son temps par la France lors de la politique de la chaise vide (mai – juillet 1965) : utilisant avec zèle son droit d’initiative, elle prend prétexte du marché intérieur pour réglementer le domaine de la défense, sanctuaire pourtant exclusif des États-nations.

Avec ses manières à la fois arbitraires et bureaucratiques mais toujours opaques, car avançant masquée, elle promet à ce secteur le même sort que les autres domaines dont elle s’est occupée depuis 1958 : la ruine totale au profit de la concurrence extra-européenne. L’agriculture, les transports, l’énergie, la métallurgie, l’automobile ont été sacrifiés sur l’autel de ses décisions et de ses convictions : les mêmes remèdes produisant les mêmes causes, la défense ne fera pas exception.

En ce sens, le rapport Draghi et la nomination d’un Commissaire européen à la défense accélèrent le processus, amorcé en 1952 avec la CED. La marche fédérale de von der Leyen consiste en cinq étapes claires dont la caractéristique commune est de reposer sur des principes tous aussi faux que néfastes aux systèmes de défense de chaque État-membre :

  • D’abord, proclamer l’urgence en raison de la guerre en Ukraine et de la menace russe (voire du résultat redouté des élections américaines) : ce sentiment d’urgence, déjà utilisé lors de la crise du COVID pour faire de la santé – domaine intergouvernemental – un domaine communautaire, est la pédale d’accélérateur destinée à éviter les débats et prendre de court des États toujours aussi lents à réagir.
  • Cantonner ensuite les États aux seules questions de doctrine et d’emploi des forces, en détachant soigneusement les questions d’armement de ces domaines : la Commission s’affirme ainsi compétente en matière d’industrie de défense au nom de ses prérogatives générales en matière de marché intérieur, notamment dans le domaine de l’industrie et de la technologie ; or, sans industrie d’armement, il ne saurait être question de politique de défense et encore moins de capacités militaires. Cette séparation des composantes de la défense est une négation pure de la doctrine française, qui a toujours établi que pour bien faire la guerre, il faut soi-même être capable en national de concevoir, développer, produire et entretenir ses propres matériels ; cette politique industrielle a créé deux instruments efficaces : la DGA et des champions nationaux, maîtres d’œuvre de la dissuasion ;
  • Poursuivre l’élan avec la création d’un marché unique de la défense au nom de l’efficacité ; gouverné avec les mêmes principes ultra-libéraux qui l’ont toujours guidé, ce marché unique s’ouvrira sans réciprocité à la concurrence extra-européenne (américaine, israélienne et sud-coréenne, voire turque) au nom d’accords de commerce internationaux conclus sous la seule autorité de la Commission ; ce « single market for defence », censé « accroître la capacité de production et de soutenir les achats conjoints d’équipements européens » – ne résoudra rien car les racines du mal européen ne sont pas à rechercher dans les monopoles nationaux, mais bel et bien dans d’autres raisons que la Commission se refuse évidemment de mentionner : dans le désarmement généralisé que chaque pays a délibérément voulu ; dans des investissements de lâche confort extra-européens, américain, israélien et désormais sud-coréen, acquisitions qui ruinent toute préférence européenne pour les 50 ans à venir ; dans la mauvaise méthode de coopération dans les programmes où le plus incompétent des industriels devait toujours recevoir une part égale et qui finissent toujours par des retards, des surcoûts, des sous-performances (NH90, Tigre, A400M, Eurodrone, Eurofighter, etc) et des pertes d’emplois qualifiés (Airbus Defense & space actuellement).
  • Créer en parallèle une autorité centralisée européenne de l’industrie de défense (« centralised EU Defence Industry Authority ») pour faire « une programmation et des achats d’armement en commun, i.e. c’est-à-dire pour acheter en central au profit des États-Membres » (recommandation n° 9 du rapport Draghi, cité comme référence dans la lettre de mission de Mme von der Leyen vers Andrius Kubilius). Cette autorité permettra évidemment une « coordination améliorée pour agréger l’acquisition de systèmes américains par des groupes d’États-Membres de l’UE » (recommandation n°10 du rapport Draghi) : la préférence européenne est ainsi sacrifiée par ceux qui devraient la défendre…
  • Achever enfin la « véritable Union de Défense Européenne », nouvelle expression d’une Communauté Européenne de Défense qui verra, à son apogée la création d’une armée européenne sous la direction d’un Commissaire européen à la défense, prenant lui-même ses ordres auprès du SACEUR américain à l’OTAN.

