Les urnes ont livré leur verdict et la « clarification » souhaitée par le président Macron au moment de l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, le 9 juin dernier, n’a pas eu lieu dans la mesure où aucune formation politique n’a obtenu la majorité absolue, fixée à 289 sièges.
Ainsi, avec 178 élus, le Nouveau front populaire [LFI, PS, PCF, écologistes, NPA, etc.] en est très loin, même si son résultat est supérieur à celui qu’avait précédemment obtenu la Nouvelle union populaire écologique et sociale [Nupes] dont il est la continuité. Sa progression est surtout due au PS, qui double pratiquement le nombre de ses députés, alors que LFI en a perdu une poignée [71 contre 75].
L’ancienne majorité présidentielle, composée notamment de Renaissance, de Horizon et du Modem, a sans doute « sauvé les meubles ». Mais ses 156 députés ne seront évidemment pas suffisants pour former un gouvernement. Même chose pour le Rassemblement national et ses alliés issus des Républicains qui, malgré un écart conséquent en termes de suffrages exprimés par rapport au Nouveau front populaire [3’134’022 voix], n’a obtenu que 143 sièges. Enfin, avec une soixantaine de députés, Les Républicains sont parvenus à maintenir peu ou prou leur position par rapport à la dernière assemblée.
Dans de telles conditions, il sera très difficile, de former un gouvernement… et donc de maintenir un cap politique en esquivant les motions de censure que ne manqueront pas de déposer ses opposants. À moins de trouver d’improbables majorités de circonstances ou quelques élus dont l’échine est plus souple que celle de leurs collègues, ce qui, en l’état actuel des choses, est une tâche impossible.
En attendant, l’heure de vérité arrivera très vite, avec la Loi de finances initiale pour 2025, qui doit être soumise au Parlement à la fin du mois septembre [du moins, en théorie]. Et cela alors que l’état des finances publiques s’est encore aggravé au cours de ces derniers mois.
Ainsi, selon les derniers chiffres de l’INSEE, à la fin du premier trimestre 2024, la dette publique avait encore augmenté de 58,3 milliards pour s’établir à 3159,7 milliards d’euros [soit 110,7 % du PIB]. Quand au déficit public, aucune amélioration n’est en vue : il devrait s’élever à 5,1 % du PIB en 2024… Ce qui a d’ailleurs motivé la Commission européenne à placer la France en « procédure de déficit excessif », quinze jours après que l’agence de notation Standard & Poor’s a dégradé la note de la dette française de AA à AA-.
« La France […] soumettra son plan national budgétaire et structurel à moyen terme [pour une durée de cinq ans] le 20 septembre 2024. La Commission procédera ensuite à son évaluation. Ce n’est qu’en novembre 2024 que la Commission formulera ses recommandations. La France aura six mois pour s’y conformer. Et, si, en juin 2025, la France n’a pris aucune mesure correctrice, alors la Commission pourrait envisager des sanctions », explique le site officiel Vie Publique.
Le risque est donc de voir les taux d’intérêts augmenter, ce qui augmentera mécaniquement la charge de la dette, sur laquelle il n’y a aucune marge de manœuvre. Aussi, pour le projet de loi de finances 2025, on peut s’attendre à des débats houleux sur les mesures à prendre : faudra-t-il augmenter les recettes [et donc les impôts], réduire les dépenses, ou faire les deux à la fois ?
Quoi qu’il en soit, au vu des positions affichées [et défendues] par les uns et les autres, trouver une majorité pour faire passer ce texte [qui, par ailleurs, ne manquera pas d’être modifié par le Sénat] avant le 31 décembre prochain sera une gageure. D’où l’hypothèse très probable d’un retour à une pratique qui était en vogue lors des IIIe et IVe Républiques, avec leurs majorités instables : la méthode dite du douzième provisoire.
Concrètement, en cas de blocage, le Parlement vote une loi d’urgence budgétaire dont les dépenses et les recettes, identiques à celles de la précédente loi de finances, sont divisées par douze. Ainsi, on appliquerait ces douzièmes pour chaque mois de l’année 2025, tant qu’un nouveau budget n’aura pas été adopté.
Sauf que, selon la Loi de programmation militaire [LPM] 2024-30, qui n’est pas contraignante stricto sensu, il est question d’augmenter le budget du ministère des Armées de 3,3 milliards d’euros en 2025, pour le porter à 50,5 milliards. Un effort quasi identique est prévu pour les annuités 2026 et 2027.
Si la méthode du douzième provisoire s’applique, alors le ministère des Armées devra faire une croix sur la trajectoire financière de la LPM, alors que plusieurs programmes d’envergure ont d’ores et déjà été engagés et que la modernisation de la dissuasion est un impératif. En outre, il faudra aussi prendre en compte les effets de l’inflation, ce qui compliquera davantage une équation déjà difficile à résoudre, d’autant plus que les marges de manœuvres sont déjà étroites…
Avec la guerre aux confins de l’Europe, l’apparition de nouveaux champs de conflictualité et des menaces qui s’empilent, une telle situation n’est évidemment guère confortable. Se posera également la question de l’engagement de la France auprès de ses Alliés.
Une solution serait de faire en sorte que les crédits du ministère des Armées soient votés en dehors d’un projet de loi de finances initiale. Là, il n’y aurait aucun difficulté à trouver une majorité confortable, le bloc central comme le RN et LR ayant pris l’engagement de respecter la LPM 2024-30 durant la campagne électorale. Seulement, il n’est pas certain qu’un tel expédient puisse être possible d’un point de vue juridique.
La désinformation est peut-être vieille comme le monde, mais elle ne cesse de se réinventer, notamment avec Internet et l’Intelligence Artificielle. L’usage de relais lui permet de gagner en furtivité, voire en efficacité. Pour cliver, rendre hystériques et fragiliser les institutions démocratiques.
Depuis sa création, en l’an 2000, le Diploweb a consacré nombre de publications à la désinformation. En voici une sélection. Aujourd’hui, le contexte rend plus que jamais nécessaire de contextualiser et d’apprendre à se préoccuper de la source pour comprendre comment cette information est arrivée sous nos yeux.
Ce dossier géopolitique du Diploweb conçu par Pierre Verluise rassemble des éclairages féconds à travers des liens vers des documents de référence de nombreux auteurs : articles, entretiens, cartes, vidéos. La page de chaque document en lien porte en haut et en bas sa date de publication, afin de vous permettre contextualiser.
Comment définir la guerre de l’information ? Comment les adversaires des États-Unis, notamment l’Iran, la Chine, la Russie ont-ils réagi à la guerre de l’information conduite par les Etats-Unis ? Quelles sont les fonctions des agences de presse et des médias sociaux dans la guerre de l’information contemporaine ? Que font les Etats-Unis mais aussi les États membres de l’UE pour se prémunir de la guerre de l’information conduite par la Russie mais aussi la Chine ?
Voici un entretien majeur avec l’auteur d’un des meilleurs ouvrages publiés depuis trente ans sur la désinformation, enjeu majeur des temps présents et futurs. Vous allez connaitre les grands moments et les principaux acteurs d’une guerre à laquelle nous n’étions pas préparés, devenue menace mortelle pour nos démocraties.
Les menaces hybrides : de quoi parle-t-on ? Quels sont les outils hybrides de plus en plus nombreux et diversifiés qui nous menacent ? Quels sont les principaux acteurs des attaques hybrides ? Estelle Hoorickx fait œuvre utile en précisant les concepts, les stratégies et les moyens utilisés pour nuire aux démocraties en les polarisant à outrance. Les défis sont considérables. Seul un effort durable et conjugué de l’UE et des autres démocraties, impliquant l’ensemble des sociétés civiles, peut produire des effets bénéfiques sur le long terme.
Comment la guerre de l’information structure-t-elle les relations internationales depuis les années 1990 ? Pourquoi l’avènement de l’ère numérique et de médias internationaux permet-il aux États d’interférer plus directement ? À partir d’un vaste panorama très documenté, David Colon présente clairement les cas des grands acteurs de la guerre de l’information. Des clés pour comprendre. Avec une synthèse rédigée par M-C Reynier, validée par D. Colon.
Émission sur la Russie réalisée par Selma Mihoubi et Estelle Ménard. Le Diploweb.com croise les regards sur le « soft power », l’idéologie, le « hard power » et le cyberespace pour comprendre la reconstruction du pouvoir en Russie. Cette émission a été réalisée en collaboration avec quatre des auteurs du numéro double de la revue « Hérodote » (N° 166-167) : « Géopolitique de la Russie ». Il s’agit de Marlène Laruelle, Jean-Robert Raviot, Louis Pétiniaud et Kévin Limonier.
EUvsdisinfo.eu déconstruit la propagande pro-russe diffusée au sein de l’UE et des pays du Partenariat oriental, dément la désinformation du Kremlin sur la scène internationale et sensibilise au danger de la désinformation en général. Une ressource à connaître.
. Ukraine Crisis Media Center (UCMC), Vidéo. Comment les télévisions russes présentent-elles l’Union européenne ?
Passez de l’autre côté du miroir : on a peu l’occasion de se faire une idée par soi-même de l’image que donne la télévision russe de l’Union européenne. L’équipe de l’Ukraine Crisis Media Center (UCMC) a analysé pour vous 8 émissions des 3 chaînes principales sur une durée de 3 ans. Cette vidéo sous-titrée en français vous permet de voir les télévisions russes comme si vous étiez en Russie. La vidéo est accompagnée d’une présentation de l’étude et de ses enseignements.