L’Europe sous les fourches caudines américaines

Ce schéma n’est ni imaginaire ni exagéré : c’est très exactement l’Europe de la Défense que dessine le rapport Draghi et que M. Kubilius s’efforcera, pas à pas, de concrétiser durant son mandat. En ruinant assurément le secteur de l’industrie d’armement en Europe, il détruira l’objectif même recherché : la défense de l’Europe par elle-même. Que nombre d’États-membres n’aient pas protesté, se conçoit : comme le disait le général De Gaulle [1], « les Allemands, les Italiens, les Belges, les Pays-Bas sont dominés par les Américains ».

Mais il est tragique de constater qu’en France, il n’y aura plus communistes et gaullistes – ou un Mendès-France – pour faire échec à cette CED nouvelle version. Les communistes ont disparu et les gaullistes, depuis Jacques Chirac, se sont ralliés à la fédéralisation de l’Europe tout maintenant la doctrine de dissuasion française, refusant de voir que l’une sacrifie délibérément l’autre. Aucun parti, y compris le RN, ne va jouer le rôle-clé qu’il aurait pu jouer sur ce dossier, à l’instar de celui joué par le gaullisme en 1954.

Cette marche à la supranationalité ne sera donc pas freinée par les États-membres sans géopolitique ni par les partis souverainistes sans courage, mais bel et bien recadrée par ceux-là même à qui elles profitent in fine : l’OTAN et les Etats-Unis, car ce que Madame von Der Leyen n’a pas voulu voir ou dire, c’est que sa CED à elle, en faisant doublon à l’OTAN, se condamne d’elle-même.

  • Les capacités ? C’est l’OTAN.
  • Les normes pour l’industrie d’armement ? C’est encore l’OTAN.
  • La structure de commandement ? C’est toujours l’OTAN.
  • La force d’intervention ? C’est évidemment l’OTAN.

L’Europe ne faisant pas le poids face à l’OTAN, la seule issue à ce conflit, déjà palpable à Bruxelles, sera une supranationalité soigneusement encadrée ou recadrée par les Etats-Unis pour, à la fois, assoir leur leadership politique en Europe (un théâtre d’opération majeur pour eux quoiqu’en dise) et s’assurer des parts dominantes dans le marché européen de la Défense. « To get the U.S in, the Soviets out and the Germans down » : cette définition cynique de l’OTAN formulée par le premier Secrétaire-Général de l’OTAN, Lord Ismay, reste toujours d’actualité.

L’Europe de la défense de Mme von der Leyen se dissoudra donc dans le pilier européen de l’OTAN, donnant ainsi raison au général De Gaulle : « Vous savez ce que ça veut dire, la supranationalité ? La domination des Américains. L’Europe supranationale, c’est l’Europe sous commandement Américain » [2].

La seule initiative qui subsistera sera la communautarisation forcée de l’industrie de défense des États-membres, annoncée dès le 8 juillet 2017 par Mme Goulard, éphémère ministre de la défense française : « Si nous voulons faire l’Europe de la défense, il va y avoir des restructurations à opérer, faire des choix de compatibilité et, à terme, des choix qui pourraient passer dans un premier temps pour aboutir à privilégier des consortiums dans lesquels les Français ne sont pas toujours leaders ». La perte de souveraineté industrielle assumée est toujours d’actualité si l’on en croit MM. Cingolani et Folgiero, respectivement PDG de Leonardo et de Fincantieri qui ont repris récemment la même antienne…tout en s’assurant que cette Europe industrielle-là se fera sous leur tutelle [3].

Au bilan, la seule « politique de la chaise vide » que la France aura faite, n’a pas été le fruit d’une décision d’un ministre de la défense français qui s’affiche gaulliste, mais de quelques industriels tricolores qui ont refusé de signer leur arrêt de mort sur l’autel de la fédéralisation de l’industrie d’armement. Deux d’entre eux sont les maîtres d’œuvre de la dissuasion : ce n’est pas un hasard tant la CED de Mme von Der Leyen est négatrice de la doctrine de dissuasion nationale qui suppose la souveraineté intégrale et non la servitude volontaire aux deux Bruxelles.