À l’occasion de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation du Donbass, la Russie a donné l’impression d’avoir passé un cap en matière de guerre de l’information. L’art de la désinformation ne date pas d’hier, néanmoins le développement sans précédent d’Internet et des réseaux sociaux a mis en lumière une tradition de la manipulation spécifiquement russe, liée à l’irresponsabilité traditionnelle de l’État et à l’omniprésence des services secrets. L’Internet russe étant de plus lourdement contrôlé, il s’agit d’une forme de conflit asymétrique, contre laquelle les démocraties doivent apprendre à mieux se défendre.
La désinformation est vieille comme le monde et elle ne cesse de se réinventer, notamment via de nouvelles technologies, mais il existe des fondamentaux, des régularités. Que nous apprend M. Gorbatchev, Secrétaire général du Parti Communiste d’Union soviétique à propos de la désinformation ? Tout en présentant l’histoire des dernières années de la Guerre froide, P. Verluise apporte une réponse stimulante. Avec en bonus une synthèse rédigée par A. Monti.
Plus de vingt-cinq ans après la fin de la Guerre froide, peut-on vraiment inscrire Sputnik, financé à 100% par le Kremlin, dans la continuité d’une stratégie d’influence issue de l’héritage soviétique ? Colin Gérard répond en présentant les origines de la création de Sputnik et sa stratégie de développement axée sur les réseaux sociaux. Deux ans après la mise en service de la version française de Sputnik, le Diploweb publie un document de référence pour un bilan d’étape.
L’opinion européenne a été prise à froid par la crise russo-ukrainienne : soumise à un feu roulant de propagande et au travail de sape des groupes de pression du Kremlin, au sujet de pays qu’elle connaît mal, elle peine encore aujourd’hui à admettre la réalité et l’importance du conflit. Dans le cas français, se surimposent à tout ceci une tradition anti-américaine parfois très excessive, et une russophilie qui n’a rien de répréhensible en soi mais qui ne facilite pas la compréhension de la singularité russe, ni d’ailleurs celle des causes de la chute de l’URSS. Il s’agit ici d’un ensemble de facteurs pesants, même si au total l’opinion n’a pas trop mal résisté au choc.
L’auteure démontre à travers des exemples que les théories du complot prônent une vision déterministe des événements, dans laquelle le postulat de départ (il existe un plan caché) prime sur l’analyse des faits. Elles reposent sur une surévaluation des calculs politiques pratiqués en coulisse et de leurs succès. Cette stratégie discursive a une fonction claire : établir qu’il n’y a pas eu de révolution en Syrie.
Durant cette visioconférence, Anne Deysine souligne les bouleversements qu’entraîne le « big data » dans la vie démocratique américaine. Alors que se déroule la campagne présidentielle, le sujet est important. A. Deysine présente successivement Le « big data », un nouvel outil aux services des candidats ; La révolution numérique, responsable d’une bipolarisation du champ politique aux Etats-Unis ; La politique américaine, victime de la polarisation de ses citoyens ? Avec en bonus un résumé par Antonin Dacos pour Diploweb.com.
L’objectif du sharp power chinois est de neutraliser toutes les remises en cause de la représentation que le régime chinois se fait de lui-même. Il s’agit d’obtenir une cooptation d’étrangers pour façonner les processus décisionnels et soutenir les objectifs stratégiques de Pékin. Ce faisant, le régime chinois manipule le paysage politique des Etats démocratiques afin de légitimer son comportement, dicter des conditions favorables, et façonner l’ordre international à son image. Suite à ces manœuvres notamment appuyées sur les médias en langue chinoise et les associations de Chinois d’outre-mer Pékin représente aujourd’hui aux yeux des autorités australiennes une menace pour la démocratie et la souveraineté nationale de l’Australie. Dans un contexte de rapprochement avec les Etats-Unis, l’île-continent est ainsi passée d’une coopération à une compétition stratégique avec la Chine. Avec deux cartes et une frise chronologique.
L’information à l’heure d’Internet ouvre de nouvelles possibilités, y compris de manipulation. Il importe de saisir comment les progrès techniques ont renforcé la place de l’information dans notre quotidien et ses enjeux, désinformation comprise. Dans le contexte des élections à venir, tous les citoyens attachés à la démocratie y trouveront matière à réflexion.
L’ECFR a publié en anglais une somme considérable « The Power Atlas. Seven battlegrounds of a networked world », sur ecfr.eu. Un membre du Conseil scientifique du Diploweb a attiré notre attention sur cette publication. Nous avons demandé à l’ECFR l’autorisation de traduire quelques cartes en français afin de contribuer au débat. Traduite et réalisée en français par C. Bezamat-Mantes, la carte grand format se trouve en pied de page.
Pourquoi la RPC est-elle sur le banc des accusés en matière d’espionnage industriel ? Comment la Chine construit-elle ses relations avec les pays partenaires des Nouvelles routes de la soie ? Que penser du rapport de l’IRSEM qui fait grand bruit « Les opérations d’influence chinoises, un moment machiavélien » ? Voici quelques-unes des questions posées à Pierre-Antoine Donnet par Pierre Verluise pour Diploweb.com.
Depuis 2014, le moteur du développement du cyberespace ukrainien est la guerre avec la Russie. Même si les autorités ne sont pas parvenues à agir efficacement dans le cyberespace dès le début du conflit, ce dernier a fait émerger un écosystème cyber qui a su s’adapter au contexte de guerre. Cet écosystème a contribué à la défense du pays à toutes les échelles, tant au niveau des citoyens que des acteurs étatiques et privés. Bien que de très nombreux objectifs doivent encore être atteints, l’invasion de l’Ukraine est un catalyseur pour le développement du cyber, qui est devenu un acteur essentiel du ministère de la Défense. Illustré de trois graphes.
Voici un livre au format pdf, téléchargeable gratuitement. Ce recueil rassemble des communications présentées au colloque 1989 en Europe médiane : vingt ans après organisé à Paris, en l’Hôtel National des Invalides.
Après avoir été alliée de l’Allemagne nazie d’août 1939 à juin 1941, l’Union soviétique est attaquée par Hitler. Contrainte et forcée, l’URSS change alors de camp. Quelle relation le pouvoir russe entretient-il avec la Seconde Guerre mondiale et ses zones d’ombres ? Comment expliquer la résurgence actuelle du culte de la « Grande Guerre Patriotique » (1941-1945) et de ses héros ? Galia Ackerman, auteur de « Le régiment immortel. La guerre sacrée de Poutine », éd. Premier Parallèle (2019), répond aux questions de Laurent Chamontin pour Diploweb.com
VIGINUM caractérise l’implication d’une entreprise russe domiciliée en Crimée, TigerWeb, dans la création et l’administration des sites du réseau « Portal Kombat ».
VIGINUM dévoile l’activité d’un réseau baptisé « Portal Kombat », constitué de « portails d’information » numériques diffusant des contenus pro-russes, couvrant positivement l’invasion russe en Ukraine et dénigrant les autorités de Kiev, afin d’influencer les opinions publiques notamment françaises.
Le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (VIGINUM) a identifié une campagne numérique de manipulation de l’information ayant visé plusieurs États européens depuis septembre 2022, dont la France.
Toujours plus sur Diploweb
Ce dossier présente une sélection non exhaustive des ressources du Diploweb disponibles sur la désinformation. Plusieurs dizaines de documents s’y rapportent. Aussi nous vous invitons à poursuivre et affiner votre exploration de deux façons : . par l’utilisation du moteur de recherche interne (en haut à gauche), par exemple avec le mot « désinformation » ; . par l’usage des rubriques géographiques du menu, en fonction de votre zone d’intérêt.
*Docteur en sciences politiques (université de Leicester 2022), membre de l’Institut d’Analyse de la Sécurité (ISA) d’Erevan (Arménie), il a été conseiller en politique étrangère de l’ancien président arménien Armen Sarkissian. Il est également collaborateur régulier d’IHS Markit, de la Jamestown Foundation, de The National Interest, du Foreign Policy Research Institute et du Central Asia-Caucasus Institute.
L’alliance civilisationnelle et géopolitique entre les régimes autocratiques de Russie et d’Azerbaïdjan est de plus en plus évidente, en particulier dans la promotion conjointe par ce duo d’un ordre régional non occidental dans le Caucase du Sud. Cette alliance se traduit par la normalisation de l’usage de la force, du nettoyage ethnique et d’un comportement antagoniste aux intérêts, aux valeurs et aux normes de l’Occident, comme en témoignent les actions analogues de la Russie contre l’Ukraine et de l’Azerbaïdjan contre l’Arménie et contre les Arméniens du Haut-Karabakh. L’alliance Poutine-Aliev s’est progressivement dotée d’un cadre formel, portant le partenariat stratégique établi en 2008 au niveau d’une « interaction alliée » dans un contexte d’aggravation de la multipolarité concurrentielle entre l’Occident et le non-Occident. Cette relation spéciale a été soulignée par l’importante déclaration bilatérale signée par les deux dirigeants à Moscou le 22 février 2022, deux jours avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie[1]. Comme l’a déclaré le ministère russe des Affaires étrangères, « l’Azerbaïdjan est un partenaire stratégique important, un bon voisin et un allié fiable de la Russie »[2]. Le dirigeant azerbaïdjanais Ilham Aliev, a répondu à cette appréciation matérialisée par le retrait des « soldats de la paix » russes du Nagorno-Karabakh – la région où il a perpétré le nettoyage ethnique des Arméniens – en soulignant que « la Russie est un pays fondamental en termes de sécurité régionale dans le Caucase et dans une géographie plus large »[3] et que « la Russie ne quittera jamais cette région », suggérant que « d’autres pays devraient être intéressés par le maintien de bonnes relations avec elle »[4].
Toutefois, l’engagement pris par Poutine et Aliev de renforcer « l’interaction entre les alliés » ne se limite pas au Caucase du Sud, mais s’étend à la coopération stratégique mondiale. Cette coopération est motivée en partie par une vision commune visant à consolider la lutte géopolitique contre le soi-disant « néocolonialisme occidental », comme l’ont unanimement exprimé les régimes d’Aliev et de Poutine, aux dépens des valeurs et des intérêts occidentaux dans leur ensemble[5]. Dans ce contexte, la présente analyse évoque les activités récentes de l’Azerbaïdjan afin de saper l’effort de guerre ukrainien, au profit de Moscou.
Partenariat de défense entre la Bulgarie et l’Azerbaïdjan
Il y a tout d’abord la réorientation vers l’Azerbaïdjan de munitions d’artillerie fabriquées en Bulgarie et initialement destinées à l’Ukraine. Sofia est le partenaire stratégique de Bakou depuis 2015, l’Azerbaïdjan jouant un rôle croissant sur le marché bulgare de l’énergie (fourniture de gaz naturel et exploitation d’infrastructures de transit)[6].
On sait moins que l’Azerbaïdjan a manifesté son intérêt pour le secteur bulgare de la défense vers 2016-2017. Selon un journaliste d’investigation bulgare, qui a requis l’anonymat en raison de la sensibilité de la question, l’Azerbaïdjan a cherché à investir dans DUNARIT Corporation, Arcus Co. et Armaco JSC, d’importantes sociétés de production de matériel militaire bulgares. L’Azerbaïdjan était particulièrement intéressé par la production et l’importation de munitions de mortier et d’artillerie de l’ère soviétique, y compris les obus à chargement séparé de 122 mm.
Compte tenu de la disponibilité limitée des munitions standards soviétiques/russes sur le marché mondial et du déficit de l’Ukraine en matière d’artillerie, les fabricants bulgares de matériel de défense semblent avoir réorienté leurs approvisionnements vers l’Azerbaïdjan. Les données de Flightradar24 indiquent que la flotte des avions cargos lourd Iliouchine Il-76MD des forces armées azerbaïdjanaises a effectué des vols de fret réguliers entre la mi-février et la mi-mars (six vols aller-retour confirmés) entre Burgas et Bakou. Cela suggère l’importation par l’Azerbaïdjan de production militaire bulgare et l’interruption partielle des livraisons à l’Ukraine. Une source du ministère ukrainien de la Défense a laissé entendre que la priorité accordée aux livraisons d’armes azerbaïdjanaises avait quelque peu affecté la quantité et le calendrier des livraisons bulgares à l’Ukraine. Cela fait écho à la plainte du président ukrainien Volodymyr Zelensky à la suite des négociations avec le Premier ministre bulgare Nikolay Denkov à Kiev. M. Zelensky s’est inquiété du fait que seuls 30% des obus d’artillerie promis par la Bulgarie avaient atteint l’Ukraine dans les délais impartis[7].
Bien que ces interruptions des livraisons militaires à l’Ukraine soient relativement mineures, le rôle de l’Azerbaïdjan a une importance géopolitique. Ces perturbations ciblées permettent à Bakou d’accroître sa valeur stratégique vis-à-vis de Moscou.
Exploitation de la Slovaquie : détournement d’armes vers l’Ukraine
Deuxièmement, il existe des preuves que l’Azerbaïdjan a joué un rôle dans le retardement des livraisons d’armes tchèques et slovaques à l’Ukraine. Les relations entre la Slovaquie et l’Azerbaïdjan se sont développées sous le gouvernement de Robert Fico, qui a entamé son troisième mandat de Premier ministre en octobre 2023. Fico, qui s’est prononcé contre le soutien militaire à l’Ukraine pendant les élections législatives, a réduit l’aide militaire à Kiev à partir de mars-avril 2024[8]. Ce changement de politique a affecté la production et l’acquisition de plateformes d’artillerie communes et d’autres équipements militaires létaux importants avec la République tchèque, qui sont essentiels pour l’Ukraine.
Dans le contexte de la dérive autoritaire de Fico – caractérisée par la consolidation du pouvoir intérieur et de ses politiques pro-russes – l’Azerbaïdjan a réussi à influencer les processus de production d’exportations militaires slovaques et tchèques, en réorientant certains équipements précédemment destinés à l’Ukraine.
Lors de leur visite à Bakou le 7 mai, Fico et le président azerbaïdjanais Ilham Aliev ont signé la Déclaration conjointe de partenariat stratégique, ainsi que des documents relatifs à la coopération industrielle en matière de défense (les deux parties souhaitent mettre en place une production militaire commune)[9]. Il est intéressant de noter que la visite de Fico à Bakou a coïncidé avec les révélations selon lesquelles la société tchéco-slovaque Excalibur Army prévoit de livrer plus de 70 obusiers automoteurs DITA de 155 mm/L45 à l’Azerbaïdjan, ce qui représente la plus importante commande de systèmes d’artillerie tchéco-slovaque depuis 1989[10]. Dans ce contexte, la déclaration commune de Fico et Aliyev est remarquable : « lorsque j’ai entendu la position [d’Aliyev] sur l’Ukraine, j’ai pensé qu’il s’agissait de la position du gouvernement slovaque. En d’autres termes, nous avons une position très similaire »[11].
À la suite à la visite de Fico, le gouvernement slovaque a été accusé de donner la priorité aux accords militaires avec l’Azerbaïdjan plutôt qu’aux engagements envers l’Ukraine (la Slovaquie avait précédemment affecté 16 obusiers Zuzana 2 à l’Ukraine). En particulier, le député slovaque Juraj Krupa a noté que le ministre slovaque de la Défense avait donné la priorité aux commandes de l’Azerbaïdjan – et du fabricant tchèque – par rapport à un contrat existant avec l’Ukraine[12]. Les interventions de l’Azerbaïdjan en Slovaquie ainsi qu’en Bulgarie, sont sur le point d’accroître les lacunes de l’Ukraine en matière d’artillerie au profit des récentes avancées de la Russie.
L’Azerbaïdjan et la Russie collaborent dans l’Indo-Pacifique
Le troisième événement susceptible d’influencer la dynamique de la guerre en Ukraine semble être une opération conjointe des services de renseignement azerbaïdjanais et russes contre la France sur son territoire d’outre-mer, la Nouvelle-Calédonie, dans l’océan Pacifique. Le 16 mai, des manifestations de la population autochtone se sont transformées en émeutes violentes contre les autorités françaises. Selon le gouvernement français, l’aggravation de la violence a été attisée par les services de renseignement azerbaïdjanais, éventuellement en coordination avec la Russie.
L’Azerbaïdjan mène une campagne subversive contre la France depuis la fin de l’année 2020. Lors de la défaite militaire d’Erevan en 2020, le président français Emmanuel Macron, soutenu par le Sénat français, a apporté son soutien à l’Arménie et à la population arménienne du Haut-Karabagh. Le gouvernement français a également condamné l’usage inconsidéré de la force par l’Azerbaïdjan, qui a culminé avec le violent nettoyage ethnique du Haut-Karabakh en septembre 2023[13]. Au cours de cette période, l’Azerbaïdjan a adopté une approche conflictuelle pour faire pression sur la France afin qu’elle abandonne sa politique de soutien au Haut-Karabakh et en faveur du renforcement militaire de l’Arménie. Dans le cadre de cet effort, Bakou a habilement encouragé et instrumentalisé les griefs des minorités ethno-politiques de l’outre-mer français contre Paris.
L’approche de Bakou reflète le défi lancé par Moscou à l’agenda unipolaire de l’après-Guerre froide mené par les États-Unis. Poutine et Aliyev plaident tous deux pour un ordre mondial non démocratique et non libéral sous couvert de s’opposer au soi-disant néocolonialisme occidental[14]. Ces dernières années, Bakou a cultivé des liens avec les mouvements d’indépendance de Corse, de Polynésie française et de Nouvelle-Calédonie, entre autres, par le biais de la création d’un « Groupe d’initiative de Bakou » (BIG). L’objectif global de ce groupe est exprimé dans son slogan politique, « vers la liquidation complète du colonialisme »[15]. La plateforme du BIG – qui promeut des récits ouvertement anti-français et eurosceptiques – comprend environ quatorze mouvements ethno-politiques de France et de ses territoires d’outre-mer[16]. La campagne de l’Azerbaïdjan contre les intérêts français a également été promue par d’autres canaux, y compris le Mouvement des non-alignés, le Conseil de coopération islamique et des engagements bilatéraux avec des alliés autoritaires tels que la Russie et la Chine.