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[1] C’était de Gaulle, Alain Peyrefitte, Tome II, page 296
[2] Op.cit.
[3] Propos extrêmement clairs de M. Cingolani, Corriere della Serra, 27 octobre 2024, liant perte de souveraineté et leadership« Dans l’espace, comme dans la défense, ce qui est petit n’est pas beau et même une taille moyenne comme la nôtre ne suffit pas : les entreprises européennes doivent s’allier, sacrifiant leur souveraineté sur le petit marché intérieur pour pouvoir rivaliser ensemble sur l’immense marché mondial. Leonardo fait office de sherpa dans ce domaine et avec Rheinmetall, nous avons atteint un premier sommet historique ».

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[*] Le groupe Vauban regroupe une vingtaine de spécialistes des questions de défense.

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

Rapport Niinistö : « Plus sûrs ensemble : renforcer la préparation et l’état de préparation civils et militaires de l’Europe »

par Giuseppe Gagliano* –  CF2R – NOTE D’ACTUALITÉ N°657 / octobre 2024

https://cf2r.org/actualite/rapport-niinisto-plus-surs-ensemble-renforcer-la-preparation-et-letat-de-preparation-civils-et-militaires-de-leurope/

*Président du Centro Studi Strategici Carlo De Cristoforis (Côme, Italie). Membre du comité des conseillers scientifiques internationaux du CF2R.


Le récent rapport de Sauli Niinistö, ancien président de la Finlande, commandé par Ursula von der Leyen pour évaluer la préparation de l’Union européenne face aux crises et aux conflits, dessine une vision qui pourrait représenter un tournant politique, stratégique et en matière de renseignement pour l’Union européenne.

Politiquement, la proposition de créer un service de renseignement européen démontre une reconnaissance croissante au sein de l’UE de la nécessité de construire une défense intégrée et autonome, réduisant ainsi la dépendance vis-à-vis des États membres et des alliés étrangers, en particulier les États-Unis. La demande d’une structure de renseignement unifiée répond au besoin de défendre le territoire européen contre des menaces internes et externes de manière plus efficace, améliorant la capacité de réponse collective. Cependant, l’idée d’une agence de renseignement centralisée se heurte aux préoccupations de certains États membres, qui pourraient craindre une perte de souveraineté concernant leurs capacités de renseignement et leur sécurité nationale.

D’un point de vue stratégique, la proposition de Niinistö arrive à un moment crucial, avec le conflit en Ukraine qui continue de menacer la stabilité de tout le continent et les activités russes qui demeurent une menace pour les États membres de l’UE. La Russie a intensifié ses opérations de renseignement et de sabotage dans les pays de l’Union, profitant de la fragmentation des réponses des différents pays. Dans ce contexte, la création d’une agence de renseignement européenne pourrait non seulement améliorer le flux d’informations entre les États membres, mais aussi renforcer la résilience contre les attaques informatiques, les sabotages d’infrastructures critiques et les opérations clandestines. La proposition d’un système « anti-sabotage » mentionnée par Niinistö, visant à protéger les infrastructures essentielles, montre comment l’UE évolue vers un concept de défense plus large, qui ne concerne pas seulement la dimension militaire mais aussi la sauvegarde des ressources et des réseaux internes. La guerre en Ukraine a clairement montré la vulnérabilité des infrastructures critiques, comme les gazoducs et les réseaux de communication sous-marins, incitant l’UE à adopter une approche proactive pour éviter d’autres perturbations et interruptions à l’avenir.