Le ministre français de l’intérieur, Gérald Darmanin, a ouvertement révélé l’implication directe de l’Azerbaïdjan dans l’insurrection anti-française en Nouvelle-Calédonie. Le ministre a déclaré : « Ce n’est pas un fantasme. Je regrette que certains des séparatistes [de Nouvelle-Calédonie] aient passé un accord avec l’Azerbaïdjan»[17]. Politico, par l’intermédiaire de sources au sein des services de renseignement français, a également révélé que des activités hybrides azerbaïdjanaises et russes en Nouvelle-Calédonie ont été détectées pendant des semaines, voire des mois, « poussant le récit de la France comme un État colonialiste »[18]. Se vantant de l’implication de l’Azerbaïdjan dans l’éveil de sentiments anti-Paris dans les territoires français d’outre-mer, l’influenceur politique Farhad Mammadov, un protégé du conseiller présidentiel en politique étrangère Hikmat Hajiyev, a maintenu que les « efforts systématiques pour affaiblir la France doivent se poursuivre sans relâche ». Mammadov a également averti que « même si la partie française entame une normalisation, Bakou ne doit pas céder. Il ne s’agit pas seulement d’une réaction de l’Azerbaïdjan à […] la politique agressive de la France dans notre région, mais aussi d’un mécanisme permettant à l’Azerbaïdjan de se positionner dans les discussions futures sur l’ordre mondial »[19].
Il est également important de noter que les réactions de Bakou et de Moscou aux troubles en Nouvelle-Calédonie ont été étonnamment similaires, animées par une rhétorique teintée d’idéologie. Par exemple, en réponse à l’invitation faite par la présidente géorgienne Salomé Zourabichvili à Emmanuel Macron de se rendre en Géorgie le jour de l’indépendance pour « libérer enfin le Caucase de l’influence russe », le porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères a fait remarquer avec sarcasme que « les seules personnes que Paris peut libérer sont les habitants autochtones de la Nouvelle-Calédonie du joug français »[20].
Dans le cadre du partenariat stratégique croissant entre le Kremlin et Bakou, Gregory Karasin, président de la commission des Affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, a récemment annoncé que Moscou envisageait d’ouvrir une mission diplomatique dans la région du Nagorno-Karabakh, qui fait l’objet d’une épuration ethnique. Cette décision notable est probablement attribuable à l’opération azerbaïdjanaise en Nouvelle-Calédonie[21]. Une source anonyme au sein du ministère russe des affaires étrangères a interprété le geste de Moscou comme un « signe d’appréciation » pour la collaboration efficace des deux pays sur la scène internationale au cours des derniers mois.
L’opération de déstabilisation azerbaïdjano-russe en Nouvelle-Calédonie pourrait contraindre Paris à reconsidérer ses projets d’envoi de troupes en Ukraine, une possibilité que le président Macron n’a pas exclue en avril (la France réfléchit à surveiller les zones frontalières avec la Biélorussie). Les efforts déployés par Paris pour apporter un soutien militaire direct à l’Ukraine se sont heurtés à l’opposition farouche du Kremlin, l’administration de Poutine ayant promis de riposter en prenant pour cible le personnel français[22]. Un ancien diplomate de l’ambassade de France en Ukraine a suggéré, lors d’une conversation privée avec l’ISA, qu’une implication accrue des moyens policiers et militaires français en Nouvelle-Calédonie entraverait probablement les préparatifs du président Macron et ses projets d’envoi de troupes en Ukraine.
L’affaiblissement par l’Azerbaïdjan des chaînes d’approvisionnement ukrainiennes – et de ses capacités de défense – constitue un défi relativement nouveau pour Kiev et donne à Moscou un moyen de pression supplémentaire vis-à-vis de l’Occident. La campagne de subversion azerbaïdjanaise et russe contre la France pourrait contrarier les projets naissants de Macron d’intervenir sur le théâtre ukrainien, réduisant ainsi la marge de manœuvre de Kiev pour repousser les avancées russes. D’où l’intérêt pour Moscou de réduire la détermination française. Dans l’ensemble, les activités malveillantes de l’Azerbaïdjan et son partenariat croissant avec la Russie mettent en évidence l’efficacité croissante de la coordination autoritaire et la menace grandissante qu’elle fait peser sur les intérêts occidentaux.
[1] Декларация о союзническом взаимодействии между Российской Федерацией и Азербайджанской Республикой. 22 fév. 2022. http://kremlin.ru/supplement/5777
[2] Ambassade de la Fédération de Russie en République d’Azerbaïdjan. Об установлении дипломатических отношений между Российской Федерацией и Азербайджанской Республикой. https://azerbaijan.mid.ru/ru/news/
[5] Ministère des affaires étrangères de Russie 2024. Выступление Министра иностранных дел России С.В.Лаврова в ходе Форума стороников борьбы с современыми практиками неколониализма – « За свободу наций ! ». https://mid.ru/ru/foreign_policy/news/1932745/
Les forces armées françaises disposent de trois porte-hélicoptères amphibies (PHA) : le Mistral (L 9013), le Tonnerre (L 9014), et le Dixmude (L 9015). Ces navires sont des éléments cruciaux dans la stratégie de défense et de projection de force de la France, permettant une variété d’opérations militaires et humanitaires à l’échelle mondiale.
Polyvalence et capacités des PHA
Capables de mener des opérations sous faible préavis, les PHA sont des bâtiments hautement polyvalents. Ils sont équipés pour gérer des crises, effectuer des transports logistiques et conduire des évacuations sanitaires. Leur conception leur permet d’intégrer des éléments des armées de Terre, de l’Air et de l’Espace, ainsi que des forces interalliées et des composantes sanitaires, tant militaires que civiles.
Descriptif technique des porte-hélicoptères
Chaque PHA présente une longueur de 199 mètres et une largeur de 32 mètres, avec un déplacement de 21 500 tonnes. Leur vitesse maximale atteint 19 nœuds. Ils peuvent accueillir 177 marins, un état-major embarqué, et entre 400 et 900 soldats selon les besoins de la mission.
L’équipement de ces navires est impressionnant : un radier de 885 m² pour des chalands, un hangar de 2 650 m² pouvant contenir 60 véhicules blindés ou 13 chars, ainsi qu’une capacité de transport aérien avec un hangar pouvant accueillir jusqu’à 16 hélicoptères. Ils sont aussi équipés d’un hôpital de 69 lits, extensible, comprenant deux blocs opératoires.
L’armement des PHA comprend deux canons de 20 mm téléopérés, quatre mitrailleuses de 12,7 mm, et deux systèmes d’autodéfense surface-air à très courte portée SIMBAD. La défense est complétée par des radars de navigation et de veille air-surface, des leurres antitorpilles SLAT, un système de transmission par satellite, et un système de combat SENIT.
Rôle stratégique dans les opérations interarmées
Les PHA sont conçus pour mener des opérations amphibies et aéromobiles, facilitant ainsi la projection de force dans des zones conflictuelles ou lors de missions humanitaires. Ils servent également de commandement mobile pour les opérations, offrant une plateforme stratégique pour les décisions en temps réel sur le terrain.
Contributions spécifiques des trois PHA
Le Mistral, mis en service en décembre 2006, et son jumelage avec la ville du Havre renforce les liens entre la marine et la communauté civile. Le Tonnerre, actif depuis juillet 2007, est parrainé par la ville de Limoges, illustrant l’importance de la coopération régionale dans le soutien aux forces armées. Quant au Dixmude, le plus récent, mis en service en juillet 2012, il symbolise l’adaptation continue de la marine française aux technologies modernes et aux exigences opérationnelles actuelles.
Importance dans la diplomatie et l’aide internationale
Outre leur rôle militaire, les PHA jouent un rôle important dans la diplomatie française. Par leur capacité à déployer rapidement des forces et du matériel partout dans le monde, ils sont souvent en première ligne lors de missions d’aide humanitaire ou de réponse à des catastrophes naturelles. Ce rôle contribue non seulement à la sécurité globale mais renforce aussi l’image de la France en tant qu’acteur clé sur la scène internationale.
Quels autres pays possèdent des porte-hélicoptères dans le monde ?
Plusieurs nations possèdent des porte-hélicoptères VTOL (Vertical Take-Off and Landing), un type spécifique de porte-aéronefs capable de gérer des hélicoptères et d’autres aéronefs à décollage et atterrissage verticaux. Voici une comparaison avec la France qui possède trois de ces navires :
Japon se distingue avec 7 porte-hélicoptères, ce qui en fait le pays avec le plus grand nombre de ce type de navires dans la liste.
France, Chine, et Égypte ont respectivement 3, 3, et 2 porte-hélicoptères, montrant un engagement notable dans leurs capacités de projection maritime et de réponse rapide.
Corée du Sud possède également 2 de ces navires, témoignant de son investissement croissant dans la puissance navale.
Algérie, Brésil, Thaïlande, et Turquie disposent chacun d’un porte-hélicoptères, illustrant une capacité modeste mais significative de projection de force et de soutien logistique.
Les autres pays tels que Argentine, Australie, Canada, Espagne, États-Unis, Inde, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, et Russie n’ont pas de porte-hélicoptères VTOL, bien que certains de ces pays possèdent d’autres types de porte-aéronefs ou d’autres capacités militaires importantes.
Les porte-hélicoptères amphibies français ne sont pas seulement des instruments de guerre; ils sont des vecteurs de paix et de coopération internationale. Leur capacité à intervenir rapidement en fait des outils indispensables pour la France, capable de répondre efficacement aux crises globales tout en promouvant les valeurs humanitaires et la stabilité internationale. Ces navires démontrent l’engagement continu de la France envers ses alliés et son rôle actif dans la gestion des crises internationales.
Dans les systèmes monarchiques, c’est le souverain qui, par tradition, commande les armées y compris normalement sur le terrain. Avec l’arrivée des régimes républicains, et de fait avec la constitutionnalisation des monarchies, les choses sont devenues un peu plus compliquées. La Constitution de 1848 en France indique par exemple dans son article 50 que le Président de la République (PR) élu au suffrage universel « dispose de la force armée, sans pouvoir jamais la commander en personne ». Les premiers projets de lois constitutionnelles de la IIIe République reprennent la formule, ce qui suscite la colère du « maréchal-président » Mac Mahon (élu par l’Assemblée en mai 1873). Devant sa menace de démission, l’amendement Barthe (1er février 1875) est repoussé et l’article 3 de la loi du 25 février 1875 indique seulement que le Président « dispose de la force armée». Ce pouvoir est néanmoins limité par l’obligation de contreseing d’un ministre pour toutes les décisions du Président, la possibilité d’être poursuivi pour haute trahison et l’obligation d’assentiment des deux chambres pour déclarer la guerre.
Le maréchal de Mac Mahon a cependant suffisamment de latitude pour organiser un « domaine réservé », une expression de Chaban Delmas en 1959 pour désigner les prérogatives particulières qui devraient être accordées au PR en matière de défense et de politique extérieure. Mac Mahon accorde beaucoup de d’intérêt aux réformes militaires en cours et traite directement avec les ministres et les généraux de corps d’armée qu’il reçoit à l’Élysée. Il tient à désigner lui-même les ministres de la Guerre et de la Marine. La crise du 16 mai 1877 coupe court à cette interprétation. Avec la « constitution Grévy » et la révision de 1884, la France adopte un régime parlementaire et le Président de la République n’exerce plus qu’une « magistrature morale », ce qui permet à Poincaré d’imposer Clemenceau comme Président du Conseil en décembre 1917 mais ne suffit pas à Albert Lebrun pour empêcher la crise des institutions de juin 1940. Cette dernière crise et le désastre qui l’accompagne est en garder en tête pour comprendre l’esprit des institutions de défense de la Ve République.
Notons au passage que le général de Gaulle met en place dans la « France combattante » un système très simple, avec un chef du Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) décideur unique avec sous ordres directs un État-major de Défense nationale pour la conduite des opérations et un ministre de la Défense nationale (et non quatre ou cinq ministères, de la Défense nationale, de la Guerre, de l’Air, de la Marine, de l’Armement). Le chef du GPRF est assisté d’un Conseil de défense nationale réunissant tous les ministres concernés par cette guerre désormais totale. Autant d’éléments que le général de Gaulle s’efforcera d’imposer dans les institutions et la pratique de la Ve République.
En attendant, l’expression « Chef des Armées » apparaît dans un décret du gouvernement provisoire de la République en date du 4 janvier 1946 avant d’être reprise, sur proposition du général Giraud alors député, dans la Constitution de 1946 (art. 33 « Le président de la République préside, avec les mêmes attributions [que pour le Conseil des ministres, c’est-à-dire faire établir et conserver les procès-verbaux], le Conseil supérieur et le Comité de la défense nationale et prend le titre de chef des armées. »). Mais l’article 47 précise que « le président du Conseil [qui devient une fonction en soi et non un ministre supérieur aux autres], assure la direction des forces armées et coordonne la mise en œuvre de la Défense nationale ». La gestion de la politique de Défense de la IVe République n’est finalement pas très différente de celle de la IIIe avec ses qualités et ses énormes défauts, évidents lors de la guerre en Algérie.
La nouvelle paralysie institutionnelle qui apparaît à cette occasion impose une réforme profonde des institutions et une nouvelle Constitution. Pourtant, étrangement, cette constitution n’apparaît immédiatement pas très différente de celle de 1946 dans son organisation de la Défense nationale. L’article 15 de la Constitution de 1958 (« Le Président de la République est le Chef des Armées. Il préside les conseils et comités supérieurs de la Défense nationale », sans préciser quelles sont les compétences qu’il exerce à ce titre) est peu différent de l’article 33 de la Constitution de 1946. De plus, l’article 19 (« Les actes du président de la République autres que ceux prévus aux articles 8 (1er alinéa), 11, 12, 16, 18, 54, 56 et 61 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les ministres responsables. ») ne fait pas référence à l’article 15. Les actes du Président de la République en conseil de défense doivent donc normalement être contresignés par le Premier ministre. Si on ajoute l’article 20 (« le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ») et l’article 21 (« Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de la Défense nationale ») de la Constitution mais aussi l’article 7 de l’ordonnance de 1959 (« la politique de défense est définie en conseil des ministres ») et son article 9 (« le Premier ministre, responsable de la Défense nationale, exerce la direction générale et la direction militaire de la Défense »),on obtient quelque chose de proche de l’esprit de la IIIe ou de la IVe République.
Le général de Gaulle ne l’interprète pas de cette façon dans ses Mémoires d’espoir (« Il va de soi, enfin, que j’imprime ma marque à notre défense […] cela pour d’évidentes raisons qui tiennent à mon personnage, mais aussi parce que, dans nos institutions, le Président répond de « l’intégrité du territoire » [art.5], qu’il est « le Chef des Armées », qu’il préside « les conseils et comités de Défense nationale » »). La personnalité du nouveau président de la République et les évènements en Algérie – et pour le général de Gaulle le plus choquant d’entre eux est la rébellion d’une partie de l’armée – impose une centralisation des pouvoirs à son profit. À partir d’avril 1961, la dualité des pouvoirs entre le PR et du PM s’efface au profit du premier et d’une manière générale au profit des civils. L’état-major du Premier ministre redevient le Secrétariat général de la défense nationale à direction civile et le Chef d’état-major général de Défense nationale, l’actuel Chef d’état-major des armées (CEMA), perd beaucoup de ses prérogatives. L’ordonnance de 1959, finalement abrogée en 2004, perd une grande partie de sa substance. Et puis deux phénomènes particuliers sont apparus.
Arguant du caractère très particulier de l’arme nucléaire et de la nécessité de décision urgente, le décret du 14 janvier 1964 « relatif aux forces aériennes stratégiques » décide que le Président de la République a seul qualité pour décider l’emploi du feu nucléaire, ce qui est contradiction avec les dispositions de la Constitution et de l’ordonnance de 1959. Ce décret a été abrogé et remplacé par celui du 12 juin 1996 plus conforme aux textes constitutionnels et législatifs mais qui conserve un caractère ambigu. Dans son article premier, le conseil de défense doit définir « La mission, la composition et les conditions d’engagement des forces nucléaires » alors que le président chef des armées et président du conseil de défense « donne l’ordre ». Cela est considéré très majoritairement comme un « ordre de conduite » et non une décision nécessitant donc le passage par un conseil de défense et le contreseing du Premier ministre, mais pourrait être interprété différemment si une situation de crise plaçant la France devant un tel choix survenait en période de cohabitation hostile. On se demande si un président de la République pourrait réellement engager le feu nucléaire en premier (en riposte, la question ne se pose pas) alors qu’il doit faire face à un gouvernement, une majorité et donc un peuple hostile. Plus largement, la question se pose du maintien au pouvoir d’un président désavoué par le peuple. Le général de Gaulle avait tranché cette question à sa manière mais tout le monde n’est pas de Gaulle.
Et puis, il y a eu la multiplication des opérations extérieures, rendues possibles justement par la centralisation des institutions. Une opex, c’est une opération décidée par le président de la République, et comme c’est très facile alors que la France a de nombreuses obligations internationales, elles deviennent très nombreuses. Cela pour premier effet de remettre les militaires dans la boucle décisionnelle. Premier ministre et ministre de la Défense/Armées ont leurs états-majors particuliers et le CEMA redevient premier conseiller militaire et membre du Conseil de défense tout en étant en ligne directe avec le PR pour la conduite des opérations. Mais cela a pour effet également de multiplier les conseils de défense dès lors que l’on considère que ces opérations extérieures sont importantes, or qui dit conseil de défense dit in fine approbation du Premier ministre. Cela ne pose pas de problème en cas de situation normale, ou s’il y a désaccord cela se traduit par une démission, comme celle du ministre de la Défense en 1990 au moment de la guerre du Golfe et de la décision de François Mitterrand d’y engager les forces françaises.
En cas de cohabitation c’est forcément plus compliqué et cela se traduit souvent par une négociation entre les deux têtes de l’exécutif. On se souvient des difficultés de lancer l’opération Turquoise au Rwanda en 1994, contrairement à l’opération Noroit au même endroit deux ans plus tôt en période « normale ». Turquoise est finalement engagée mais aux conditions du Premier ministre Édouard Balladur. En décembre 1999 en revanche, le Premier ministre Lionel Jospin s’oppose totalement à une opération de contre coup d’État en Côte d’Ivoire.