Du point de vue du renseignement, le projet de Niinistö s’inspire probablement des modèles déjà utilisés par les alliés occidentaux, comme le réseau des « Five Eyes » entre les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, qui partagent largement le renseignement pour coordonner leur protection. Bien que l’UE dispose déjà de mécanismes de partage d’informations entre les États membres, l’établissement d’une agence de renseignement pleinement opérationnelle représenterait un changement de paradigme, en consolidant et en standardisant les processus de collecte, d’analyse et de diffusion des informations. Niinistö souligne également la nécessité de renforcer le contre-espionnage au sein des institutions européennes, notamment à Bruxelles, ville devenue un point central pour les opérations de renseignement de nombreuses puissances étrangères, en particulier russes, en raison de la présence des institutions communautaires et d’ambassades. La recommandation d’un service de renseignement européen vise donc non seulement à protéger les citoyens et les infrastructures de l’UE, mais aussi à garantir l’intégrité et la sécurité de ses propres institutions.

Les propos de Niinistö reflètent le besoin croissant de confiance et de coopération entre les États membres, essentiel pour faire face efficacement aux menaces modernes. Cependant, il existe un scepticisme quant à la possibilité de mettre en place une véritable agence de renseignement européenne, car certains États membres considèrent le partage de renseignement comme une question de souveraineté nationale. Von der Leyen a déjà reconnu que la collecte de renseignement est traditionnellement une prérogative des États nationaux, et de nombreux pays pourraient voir d’un mauvais œil une entité supranationale traitant de questions aussi sensibles. Cette réticence souligne une fois de plus les limites de l’UE à surmonter les barrières nationales dans des domaines clés de la sécurité et de la défense, et montre que, bien qu’il y ait une vision claire de renforcement de l’autonomie stratégique, la réaliser sera loin d’être simple. En définitive, le rapport de Niinistö pose les bases d’une discussion critique et nécessaire sur l’autonomie stratégique de l’UE, dans un contexte mondial où la coopération entre les États européens sera cruciale pour faire face aux défis de sécurité posés par les puissances rivales.

Le rapport de Sauli Niinistö et la proposition de créer une agence de renseignement unique au niveau européen offrent de nombreux sujets de réflexion. D’une part, les avantages de cette initiative sont évidents : une agence de renseignement centralisée permettrait à l’Union européenne de répondre de manière plus coordonnée et rapide aux menaces communes, telles que le terrorisme, le sabotage et les opérations d’espionnage. Une structure unifiée pourrait réduire la fragmentation des informations entre les différents services nationaux, garantissant un flux plus rapide et fiable de données stratégiques et opérationnelles. Cela permettrait aux États membres de prendre des décisions éclairées et fondées sur la base de renseignements complets et partagés. Une agence unique pourrait également renforcer la sécurité des institutions européennes, notamment à Bruxelles. En outre, une initiative de ce type représenterait un pas en avant vers l’autonomie stratégique de l’UE, réduisant en partie la dépendance aux informations provenant d’alliés extérieurs, notamment des États-Unis.

Cependant, les inconvénients sont tout aussi importants. Tout d’abord, il existe un problème de confiance : de nombreux États membres pourraient hésiter à partager intégralement leurs informations avec une entité supranationale, craignant des fuites de données ou la possibilité que des informations sensibles tombent entre de mauvaises mains. La tradition historique des services de renseignement nationaux, considérés comme un symbole de souveraineté et de sécurité, pourrait se heurter à l’idée de céder un pouvoir décisionnel et opérationnel à une agence centrale européenne. De plus, la création d’une agence de renseignement commune pourrait ne pas garantir pleinement l’indépendance de l’UE vis-à-vis de l’influence américaine. Au contraire, une structure de renseignement centralisée pourrait faciliter le conditionnement extérieur, car les États-Unis pourraient chercher à établir des relations privilégiées avec l’agence européenne pour garder le contrôle d’informations sensibles et orienter les choix politiques et de sécurité européens. La force de l’alliance transatlantique, consacrée par des décennies de collaboration et de liens économiques et militaires, rendrait difficile pour l’UE de se libérer complètement de l’influence de Washington, qui pourrait exercer des pressions ou accéder indirectement aux informations recueillies par l’agence européenne à travers des accords ou des partenariats bilatéraux.

En définitive, la création d’une agence de renseignement unique pourrait représenter un progrès important pour la sécurité européenne, mais générer également des complexités importantes qui ne doivent pas être sous-estimées. Pour atteindre une véritable indépendance stratégique, l’UE devrait non seulement développer une structure opérationnelle centralisée, mais aussi garantir une protection adéquate contre les interférences extérieures, en maintenant une gestion autonome et confidentielle de ses propres informations. Le succès de ce projet dépendra de la capacité de l’UE à construire une agence qui sache combiner efficacement collaboration et confidentialité, en respectant les souverainetés nationales et en résistant aux possibles conditionnements extérieurs, afin que l’Europe puisse véritablement consolider son rôle d’acteur indépendant et stratégiquement autonome sur la scène internationale.