Depuis la réforme constitutionnelle de 2008 se pose aussi un autre problème. Avant l’engagement dans la guerre du Golfe (1990-1991), le PR avait ordonné au gouvernement de poser la question de confiance selon l’article 48.1 devant l’Assemblée nationale et de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale (art 49.4), afin d’asseoir la légitimité de son action. Mais il disposait alors de la majorité et le vote de confiance ne posait guère de difficultés. Désormais, le Parlement doit obligatoirement voter la poursuite ou non d’une nouvelle opération au bout de quatre mois. On imagine par exemple que l’envoi de militaires français en Ukraine soit jugé suffisamment important pour justifier d’un Conseil de défense, première étape, puis en cas d’approbation, d’un vote au Parlement. Quelle que soit la nouvelle configuration de l’Assemblée nationale le 7 juillet, on peut imaginer qu’on n’est pas prêt dans ce cas d’avoir des soldats français en Ukraine. Notons au passage que tous ces blocages éventuels sont des incitations au contournement en faisant appel aux services clandestins ou discrets et même, comme aux États-Unis aux sociétés privées.
Notons que si le Premier ministre ne peut déclencher lui-même d’opérations extérieures, il peut déclencher des opérations intérieures en tant que premier responsable de la sécurité du territoire. Dans la confrontation avec l’Iran qui s’est traduit notamment pas une série d’attentats terroristes sur le sol français en 1986, le Président de la République a déclenché quelques mois plus tard l’opération Harmattan dans le Golfe arabo-persique. Entre temps, le Premier ministre et rival pour la future présidentielle, Jacques Chirac, ne voulait être en reste et avait déclenché l’opération intérieure Garde aux frontières et envoyé des soldats renforcer douaniers et policiers de l’Air et des Frontières. Cela n’avait aucun intérêt opérationnel, mais cet engagement inédit de soldats sur le sol français métropolitains (le pas avait été franchi en Nouvelle-Calédonie) permettait au Premier ministre d’exister politiquement.
Pour résumer, la reconnaissance d’un pouvoir entier et personnel du Président de la République comme chef des Armées ne peut plus être niée. La question a été tranchée dans ce sens par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution dans son rapport du 15 février 1993. Le comité, tout en jugeant discutable l’expression « domaine réservé », a estimé que ; malgré certaines ambiguïtés, l’exercice de pouvoirs propres en matière de défense par le Président de la République correspondait à une « tradition trentenaire ». La tradition est ainsi devenue une source de droit en matière constitutionnelle à condition de justifier d’une application « paisible » pendant une certaine durée. On notera que le comité avait proposé de modifier l’article 21 de la Constitution comme suit : « Le Premier ministre dirige l’action du gouvernement. Il est responsable de l’organisation de la Défense nationale » afin de refléter la réalité des choses. Cela n’a pas été fait et le Premier ministre, s’il ne peut rien déclencher de vraiment nouveau en politique de défense, ni même sans doute mettre fin à quoi que ce soit d’important, conserve une grande capacité de blocage. Maintenant que la coïncidence des élections présidentielle/législatives n’existe plus et que les cohabitations risquent à nouveau de se multiplier, il n’est pas certain ensuite que l’interprétation actuelle, même confortée par une longue pratique, tienne éternellement.
Par définition sensibles en raison de leurs activités, les 4000 entreprises de la Base industrielle et technologique de défense [BITD] françaises ne sont évidemment pas épargnées par les tentatives d’ingérences étrangères, d’où qu’elles viennent.
Ces dernières peuvent prendre la forme de prises de contrôle capitalistique, avec, en creux, le risque d’une délocalisation de savoir-faire. Ce que l’on appelle le « Lawfare », c’est-à-dire l’instrumentalisation du droit à des fins stratégiques, fait aussi partie du mode opératoire de certains pays – notamment les États-Unis et la Chine – pour contraindre des entreprises de la BITD.
« Quand une réglementation comme [l’ITAR] permet aux autorités d’un État, dès lors qu’un produit vendu dans un autre pays contient un composant fabriqué sur son sol, de vérifier si la vente est conforme aux règles qu’il a édictées, il peut s’agir d’une forme d’ingérence, selon la façon dont c’est appliqué. C’est ce que font les Américains depuis plusieurs années, mais aussi les Chinois : ceux-ci ont copié, dans l’esprit, le Patriot Act américain et, profitant de leur puissance économique, essaient de s’ingérer dans les économies étrangères », avait ainsi expliqué Stéphane Bouillon, le Secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, dans un récent rapport parlementaire.
D’autres menaces, plus directes, concernent les entreprises de la BITD. On peut citer les attaques informationnelles, lesquelles visent à compromettre leur réputation quand elles sont engagées dans un processus concurrentiel, l’entrisme, l’espionnage ou encore le sabotage, que ce soit par des actions « cyber » ou des moyens « classiques ».
En septembre 2022, alors fraîchement nommé à la tête du ministère des Armées, Sébastien Lecornu avait appelé les industriels de la BITD à la vigilance, en insistant sur le risque de « sabotage ». « Nous constatons et nous surveillons un certain nombre d’agissements. Je n’irai pas plus loin parce que cela est couvert par le secret », avait-il dit.
Lors d’une audition de la commission d’enquête du Sénat sur les ingérences étrangères, M. Lecornu a donné, pour la première fois, quelques chiffres permettant d’appréhender l’ampleur de ce phénomène.
D’abord, 80 % des « attaques » [espionnage, sabotage] concernent les sous-traitants de la BITD, a-t-il souligné. Quant aux cas d’atteintes « physiques » [intrusions, cambriolages, tentatives d’approche], plus de quarante ont été constatés en 2021. Avec la guerre en Ukraine, leur nombre a augmenté, avec une cinquantaine de cas documentés en 2022 et autant en 2023.
« C’est quelque chose qui est très ‘Guerre froide’, mais qui n’a jamais disparu et qui reprend une force particulière depuis deux ans », a souligné M. Lecornu. Quant aux atteintes « physiques », on « n’est pas sur une petite opération de cyberattaque, mais bel et bien sur une opération beaucoup plus structurée de gens qui – au gré d’une visite, au gré d’un cambriolage qui paraît quelconque – tentent une intrusion dans une industrie de défense et dont il nous est clairement apparu que ça n’avait rien de domestique, que c’était bel et bien commandité par un acteur étranger », a-t-il expliqué.
« La force d’une chaîne dépend de son maillon le plus faible », dit-on. Ce qui fait que les sous-traitants sont une cible privilégiée de ces ingérences. « C’est sûr que Dassault, Thales, Safran ont développé des capacités internes importantes de protection. Mais le petit sous-traitant en province, qui produit le composant majeur ou connexe mais clé, est le plus violemment exposé à ces risques d’ingérences », a relevé le ministre.
Face aux conflits armés contemporains, notamment ceux en Ukraine et à Gaza, la course mondiale aux armements se réinvente avec des technologies de pointe. Cette évolution se manifeste clairement dans l’initiative récente de la France qui, lors du salon Eurosatory à Villepinte, a présenté une innovation majeure dans le domaine de la défense.
Le groupe français Thales, leader dans les technologies de sécurité et de défense, a introduit une plateforme technologique révolutionnaire nommée OpenDRobotics. Cette interface permet le contrôle simultané de multiples drones et robots de combat via des écrans tactiles, promettant une transformation radicale des opérations militaires. La plateforme est conçue pour intégrer divers scénarios préprogrammés qui orientent les actions des drones en fonction de données complexes incluant des doctrines militaires et des informations issues de zones de conflit.
Thales n’en est pas à son coup d’essai avec cette technologie. La version initiale du logiciel a été testée lors du challenge CoHoMa organisé par l’armée française, où des militaires ont contrôlé avec succès une flotte de dix-neuf drones. Depuis, Thales a peaufiné son système pour permettre une intégration plus large dans les véhicules de combat comme le Griffon, où un opérateur peut, par exemple, piloter un drone terrestre pour des missions de déminage ou de récupération d’objets sensibles sans quitter l’intérieur sécurisé du blindé.
Le salon a également été l’occasion de présenter un scénario d’attaque où un essaim de drones, dirigé par une intelligence artificielle, a affronté des unités ennemies. L’IA propose différents modes d’attaque, offrant ainsi une flexibilité tactique sans précédent. Cependant, comme le souligne ArnaudLacaze, directeur des systèmes de commandement chez Thales, bien que l’IA facilite la planification et l’exécution des opérations, le contrôle final repose toujours entre les mains de l’opérateur humain, garantissant ainsi une adaptabilité en temps réel aux conditions changeantes du champ de bataille.
Cette innovation pourrait conduire à une armée française majoritairement robotisée d’ici 2030, comme l’espère le chef d’État-major des armées. Cette perspective soulève des questions stratégiques quant à la dépendance à l’égard des systèmes automatisés dans la conduite des opérations militaires, tout en offrant des avantages significatifs en termes de sécurité des troupes et d’efficacité opérationnelle.
L’initiative de Thales avec OpenDRobotics marque donc une étape significative dans la modernisation de l’arsenal militaire français, alignant capacités technologiques avancées et nouvelles tactiques de combat pour façonner le futur des opérations militaires à l’échelle mondiale.
Ce qu’il faut retenir du livre qui prédit un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie en 2025
«Les scénarios noirs de l’armée française» est un livre dont on parle beaucoup en ce moment. Son auteure, Alexandra Saviana, y déploie onze hypothèses de conflits armés auxquels se prépare l’armée française, et le premier de ces conflits opposerait le Maroc à l’Algérie. Au-delà de l’issue de l’affrontement Maroc-Algérie, ce qui importe au premier chef, c’est la vision que se font les experts français du régime d’Alger. Et cela dit beaucoup de choses.
Par Mohamed Chakir Alaoui – fr.le360.ma – publié le 25/06/2024
S’il y a un enseignement à tirer de ce livre, c’est que les experts militaires, les chercheurs et les diplomates français partagent cette conviction: l’Algérie est un pays voué au morcellement et au chaos. Car au-delà des hypothèses que déploie l’ouvrage «Les scénarios noirs de l’armée française», d’Alexandra Saviana (éd. Robert Laffont), il y a la perception rationnelle que se font les spécialistes d’un pays. La vision qu’ont de l’Algérie la majorité des experts interrogés par l’auteure peut être résumée par cette déclaration de Pascal Ausseur, vice-amiral d’escadre (2S), directeur de l’institut Fondation méditerranéenne d’études stratégiques FMES: «l’Algérie est un pays qui va structurellement mal, rongé par un cancer»qui le conduira«à se morceler en différentes factions».
En quoi consiste le livre d’Alexandra Saviana?
«Les scénarios noirs de l’armée française» appartient au genre d’essais qui reposent sur des données factuelles pour se livrer à une prospective. Le livre se compose de onze hypothèses, chacune se rapportant à un conflit armé où la France serait impliquée.
Pour élaborer chacune des onze hypothèses, Alexandra Saviana, journaliste du magazine L’Express, a interrogé 106 experts. Certains hauts gradés et diplomates, toujours en exercice, ont préféré ne pas être cités, précisément en ce qui concerne le scénario d’un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie. «Particulièrement taboue au sein de l’État, l’hypothèse d’un affrontement Algérie-Maroc a néanmoins été évoquée à de multiples reprises par les stratèges, notamment au sein de l’armée de terre», confie l’auteure.
«Le conflit devient sanglant et tourne court. Une incursion de blindés algériens près d’Oujda (…) se solde par un échec retentissant.»
— Extrait du livre «Les scénarios noirs de l’armée française», d’Alexandra Saviana.
La quatrième de couverture décrit «un ouvrage passionnant issu d’un travail de plusieurs années auprès des plus hauts gradés de l’armée et des experts: chercheurs, diplomates, personnalités politiques et spécialistes de la défense». L’auteure y déploie onze scénarios «parmi les plus probables et dévoile les hypothèses auxquelles se prépare actuellement l’armée française». Les hypothèses ne se projettent pas loin dans le temps, couvrant uniquement les six années à venir. Le point de vue exprimé dans le livre, c’est celui de la France et l’impact qu’aurait sur ce pays un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie.
Le scénario d’un conflit armé entre le Maroc et l’Algérie
Tout commence en août 2025 dans la région de Figuig. «Une unité de 35 soldats algériens s’introduit en territoire marocain au petit matin. Des coups de feu sont échangés à la frontière. Le bilan est lourd: 3 soldats marocains sont tués et 11 blessés, tandis que 4 morts et 18 blessés sont à dénombrer du côté algérien.»
Le régime algérien intensifie son offensive, en dépit des médiations de plusieurs pays. «L’armée marocaine, en défense, parvient à tenir ses positions». «Le 4 octobre, deux chasseurs bombardiers Su-34 sont interceptés par le système de défense missile sol-air israélien. Ils s’écrasent non loin de la frontière, côté marocain. L’un des quatre pilotes, toujours vivant, est capturé et présenté à la presse.»
«Dix jours plus tard, le conflit devient sanglant et tourne court. Une incursion de blindés algériens près d’Oujda, capitale de l’est du Maroc, se solde par un échec retentissant. Les Marocains détruisent une quinzaine de chars de bataille algériens. Alger dénombre 30 morts dans ses rangs, quand les pertes de Rabat restent basses.»
«Fragilisé, le pouvoir algérien est contesté par des factions politiques hostiles à la France, qui présentent Paris comme un ennemi à combattre pour parvenir à l’unification d’une nation algérienne fracturée.»
— Extrait du livre «Les scénarios noirs de l’armée française», d’Alexandra Saviana.
«Conséquence de cette défaite, le régime algérien est fortement fragilisé», poursuit l’auteure. Et d’ajouter: «Fragilisé, le pouvoir est contesté par des factions politiques hostiles à la France, qui présentent Paris comme un ennemi à combattre pour parvenir à l’unification d’une nation algérienne fracturée».
La déroute militaire de la junte d’Alger face aux Forces armées royales crée un cataclysme dans le pays et encourage plusieurs régions et clans de l’armée à la fraude contre le pouvoir central.
Le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) revendique l’indépendance de cette vaste région du centre de l’Algérie méditerranéenne. Son président, le poète Ferhat Mehenni, encourage depuis Paris les Kabyles à prendre part à des élections en faveur de l’indépendance de la Kabylie. Le régime paranoïaque d’Alger accuse Paris d’instrumentaliser les indépendantistes. Incapable de sécuriser ses frontières, le régime d’Alger assiste, impuissant, à plusieurs attentats perpétrés par une filiale d’Al-Qaïda.
«Malgré l’élimination d’une partie de la junte, l’Algérie sombre dans le chaos.»
— Extrait du livre «Les scénarios noirs de l’armée française», d’Alexandra Saviana.
«Inquiet de l’instabilité en Algérie -le pays semble se morceler en différentes factions-, Paris décide d’organiser une opération d’évacuation» des ressortissants français, dont de nombreux binationaux. Cette opération d’évacuation est mal vue par certaines factions en Algérie. «La partie la plus radicale de la junte met la main sur une partie de l’équipement algérien et envoie des missiles visant les navires français». Le pouvoir en place est incapable de mettre un terme à l’action des militaires rebelles.
Un autre tir de missile cible le territoire français, mais dans un pays fractionné «à qui l’attribuer alors que le pouvoir à Alger ne soutient pas cette action menée par une frange ultraradicale?»
Une opération spéciale est alors menée par la France sur le sol algérien avec les «militaires algériens fidèles au pouvoir». Les commanditaires des tirs contre le territoire français sont exécutés. Mais cela ne suffit pas à rétablir l’ordre. «Malgré l’élimination d’une partie de la junte, l’Algérie sombre dans le chaos», pronostique l’auteure sur la base des échanges qu’elle a eus avec les experts.
Les quatre enseignements à tirer des «Scénarios noirs de l’armée française»
– Instabilité, clanisme, morcellement, effondrement, chaos… tel le champ lexical dominant dans la bouche des experts interrogés par Alexandra Saviana lorsqu’ils évoquent l’Algérie. Le scénario des attaques de l’Algérie contre la France repose sur la fronde d’un clan de militaires au pouvoir en place.
Lorsqu’on connaît les purges interminables dans l’armée algérienne, avec plus de quarante hauts gradés derrière les barreaux, il ne faut pas s’étonner de voir les nombreux experts interrogés par l’auteure conclure au morcellement du pays.
– Les experts interrogés par Alexandra Saviana connaissent très bien la nature de l’appareil politico-militaire à Alger et anticipent les réactions sur la base de faits antérieurs avérés. Ainsi, quand le gouvernement algérien annonce avoir déjoué un attentat du MAK, dans l’espoir de faire diversion de sa défaite face à l’armée marocaine, cela rappelle le levier auquel a constamment recours le régime dans l’espoir de consolider l’unité du front intérieur. Cela s’est produit lors des feux de forêt de 2021 qui ont embrasé la Kabylie, dont les commanditaires sont identifiés par le régime, sans l’ombre d’une preuve, comme étant pêle-mêle le MAK, Rachad, le Maroc et Israël.
Les leviers du mode opératoire du régime d’Alger sont les mêmes auxquels il recourt depuis 1962. Mais cette fois-ci, la défaite militaire pour une junte est particulièrement difficile à digérer. D’où le chaos généralisé qui s’installe.
– Le troisième enseignement à souligner, en cas de conflit armé entre le Maroc et l’Algérie: l’agresseur, c’est bien le régime d’Alger. Cela rappelle parfaitement «la Guerre des sables» que la propagande du Système algérien veut transformer en agression marocaine, alors que tous les historiens savent que le duo Ben Bella-Boumédiène a délibérément ordonné des attaques contre l’armée marocaine pour ne laisser d’autres choix aux vrais moudjahidine, survivants maquisards de l’intérieur obéissant au GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne), qui avaient pris les armes contre l’armée des frontières de Boumédiène, que de rallier les forces qui défendent prétendument les frontières du pays.
– Le quatrième enseignement très important dans ce livre, c’est que Paris a déjà identifié le pays au Maghreb qui constitue une menace pour la sécurité de la France. Il s’agit de l’Algérie.
«Les scénarios noirs de l’armée française», d’Alexandra Saviana, 238 pages. Éditions Robert Laffont, 2024. Prix public: 19 euros.
L’Iran est confronté à d’importantes sanctions économiques imposées par les pays occidentaux, notamment en réponse à son programme nucléaire. Ces mesures restrictives ont significativement impacté l’économie iranienne, limitant l’accès à de nombreux marchés internationaux et ressources technologiques. Cette situation économique tendue a poussé le pays à trouver des alternatives pour soutenir ses infrastructures, y compris dans le secteur de l’aviation, où l’Iran a montré une ingéniosité particulière pour contourner les sanctions.