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

La France aurait proposé de vendre 24 Rafale au Brésil

https://www.opex360.com/2024/11/01/la-france-aurait-propose-de-vendre-24-rafale-au-bresil/


Depuis les années 2000, marquées par la vente de cinquante hélicoptères de manœuvre Super Cougar et celle de quatre sous-marins Scorpène, l’industrie française de l’armement est à la peine au Brésil.

Ainsi, la Force aérienne brésilienne [Força Aérea Brasileira, FAB] a préféré le JAS-39 Gripen E/F du suédois Saab au Rafale de Dassault Aviation, dans des conditions ayant donné matière à maintes controverses.

Plus récemment, le CAESAr [Camion équipé d’un système d’artillerie] de KNDS France a perdu un appel d’offres lancé par l’armée brésilienne [Exército Brasileiro] pour se procurer trente-six obusiers automoteurs, celle-ci ayant choisi l’ATMOS 2000 du groupe israélien Elbit Systems. Cependant, la procédure d’acquisition n’est pas encore finalisée en raison de considérations politiques et judiciaires.

Pour autant, la partie française ne désespère pas… Et elle entend profiter du prochain sommet du G20, qui se tiendra à Rio de Janeiro, les 18 et 19 novembre, pour pousser ses pions. Du moins, c’est ce qu’affirme le journaliste brésilien Claudio Dantas.

En effet, selon ses informations, Paris aurait proposé de vendre à Brasilia cinquante hélicoptères H145 [proposés par Airbus Helicopters], trente-six CAESAr, un cinquième Scorpène et… vingt-quatre Rafale. En outre, un transfert de technologie concernant la chaufferie du sous-marin nucléaire d’attaque [SNA] souhaité par la marine brésilienne [Marinha do Brasil] dans le cadre du programme Prosub est toujours sur la table. Pour rappel, il avait été évoqué par le président Macron lors d’une visite officielle au Brésil, en mars dernier.

À cette occasion, le locataire de l’Élysée avait plaidé pour renforcer significativement la coopération entre la France et le Brésil dans le domaine militaire.

« Je veux qu’à vos côtés nous puissions continuer le formidable travail qui a été mené dans la cadre de la production des hélicoptères. Regardons aussi d’autres champs, des tourelles de combat aux satellites et à l’espace, qui doit être, là aussi, un instrument de coopération concrète. […] Nous avons là aussi à bâtir des coopérations technologiques […] pour l’intérêt de nos pays », avait en effet déclaré M. Macron, lors du lancement du Toneloro, le troisième sous-marin de type Scorpène de la Marinha do Brasil.

Et d’insister : « Et qui sait ? Au-delà de ces sous-marins, d’avoir d’autres équipements et d’avoir peut-être, pour fêter dans quelques années le sous-marin à propulsion nucléaire que vous aurez bâti […], avoir des Rafale qui passeront demain car nous aurons aussi, sur ce sujet, su bâtir une coopération nouvelle ».

Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est que la Força Aérea Brasileira souhaite acquérir des avions de combat supplémentaires afin de compléter sa flotte de J-39 Gripen E/F [70 exemplaires prévus, au total]. Ces appareils remplaceraient ainsi une partie de ses F-5 Tiger II ainsi que ses chasseurs légers AMX, soit une quarantaine d’avions au total.

Cependant, d’autres pays lorgnent sur ce marché. C’est ainsi le cas de l’Inde, qui propose le HAL Tejas, en mettant dans la balance un possible achat massif d’avions de transport C-390 « Millenium » auprès du constructeur brésilien Embraer. C’est aussi celui de l’Italie, qui, à l’occasion du G20, devrait remettre une proposition portant sur la vente de trente M346 « Master », un chasseur léger développé par Leonardo. Enfin, le T-7A Red Hawk , produit par Boeing et Saab, serait également sur les rangs.