Récemment, un événement inhabituel a attiré l’attention internationale :la disparition mystérieuse de deux Airbus A340, propriété de la société gambienne Macka Invest, qui ont été subtilisés alors qu’ils étaient stationnés en Lituanie. Les avions, destinés initialement pour des vols vers le Sri Lanka et les Philippines, ont pris une toute autre direction, atterrissant finalement en Iran. Selon les rapports, ces appareils auraient été détournés fin février 2024, et leurs transpondeurs éteints peu après leur départ de l’aéroport de Siauliai.
Ce cas n’est pas un incident isolé. En 2020, l’Iran avait déjà acquis deux autres A340 appartenant à l’armée de l’air française, achetés lors d’une vente aux enchères. Ces acquisitions semblent être une stratégie délibérée de la part de l’Iran pour renforcer sa flotte aérienne malgré les sanctions. Mahan Air, compagnie aérienne iranienne, pourrait être la principale bénéficiaire de ces nouveaux avions, leur permettant de renouveler une flotte vieillissante dans un contexte où l’achat de nouveaux appareils est presque impossible.
Le récit de ces acquisitions démontre une capacité remarquable de la part de l’Iran à naviguer dans un environnement international complexe et restrictif. L’événement soulève également des questions sur la sécurité et la surveillance des transactions internationales d’équipements sensibles, surtout dans des régions où la présence militaire et les sanctions internationales créent des dynamiques particulières.
Les implications de ces actes pourraient être vastes, non seulement pour les relations internationales entre l’Iran et les pays imposant des sanctions, mais aussi pour les normes globales de sécurité et de surveillance dans le transport aérien. Cela pourrait inciter à une révision des protocoles de sécurité et à une vigilance accrue sur les équipements et les technologies susceptibles d’être détournés ou utilisés de manière inappropriée. Ces incidents, qui s’apparentent à des scénarios de films, pourraient finalement pousser la communauté internationale à repenser certaines de ses stratégies en matière de sanctions et de sécurité aérienne.
Dans un essai[1] nourri par sa connaissance ancienne et détaillée des forces armées françaises, Jean-Dominique Merchet nous confronte, en dix chapitres, à une question redoutable : la France est-elle prête pour affronter un ennemi dans un conflit de haute intensité ? Rédigé fin 2023 au moment où la guerre à grande échelle avait malheureusement confirmé son retour dans l’espace stratégique européen, ce livre analyse sans complaisance la doctrine, la posture stratégique, la structure capacitaire, les structures de commandement et le moral des armées françaises actuelles.
Il réalise cet examen principalement à la lumière de trois étalons, d’une part, la dernière Revue nationale stratégique de 2022, d’autre part, la Loi de Programmation Militaire (LPM) adopté pour la période 2024-2030 et enfin une évaluation des risques sécuritaires et militaires pesant sur la France en général et son territoire métropolitain en particulier.
La France et l’Ukraine, mêmes dangers?
D’évidence, la France n’est pas exposée à une menace militaire du type de celle qui s’est abattue sur l’Ukraine en 2022 : non seulement elle dispose de la dissuasion nucléaire mais en outre, elle fait partie de la plus puissance alliance militaire au monde, l’OTAN, deux assurances vies solides contre une agression. Pour Merchet, la dissuasion nucléaire française est devenue une véritable colonne vertébrale pour la défense nationale : elle absorbe près de 15% des crédits de défense, élève le niveau technologique de toutes les armées et de beaucoup d’entreprises de la BITD, garantit une forme d’autonomie stratégique et surtout, comme le montre l’exemple ukrainien, la préserve contre une attaque d’une grande puissance.
En effet, aux termes du Memorandum de Budapest, en 1994, l’Ukraine avait accepté de se départir de son arsenal nucléaire, s’exposant trente ans plus tard à l’invasion de la Russie. Toutes choses égales par ailleurs, l’arme nucléaire l’aurait protégée, comme elle protège aujourd’hui le régime de Pyongyang.
Toutefois, la différence entre France et Ukraine se heurte plusieurs limites : la guerre en Ukraine a montré que la masse d’équipement et d’hommes compte dans les guerres actuelles. Or, selon son contrat opérationnel, la Force Opérationnelle Terrestre (la somme des unités combattantes de l’Armée de terre) ne réunit que 77 000 hommes (contre plus de 200 000 en Ukraine) et n’est donc capable, selon les normes actuelles, de tenir qu’un front de 80 km (pour 1000 km de front en Ukraine). La qualité ne suffit pas, or la France est encore défendue par une armée « bonsaï » excellente techniquement mais quantitativement insuffisante entre dehors d’opérations extérieures (OPEX) contre des ennemis plus faibles et dans des zones circonscrites. Même après le début de la guerre en Ukraine, les forces armées françaises en restent au modèle de force expéditionnaire qui s’est généralisé en Occident entre la fin de l’URSS, en 1991, et l’invasion de l’Ukraine. Autrement dit, l’armée française est prête à opérer contre un ennemi technologiquement beaucoup plus faible, contre un adversaire qui ne dispose pas de forces aériennes et contre un opposant n’ayant pas de structures étatiques fortes.
L’autre limite est, selon Merchet, que la dissuasion nucléaire à la française isole la France en Europe : si le pays a rejoint en 2009 le commandement intégré de l’OTAN, il n’a pas, en revanche, fait son entrée dans la structure de planification nucléaire de l’OTAN qui constitue le véritable parapluie nucléaire de l’organisation. En d’autres termes, la dissuasion nucléaire française protège bel et bien le territoire national d’une attaque massive et permet aux forces conventionnelles de rester peu nombreuses (200 avions de combat, 200 chars lourds et une vingtaine de navires de premier rang). Mais elle ne lui permet évidemment pas de mener une guerre de haute intensité.
L’économie de guerre, un slogan loin de la réalité
De nuancé, le tableau se fait sombre quand il s’agit d’évaluer les capacités des forces armées françaises. Si l’avion Rafale, le canon mobile CAESAR et le porte-avions sont des équipements de premier ordre pour garantir la France contre des attaques, la base industrielle et technologique de défense (BITD) française est aujourd’hui dans un état inadapté au niveau des menaces : elle ne dispose plus de capacités industrielles pour la production de chars lourds, pour les fusils d’assaut ou encore pour les munitions.
En cas de conflit, elle serait dépendante des industries allemandes ou coréennes qui ne l’alimenterait pas en priorité… De même, la production de drones (tactiques ou d’endurance étendue) a constitué un véritable fiasco national et européen. Alors que les combats au Karabakh, en Ukraine et à Gaza soulignent l’importance de toutes ces capacités, la France de 2024, malgré les déclarations présidentielles de 2022 sur « l’économie de guerre » ne dispose pas des équipements nécessaires pour se défendre dans un conflit terrestre d’attrition.
Une France résiliente
La France dispose toutefois d’atouts que Merchet considère comme confirmés. Les forces françaises ont réussi leur professionnalisation et l’ont éprouvée au feu au fil des OPEX (plus de 700 soldats décédés en OPEX depuis la fin de la guerre d’Algérie). Hormis chez certains nostalgiques, le service militaire universel n’apparaît plus comme un outil indispensable à la sécurité nationale : le prochain défi sera d’instaurer de fortes coopérations entre les troupes actives et les troupes de réserves, à l’instar de ce que la Finlande, la Suisse et la Suède ont réalisé. En outre, la résistance aux cyberattaques a été régulièrement développée au sein d’une stratégie associant l’Etat (ANSSI) et entreprises. Enfin et surtout, l’esprit de défense est désormais peu contesté : les antimilitaristes sont bien moins nombreux que dans les années 1970 et le soutien aux armées est massif dans la population sondage après sondage.
Implacable sur les conservatismes et les biais cognitifs des états-majors français, l’essai de Merchet se fait moins incisif et moins original quand il s’agit d’évaluer les menaces actuelles et futures pesant sur la France, ses citoyens et ses intérêts. En effet, l’approche est très « terrienne » au sens où la sécurité nationale est envisagée avant tout comme l’inviolabilité du territoire national. Les menaces sur les espaces marins, cyber ou informationnels sont considérées comme de second plan. Ainsi, pour Merchet, les prochaines menaces viendront du Maghreb, du Sahel et de Russie. Du Maghreb au sens large car la Libye est à 1200 km de Toulon : au vu des capacités des drones et missiles mis en œuvre en Mer Rouge, la France a sur son flanc sud une véritable vulnérabilité que sa défense anti-aérienne ne comble pas. Du Sahel car le rejet de la France peut tout à fait, selon Merchet, déboucher sur un retour du terrorisme international contre la France à partir de cette zone. De la Russie, pour des raisons rendues évidentes depuis 2022.
C’est ce qui conduit Merchet à conclure, dans une conclusion bien succincte, à un acte de foi assumé : la France est prête pour la guerre, ou du moins elle saura l’être quand les dangers menaceront le territoire national.
Récusant la complaisance de l’esprit « fanamili », tordant le cou à des approximations chauvines sur les vertus militaires et critiquant sans réserve les certitudes des états-majors et des groupes de défense issus de la Guerre Froide, cet essai a le mérite de jeter une lumière crue sur la réalité de l’appareil de défense français, de ses atouts et de ses faiblesses. Mais il aurait sans doute mérité un examen plus détaillé des nouvelles menaces et des capacités françaises à y répondre.
[1] Jean-Dominique Merchet, Sommes-nous prêts pour la guerre ? Robert Laffont, 2024, 215 pages.